magazine / avril 2017

Plongée dans les forêts boréales

Les forêts du Grand Nord, proches du pôle Nord, vous font sentir comme dans un conte de fées: arbres majestueux, animaux insolites, lacs immenses gelés une partie de l’année… Un paysage de conte de fée où une sorcière se profile à l’horizon. Une sorcière revêtant le rôle de l’exploitant forestier. Il est temps d’intervenir. Pénétrons dans ce paysage du bout du monde.

Quelle chance qu’a eu notre photographe de prendre le cliché de cet ours brun, dans les forêts boréales de Laponie! L’ours hiverne de longs mois dans sa tanière pour se protéger du froid extrême. La femelle donne même naissance à ses petits dans les entrailles de la terre. Il fallait donc être au bon endroit, au bon moment pour l’apercevoir. Quelle chance, en fait, a eu notre photographe de simplement se promener dans ces forêts du Grand Nord.

30% des forêts mondiales se trouvent dans les régions boréales

Car le moins que l’on puisse dire, c’est que ces forêts sont féériques. Elles forment une sorte de  "couronne verte" autour du pôle Nord. Elles s’étendent de l’Alaska à la Russie, en passant par le Canada et la Scandinavie. Elles sont appelées "forêts boréales" par les scientifiques, du nom du dieu grec du vent du nord, Borée.

Vers la fin d’un conte de fée?

Malheureusement, l’exploitation forestière dans ces forêts encore méconnues pourrait entraîner la fin du conte de fée. On estime que la moitié des oiseaux qui y vivent, de même que la moitié des mammifères environ, sont des espèces menacées. C’est le cas du plus grand animal de ces forêts, le bison des bois. Quant aux populations autochtones qui y ont élu domicile, comme les Inuits au Canada ou les Samis en Scandinavie, elles pourraient elles aussi voir se briser le lien vital et spirituel qu’elles entretiennent depuis toujours avec la forêt.

Pour empêcher cela, Greenpeace s’intéresse aujourd’hui de près à leur sort. En Belgique, c’est An Lambrechts, experte Forêts, qui chapeaute la campagne pour leur sauvegarde: "Ces forêts sont à ce point situées dans le nord que de grosses parties d’entre elles sont restées pendant longtemps très difficilement accessibles et donc, peu intéressantes à des fins économiques et commerciales. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’elles soient encore en grande partie intactes. Mais la pression sur ces pans de forêts boréales augmente énormément, les abattages prennent de l’ampleur. Les pays forestiers se sont engagés, via le traité en matière de diversité biologique de 2010, à mieux protéger leurs forêts restantes mais cette promesse n’a pas été suffisamment tenue. Et les régions qui auraient dû être officiellement protégées n’ont pas toujours reçu ce statut, souvent sous la pression des industries. C’est le cas de la forêt russe de Dvinsky."

L’exemple de la forêt de Dvinsky

Le cas de la forêt de Dvinsky, en Russie occidentale, dans la région de l’Arkhangelsk, est symptomatique de ce qui se passe dans les forêts boréales. En 2001 déjà, nous lancions une campagne sur l’exploitation forestière en Russie, dans l’optique notamment de sauvegarder la forêt de Dvinsky. Résultat: plusieurs accords entre les ONG mobilisées et les entreprises forestières actives sur le terrain ont permis de mettre en place un moratoire d’une quinzaine d’années sur les activités en cours dans cet écosystème précieux.

4% des forêts boréales ont été perdues en 2000

Hélas, comme la forêt de Dvinsky n’a pas été officiellement protégée, les entreprises forestières et les lobbyistes industriels exercent une pression constante sur des gouvernements locaux et régionaux incapables de leur tenir tête pour pouvoir à nouveau exploiter la région. Tant et si bien que les principales entreprises présentes sur le terrain recommencent à détruire impunément la forêt de Dvinsky.

Elles emploient une méthode particulièrement destructrice, qui mène à l’impasse: elles coupent les arbres puis passent à une autre forêt sans reboiser l’équivalent de ce qu’elles ont pu récolter. Cette méthode est une catastrophe écologique: n’ayant plus de forêts à exploiter à moyen terme, les entreprises forestières s’enfoncent toujours plus loin dans les zones abritant des forêts primaires.

3 raisons de protéger les forêts boréales

Un arbre sur quatre se trouve dans les régions boréales

Les forêts boréales comptent 750 milliards d’arbres, soit l’équivalent d’un arbre sur quatre présent sur la planète! Elles sont principalement composées de conifères (pins et épicéas) qui, grâce à leurs épines avec très peu de sève, résistent lorsque les températures baissent vertigineusement.

 

 

 

 

 

Des espèces uniques, habituées aux grands froids

Sans oublier les quelque 20.000 espèces végétales et animales qui y vivent. Bien sûr, toute cette vie dans les régions du Nord a dû s’adapter pour survivre à des températures pouvant descendre jusqu’à moins 35°C durant les très longs mois d’hiver.

Alors que l’ours brun "fait son trou" pour se protéger du froid, le lièvre d’Amérique change de couleur au gré des saisons: gris brun en été, il devient blanc en hiver. Une façon astucieuse de se dissimuler dans le paysage neigeux pour se camoufler des prédateurs. Quant à la salamandre de Sibérie, son corps produit une substance qui agit comme un antigel et lui permet de survivre aux températures glaciales.

