magazine / novembre 2015

SOS barrages en Amazonie

Photo: Greenpeace

L’Amazonie, région forestière soumise à de multiples pressions. Il suffit de savoir qu’elle a déjà perdu un cinquième de sa superficie. Parmi ces menaces: les méga-barrages qui fleurissent au cœur de la forêt, au détriment de la nature. Au détriment des populations aussi.

En savoir plus autres menaces en Amazonie

Avant d’explorer les menaces qui pèsent sur l’Amazonie, voyons d’abord ce qui est en jeu. L’Amazonie abrite la plus grande forêt tropicale au monde, compte pas moins de 24 millions d’individus et s’étend sur neuf pays, même si les deux tiers de sa superficie totale se trouvent au Brésil. Un vrai poumon vert de la planète, vu le rôle clé que joue la forêt dans l’équilibre du climat mondial. La biodiversité animale et végétale qu’elle abrite est telle que l’énumérer mériterait un dossier en soi… Et que dire de cette merveille, l’Amazone, qui parcourt la forêt quasi de part en part, et de ses innombrables affluents, comme les rios Negro, Madeira, Japaro et Tapajós, qui ensemble, forment le plus grand réseau de cours d’eau au monde?

Barrages hydro-électriques

L’eau en Amazonie fait, malheureusement, l’objet de bien des convoitises. Parmi les rios prisés, citons le Tapajós. C’est dans le bassin de ce fleuve que le gouvernement brésilien veut implanter 13 nouveaux barrages hydro-électriques d’ici 2019, dont sept sur la rivière même. Le Sao Luiz do Tapajós, le premier et le plus grand des barrages prévus sur la rivière Tapajós, entraînera à lui seul la construction d’un mur de 39 mètres de haut et de 7 kilomètres de long, au cœur de la rivière. 

Des zones entières sont inondées pour permettre la construction de barrages

Si le projet se concrétise, le complexe submergera des terres entières et entraînera la déforestation d’un million d’hectares. Ce qui aura bien sûr des conséquences irréversibles sur la biodiversité de la région. Sans compter les déplacements forcés des peuples indigènes vivant traditionnellement dans la forêt, les conflits liés aux droits du sol…  Il ne s’agit pas de théorie. Non. Il s’agit de faits avérés lors de la construction d’autres barrages au cœur de l’Amazonie, dont celui de Madeira, d’Altamira ou de Belo Monte.

Peuples indigènes Munduruku

Action Munduruku

Greenpeace s’oppose bien sûr à ces méga-barrages et n’hésite pas à prêter sa voix à celles des 13.000 indigènes Munduruku, qui dénoncent par tous les moyens, la construction du barrage de Tapajós. Pour eux,  les invasions de leurs territoires et les barrages prévus signifient la destruction de la forêt tropicale qui leur procure tout ce dont ils ont besoin. C’est aussi les déraciner et mettre en danger leurs cultures ancestrales. 

Ils n’ont pas hésité à cartographier leur territoire, tâche que le gouvernement n’a pas accomplie malgré son obligation légale. Ils ont aussi fait connaître leur volonté d'être consultés par rapport à la construction de tels projets, chose que le gouvernement a aussi l’obligation de faire… mais n'a pas fait.

Leurs voix ont été entendues. Leur ardeur a été récompensée. En septembre dernier, ils ont reçu le prix Equateur du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) qui reconnait leur action pour préserver la rivière Tapajós et la forêt amazonienne. Un prix qui, peut-être, fera sortir leur histoire de l’ombre. Pour révéler au grand jour la noirceur des projets qui se trament en Amazonie?

La frénésie des barrages

Car pourquoi cette folle course à la construction de méga-barrages hydrauliques? A l’heure actuelle, l’hydroélectricité couvre 67% des besoins du Brésil. Mais cela ne suffit pas pour le gouvernement qui a l’intention de construire des dizaines de grands barrages hydroélectriques en Amazonie d’ici 2023. Le pays, guidé par son secteur de l’énergie, semble plus que jamais poursuivre sur sa lancée, démarrée dans les années 1970. L’exemple le plus connu vers cette course aux barrages est certainement le Belo Monte, dans l’Etat de Pará, en cours de construction. Une fois opérationnel, il sera le troisième plus grand barrage au monde de par sa taille…

Ces barrages sont comme une sorte de frontière. D’un côté, le dynamisme d’un pays en pleine évolution, comptant sur les barrages pour faire tourner la machine. Toujours plus vite. De l’autre, des populations qui auront bien du mal à survivre si on touche à leurs forêts. 

