D’après des rumeurs inquiétantes qui circulaient depuis plus d’un an, le gouvernement camerounais s’apprêtait à accorder un bail foncier à Herakles Farms. Ces craintes sont devenues réalité la semaine dernière lorsque la signature du contrat a finalement été annoncée, validant ainsi le projet de l’entreprise américaine d’aménager une plantation de palmiers à huile dans la région du Sud-Ouest du Cameroun.

Bien que cet accord soit regrettable et préoccupant, les efforts conjoints des communautés locales et des ONG camerounaises et internationales n’auront pas été vains : l’ensemble du projet a été considérablement ralenti, le bail emphytéotique initialement prévu s’est transformé en un bail provisoire de trois ans et la surface, qui devait s’étendre à l’origine sur 73 000 hectares, porte désormais sur moins de 20 000 hectares.

D’importants fléchissements ont donc été obtenus, mais les conflits sociaux et juridiques perdurent. Cette plantation reste le mauvais projet au mauvais endroit, et si elle devait se concrétiser, elle constituerait un dangereux précédent pour l’ensemble du continent.

Les scientifiques tirent le signal d’alarme 

La controverse concernant les dangers environnementaux de ce projet a de nouveau été alimentée cette semaine par la publication, dans la revue scientifique African primates, d’un article analysant les conséquences de l’expansion des plantations industrielles sur les primates. Dans cet article, le Dr Joshua Linder affirme que « l’essor des projets agroindustriels deviendra bientôt la principale menace pour la biodiversité des forêts tropicales africaines », et met en garde contre une « une érosion rapide de la diversité des primates sur le continent ».

Le Dr Linder décrit Herakles Farms comme le « chef de file de cette nouvelle vague de développement à échelle industrielle », et déclare que le projet de l’entreprise américaine non seulement entraînera la disparition, au sein de la concession, des populations animales dont l’état de conservation est préoccupant, mais qu’en plus il portera gravement atteinte à l’intégrité des quatre aires protégées entourant la plantation.

Greenpeace Afrique a déjà attiré l’attention sur la présence de nombreux primates en voie d’extinction au sein de la concession attribuée à Herakles. En août dernier, nous avions relayé les résultats préliminaires d’une étude menée par l’université camerounaise de Dschang. D’après ces premières conclusions, la zone de concession abrite, entre autres espèces menacées, le chimpanzé du Nigéria-Cameroun et le drill (tous deux considérés comme « en danger »), ou encore le colobe roux du Cameroun (« en danger critique d’extinction »).

L’effet domino est à craindre 

Si Herakles Farms est le pionnier de cette « nouvelle vague », ils sont nombreux à lui emboîter le pas, au Cameroun comme dans l’ensemble du continent africain. Cargill, une des principales multinationales de commerce de produits agricoles, compte ainsi cultiver le palmier à huile sur des terres situées dans la même région écologiquement fragile que la concession d’Herakles Farms.

Les pays frontaliers du Cameroun ne sont pas épargnés. Wilmar développe son projet de plantation industrielle au Nigéria. Au Congo-Brazzaville, l’entreprise malaisienne qui a racheté la plantation ATAMA est en train de mettre sur pied un mégaprojet de plantation au beau milieu d’une forêt tropicale intacte qui sert d’habitat au gorille des plaines de l’ouest et à l’éléphant de forêt.

Un peu plus loin, au Libéria, une superficie d’environ 600 000 hectares a été affectée aux plantations de palmiers à huile, bien qu’elle empiète sur des forêts denses abritant des espèces endémiques menacées dont le chimpanzé. Et cette liste est loin d’être exhaustive. Ces nouveaux projets, qui poussent comme des champignons en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, sont souvent synonymes de déforestation et mettent en péril l’habitat de la faune sauvage.

Pour empêcher que le braconnage et la disparition de leur habitat n’entraînent à terme le déclin de ces espèces, le Dr Linder demande au gouvernement du Cameroun de renoncer à attribuer de nouvelles concessions industrielles « tant que des politiques responsables, tant sur le plan social qu’environnemental, n’auront pas été mises en place ». Greenpeace s’associe à cet appel qui plaide en faveur d’une production d’huile de palme respectueuse des forêts et de l’habitat faunique, mais aussi des droits sociaux, économiques et culturels des communautés locales.