 

Incroyables stocks de carbone

Les forêts du Grand Nord sont de véritables stocks de carbone. An Lambrechts: "Les arbres, les sous-sols, les tourbières et le permafrost dans le Grand Nord forment ensemble le plus grand réservoir de carbone au monde (si on ne tient pas compte des océans). Contrairement aux forêts tropicales, le carbone est essentiellement stocké dans le sol, et non dans les arbres. En effet, dans les forêts boréales, les arbres poussent et se régénèrent moins vite que dans les tropiques, où il fait toujours chaud et humide, et des arbres qui poussent moins vite accumulent le carbone plus lentement. Par contre, les tourbières stockent énormément de carbone et dans le Grand Nord, ces sols sont très fréquents."

 

 

Erika BjurebyL'arbre devient papier

Erika Bjureby s’occupe de la protection des forêts boréales depuis le bureau de Greenpeace en Suède. Elle est fascinée par la beauté de ces forêts. Quand elle en parle, elle évoque une énorme couronne verte qui permet à la terre de respirer. Nous l’avons interrogée pour mieux comprendre les menaces qui pèsent sur ces forêts du Grand Nord.

Erika, ces forêts ne vous sont pas étrangères?

Non, étant enfant, je m’y promenais déjà, souvent avec mes parents et grands-parents, pour cueillir des champignons ou des baies. Il y avait là des animaux fascinants mais parfois aussi effrayants, comme le loup, l’ours, le lynx même si, j’avoue, je ne les ai que très rarement aperçus! Je ne savais pas à l’époque que ces forêts jouaient un rôle clé pour sauver le climat. Et je ne savais pas non plus que ces forêts allaient être abattues pour en faire des produits bon marché et jetables…

Ne sont-elles pas protégées?

A ce jour, seuls 3% des forêts boréales bénéficient d’une protection légale. Pour le reste, elles sont menacées par les feux d’abord, l’abattage ensuite. Ces phénomènes finissent par les fragmenter et les dégrader. Si les feux de forêt sont considérés comme un processus naturel dans les forêts boréales, il apparait toutefois qu’ils sont en augmentation là où l’activité humaine est intense, et c’est notamment le cas en Russie. En Finlande et en Suède au contraire, les feux sont un problème relativement petit comparé à la Russie car les pays ont développé des systèmes efficaces de prévention des feux.

Et qu'en est-il de l'abattage?

Environ deux tiers des forêts boréales sont gérées de telle sorte à servir en priorité à la production de bois. Malheureusement, l’abattage détruit quantités d’arbres vieux et grands. Les arbres qui sont replantés sont jeunes et ont tous plus ou moins le même âge. Cette homogénéisation a un impact sur la diversité biologique et sur la capacité des forêts à faire face à des événements perturbateurs, comme ceux induits par le changement climatique.

Et à quelles fins ces arbres sont-ils abattus?

C’est simple, le bois sert à fabriquer des produits bon marché comme les gobelets, du papier, des meubles, du papier toilette…

Avez-vous déjà mené campagne pour la préservation des forêts boréales?

Oui, cela fait des années que nous y travaillons, notamment au Canada, en Russie et en Finlande. Mais depuis peu, nous optons pour une démarche concertée entre les différents pays concernés pour ainsi protéger l’écosystème boréal dans sa totalité. Nous avons obtenu des avancées dans certains pays, et avons contraint certaines entreprises à adopter des mesures plus strictes lorsqu’elles achètent du bois ou des produits en bois provenant de ces forêts. Mais de nombreuses grandes entreprises n’ont toujours pas mis un terme à cette destruction et il y a un manque de législation forte pour protéger ces forêts. C’est pourquoi nous allons à présent unir nos efforts pour faire pression sur les entreprises et les gouvernements concernés.

Pourquoi utiliser des gobelets en papier alors qu’une tasse en céramique peut faire l’affaire?

Existe-t-il tout de même des initiatives positives?

Certains pays, comme la Finlande, ont amélioré leurs modèles de gestion forestière et bien entendu, nous soutenons leurs efforts. Malheureusement, ces modèles ne courent pas encore les rues et l’industrie sylvicole traditionnelle reste fidèle à des méthodes non durables d’abattage.Le problème de base est le même à travers toute la zone boréale : il y a trop d’abattage industriel et trop peu de zones protégées pour compenser les dégâts causés à la biodiversité et aux droits des peuples indigènes et la perte de carbone stocké dans les forêts. La sylviculture doit évoluer vers une gestion plus respectueuse de la biodiversité et du climat et le nombre de forêts protégées doit être multiplié dans toutes les régions.

Que peuvons-nous faire pour contribuer à la protection de ces forêts?

Le bois est un matériau merveilleux pour de nombreuses utilisations, comme la construction de meubles. Un beau meuble solide peut durer toute une vie. Toutefois, nous ne pouvons nous permettre d’utiliser une quantité infinie de bois pour des besoins pour lesquels il existe des alternatives plus durables. Pourquoi utiliser des gobelets en papier alors qu’une tasse en céramique fait parfaitement l’affaire? De même, pourquoi encore vouloir tout communiquer par papier alors que les technologies actuelles nous permettent d’agir autrement?  Et enfin, si vous avez besoin de papier, optez pour du papier recyclé!