Il est essentiel que ce nouveau projet reste dans les tiroirs de l’administration brésilienne. Définitivement.

"Il faut tenir compte des peuples autochtones"

Alma De Walsche est journaliste. Elle s’intéresse à l’Amérique latine et, plus particulièrement, à ce qui s’y passe au niveau de l’écologie, du climat, de l’agriculture et, de façon plus générale, à tout ce qui touche les peuples indigènes.  Interview.

Lors de vos voyages en Amazonie, avez-vous été en contact avec des populations directement concernées par les barrages à grande échelle?

Oui, en 2012 notamment, je me suis rendue dans les environs de Belo Monte. La décision de construire le barrage n’avait à ce moment-là pas encore été prise. J’ai eu l’occasion de m’entretenir longuement avec des personnes touchées par le projet…

Pourquoi cette problématique vous tient-elle particulièrement à cœur?

C’est avant tout une question de droits de l’homme. Dans les choix qui sont opérés, on ne tient absolument pas compte des peuples autochtones ni de leur lieu de vie, la forêt.

Il existe une convention internationale – la convention 169 de l’Organisation internationale du travail– selon laquelle les peuples indigènes doivent être consultés avant le lancement de tels projets, qui impactent directement leur vie. Il est essentiel de les informer pour, au besoin, revoir le projet. Mais il n’en est rien. Les peuples sont délogés, leurs terres sont prises d’assaut et, dans le meilleur des cas, on les reloge ailleurs.

Et tout ça pour quoi? Pour la construction d’infrastructures hydro-électriques qui, finalement, ne les concernent pas. On veut faire passer l’énergie hydraulique comme une énergie propre mais comment peut-on dire cela lorsqu’on sait que ces projets sont synonymes de déforestation et de délocalisation? Sans oublier qu’il y a de plus en plus de doutes quant à la rentabilité des méga-barrages. En raison des changements climatiques, dus aussi à la déforestation, les sécheresses s’aggravent, le débit des rivières diminue et l’électricité récupérée est moindre. Il apparaît de plus en plus que construire de tels méga-barrages pour des raisons économiques ne tient plus la route.

Et puis, le Brésil a un potentiel énorme en énergies solaire et éolienne qui elles, ne nécessitent pas de déforestation massive ni de délocalisation…

Revenons aux peuples directement menacés par les barrages. Pour quelles raisons y sont-ils opposés?

D’abord, comme je l’ai déjà évoqué, ils veulent être informés et non être placés devant le fait accompli. C’est légitime. Ils se posent des questions mais n’obtiennent pas de réponses. Ils s’opposent au fait que leurs terres, qui ont à leurs yeux une grande valeur économique et spirituelle, risquent d’être confisquées. Ils s’opposent aussi au fait qu’ils pourraient être relogés ailleurs, loin de leur mode de vie traditionnel.

Mais en même temps, la construction de tels barrages est synonyme d’emplois?

Oui, mais ce sont des emplois très temporaires. Et le nombre de personnes qui reçoivent un contrat fixe (celles qui gèrent par exemple les systèmes de pompage) ne représentent qu’une infime fraction de tous ceux qui vivaient dans la région et qui ont dû la quitter.

Peut-on espérer un mieux?

Avant toute chose, je pense qu’il faut arrêter de penser que le mode de vie des populations vivant au cœur des forêts est un frein au modernisme. Petit à petit, des voix s’élèvent en Amérique latine pour une autre forme de développement mais cela reste marginal.

Si l’actuelle présidente du Brésil, Dilma Rousseff, se dit elle aussi favorable à une autre forme de  développement, plus social, elle ne dissocie toutefois pas ce développement de la croissance économique. Et à ses yeux, la croissance économique est indissociable de projets tels que les barrages à grande échelle. Bref, la protection de l’environnement est une fois de plus reléguée au second plan… Cela se voit d’ailleurs aussi dans des pays comme le Pérou ou la Bolivie.

Les Munduruku s’opposent au projet de construction du barrage Tapajós. Ont-ils une chance de voir leur combat aboutir?

Bien sûr, on l’espère tous. Je pense qu’il est prioritaire d’obtenir le respect de cette convention dont j’ai parlé plus haut. Il a fallu longtemps avant que cette convention ne voie le jour. Il faut maintenant l’utiliser!