La lutte contre l’exploitation forestière illégale au Cameroun est un combat de longue haleine, qui dure depuis déjà plusieurs décennies. Dès lors, la conclusion de l’éminent think tank Chatham House indiquant que ce processus est pratiquement au point mort doit être très dure à avaler pour toutes les personnes concernées.

Durant son enquête – dont les résultats ont été publiés le 22 janvier –, Chatham House a examiné l’étendue de l’exploitation forestière illégale, le commerce qui y est associé ainsi que la réaction face à ce phénomène. Il a constaté l’absence de progrès depuis 2010, alors que l’activité illégale représente près d’un tiers de l’ensemble du bois récolté.

La liste des lacunes est considérable : la proposition de réforme du cadre législatif du secteur forestier est insuffisante, la disponibilité des informations sur les projets forestiers est inadéquate, la transparence et l’application des règles au sein du secteur sont très décevantes et, pour couronner le tout, la corruption reste endémique et bénéficie d’une inertie politique manifeste en la matière.

Pour Greenpeace, ces conclusions ne sont, hélas, absolument pas une surprise. En effet, nous tirons la sonnette d’alarme depuis longtemps à propos de ces problèmes, à la fois auprès des autorités concernées au Cameroun et auprès de l’Union européenne, qui est un acteur essentiel.

Parmi ces frustrations, nous révélions par exemple dans le rapport « Permis de piller » comment une société américaine productrice d’huile de palme, Herakles Farms, tente de tirer profit de la commercialisation du bois issu de la déforestation – illégale – servant à créer sa plantation. La société avait en effet reçu un permis afin de couper et vendre le bois en sous-main, alors même que la loi camerounaise stipule que de tels titres ne peuvent être octroyés que via une procédure nationale d’enchères publiques.

Trois procureurs généraux différents ont reçu les informations prouvant cette illégalité mais aucune action n’a été prise, avant que soudainement le ministère des forêts ne déclare qu’après tout le permis est légal.

Cet exemple illustre le manque de volonté de changement politique au Cameroun ainsi que la tendance plus large de l’exportation de bois issu de la déforestation en vue de libérer de la place pour l’agriculture commerciale, l’activité minière et d’autres infrastructures. Le rapport de Chatham House aborde explicitement la problématique croissante de la déforestation aux fins de la création d’espace destiné à de grands projets d’infrastructure.

D’énormes quantités de bois extraites de projets de « conversion » de forêts se déversent illégalement sur les marchés internationaux, au vu et au su du ministère camerounais des forêts et de l’UE. De telles pratiques minent également la crédibilité de l’accord de partenariat FLEGT ratifié en décembre 2011.

Une autre tendance identifiée par Chatham House est la mutation observée sur les marchés des produits et du bois destinés à la filière bois, à savoir l’abandon de l’UE au profit de la Chine.

Il importe donc, pour les autorités compétentes de ce pays, de s’attaquer aux importations de bois illégal puisqu’il apparaît clairement que l’absence de sanctions frappant les cargaisons arrivant en Chine stimule de plus en plus l’exploitation forestière illégale au Cameroun et dans d’autres pays du bassin du Congo.

Un autre aspect préoccupant qui se dégage des conclusions du rapport de Chatham House est le fait que ces dernières reflètent bon nombre des tendances inquiétantes relevées dans le rapport du think tank sur la République démocratique du Congo, publié il y a seulement un an. Une fois de plus, Greenpeace n’est pas étonnée de ces constatations ; nous alertons également le public depuis longtemps à propos de l’existence de ces problèmes. Il est évident que les efforts sont insuffisants dans le bassin du Congo pour stopper l’exploitation forestière illégale, et que la deuxième plus grande région de forêt tropicale au monde, de même que les nombreuses communautés qui en dépendent, continueront d’être menacées.

Les sociétés en Europe doivent s’assurer qu’elles répondent à toutes les exigences relatives au règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE), entré en vigueur en 2013 dans le but d’empêcher la mise sur le marché européen de bois récolté de façon illégale. Le bois du Cameroun doit être considéré comme à haut risque et les négociants doivent redoubler de prudence et de vérifications pour éviter les accusations et les poursuites.

Cette année, le RBUE et le plan d’action FLEGT seront révisés par la Commission européenne. Nous en appelons à la Commission pour qu’elle remédie avec sérieux aux lacunes de l’accord passé avec le Cameroun ainsi qu’au défaut d’application et de respect de la part des États membres de l’UE. Dans le cas contraire, les deux législations auront autant d’effet qu’un tigre de papier, et ce seront au final les forêts et communautés du bassin du Congo qui continueront d’en pâtir.