Dans sa publication du vendredi 1er juillet 2015, au lendemain du vote du nouveau code de la pêche maritime du Sénégal par les parlementaires, le quotidien Walfadjri publiait un article intitulé «l’Etat fait la part belle au Gaipes (Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal)».

A lui seul, ce titre résume le contenu inacceptable de ce nouveau texte, taillé sur mesure pour les industriels locaux, et qui va davantage fragiliser le secteur de la pêche et compromettre la sécurité alimentaire de millions de Sénégalais.   

En effet, en faisant voter ce code, l’Etat du Sénégal, par le biais de son Ministère des pêches, a enclenché son soi-disant plan de redynamisation de ce secteur, en proie à des difficultés énormes, avec comme principal moteur la pêche industrielle plutôt que celle artisanale.

Ce choix grave s‘est matérialisé par les largesses énormes que le nouveau texte a offert aux acteurs industriels, surtout nationaux. Ces largesses vont de la non-obligation de leurs navires battant pavillon sénégalais d’embarquer des observateurs, ce qui constitue un recul grave par rapport au code de 1998, au traitement discriminatoire dont ils bénéficient pour les sanctions contre la pêche illégale, non rapportée et non réglementée (INN). En effet, là où les navires étrangers débourseront entre 500 millions et 1 milliard de FCFA pour pêche sans autorisation, les locaux n’auront à payer qu’entre 40 et 50 millions de FCFA.

Cette discrimination sur les montants des amendes, en plus d’être injuste, est contreproductive. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les statistiques de la pêche INN de la Direction de la protection et de la surveillance des pêches (DPSP) pour s’en rendre compte. Sans entrer des les détails, l’écrasante majorité des cas de pêche INN recensée par ce service est l’œuvre des navires industriels locaux. Pis, ils sont connus pour ne pas être de bons payeurs. Les reliquats qu’ils doivent au trésor public s’accroissent d’année en année.

Ainsi, en corsant les amendes pour les navires étrangers, l’Etat s’est trompé de cibles. Seulement, ce choix  n’est pas fortuit. Durant tout le long du processus de révision de ce code, les groupes de lobby de la pêche industrielle n’ont pas chômé. Ils ont mis la pression sur le comité de révision, à travers différentes manières, ainsi que sur le ministre des pêches et ses services qui ont fini par abdiquer. Leur stratégie a bien fonctionné !   

Cette discrimination est d’autant plus insensée qu’il est aujourd’hui notoirement connu que les navires dits «sénégalais » ne le sont que de nom. L’absence de transparence qui caractérise le processus de sénégalisation des navires de pêche et la création des sociétés mixtes de pêche en est l’illustration la plus parfaite.   

Dans de récentes investigations dont les résultats sont synthétisés dans le rapport «Arnaque sur les côtes africaines : la face cachée de la pêche chinoise et des sociétés mixtes au Sénégal, en Guinée Bissau et e Guinée », Greenpeace Afrique a révélé l’opacité qui règne dans certaines sociétés mixtes propriétaires de navires de pêche au Sénégal. Ce fut le cas de Sénégal Armement S.A dont le principal actionnaire étranger n’est autre que la CNFC (China National Fisheries Corporation), la compagnie étatique chinoise de pêche. En effet, dans son rapport annuel de 2014 dont Greenpeace a eu copie, cette compagnie affirme détenir, au Sénégal, 100% des parts de Sénégal Armement S.A ; ce qui constitue une violation grave des dispositions du Code de la marchande du Sénégal qui stipule que 51% des parts d’une société mixte de pêche doivent être détenus par des nationaux. 

Le cas de Sénégal Armement S.A n’est que la face visible de l’iceberg. Plusieurs sociétés mixtes seraient dans la même situation, avec des investisseurs espagnols, français, grecs, italiens entre autres.

Autre largesse faite aux industriels à travers ce nouveau code, concerne les conditions d’affrètement des navires de pêche étrangers. Dans le code de 1998, l’affrètement était autorisé aux personnes de nationalité sénégalaise. Avec le nouveau code, toute personne morale de droit sénégalais peut affréter des navires de pêche. Il est clair que cette nouvelle disposition a été taillée de toute pièce pour satisfaire des compagnies comme SCA S.A (la filiale sénégalaise du géant Sud-coréen, Donwong) et bientôt les Russes dont la stratégie d’avoir la main mise sur le poisson sénégalais, a défaut de licences de pêche,  va consister à reprendre la défunte société Africamer. 

Ainsi, on peut affirmer sans risque de se tromper que ce nouveau code n’a pas l’ambition d’apporter des solutions concrètes au fléau de la surpêche qui gangrène les pêcheries sénégalaises. Au contraire, il a balisé les sentiers pour les compagnies étrangères qui vont prendre d’assaut les stocks, déjà fragilisés, de nos ressources halieutiques.

Au même moment, ce code retire aux pêcheurs artisans la possibilité d’utiliser les filets mono filaments (cette décision est partagée, à quelques exceptions près, par bon nombre de pêcheurs), corse les sanctions et impose des tailles minimales des espèces revues à la hausse. L’idée ici n’est pas de fustiger ces avancées du nouveau texte mais plutôt de souligner l’injustice dont ces pêcheurs artisans ont fait l’objet. En effet, comment comprendre de telles décisions alors que rien n’a pratiquement bougé du côté des industriels.       

Durant  le long processus de révision du code de la pêche, Greenpeace et la société civile sénégalaise, dont les organisations professionnelles de pêcheurs, ont multiplié les initiatives pour alerter l’opinion sur les limites du nouveau code et attirer l’attention des parlementaires sur la nécessité de ne pas le voter. Ils l’ont fait à travers une déclaration conjointe qu’ils ont rendue public le 27 juin et lors de rencontres avec des députés du peuple.

Hélas, toutes ces actions sont tombées dans l’oreille de sourds. Toutefois j’ai la ferme conviction qu’un mouvement est né. Un mouvement capable de prendre en charge les intérêts de la pêche à petite échelle dans la durabilité.