#Marghem : Parcours d’une kamikaze

Actualité - 17 juin, 2015
Marghem par-ci, Marghem par-là. Avez-vous vous aussi perdu le fil ? Ce serait logique. Voilà déjà plus d’un mois que la Ministre de l’Énergie, Marie-Christine Marghem (MR), est dans l’œil du cyclone. Un cyclone qu’elle alimente surtout elle-même, par ses erreurs de communication et en violant des lois, notamment celle sur la transparence de l’administration. En ce moment, sa feuille de route est corrigée par la majorité, mais combien de temps pourra-t-on encore éviter une collision frontale ? Aperçu de son itinéraire jusqu’à présent.

29 juillet
La ministre Marghem a triomphalement annoncé ce mercredi avoir conclu un "accord équilibré" avec Electrabel pour prolonger la durée de vie de Doel 1 et 2. Encore une fois, on ne peut que douter de sa notion d’ "équilibre". Comme pour la convention sur la prolongation de Tihange 1, tous les avantages sont promis à Electrabel et tous les coûts à la charge du gouvernement… et donc du contribuable.

Electrabel ne devra verser que 20 millions d'euros afin d'alimenter un soi-disant fonds pour la transition énergétique. La rente nucléaire a aussi été revue à la baisse pour Doel 3, Doel 4, Tihange 2 et Tihange 3 puisque l'Etat ne recevra que 40% de la marge bénéficiaire. Greenpeace a déjà demandé à la ministre de faire la transparence sur cet accord et exige que la convention soit rendue publique.

10 juillet
La RTBF publie aujourd'hui en exclusivité le texte intégral de la convention (pas si) secrète pour prolonger Tihange 1. On comprend tout de suite mieux pourquoi le gouvernement belge et le secteur nucléaire voulaient que cet accord ne soit pas rendu public : l'Etat belge et le citoyen risquent de payer une note plutôt salée alors qu'Electrabel et EDF/Luminus bénéficient d'énormes garanties.

6 juillet
Après avoir pourtant marqué son accord pour publier la convention sur la prolongation de Tihange 1, Electrabel fait volte-face et s'y oppose finalement. EDF, lui, a même menacé, la semaine dernière d'intenter une action en justice en cas de publication du contrat secret.

24 juin
L'association flamande des journalistes (VVJ) et son pendant francophone, l'Association des Journalistes Professionnels (AJP) intentent une action en justice contre la ministre Marghem qui refuse toujours de rendre public le contrat concernant Tihange 1. De son côté, Greenpeace envisage aussi la possibilité d’entreprendre des démarches juridiques suite au verdict positif de la Commission fédérale de recours pour l'accès aux informations environnementales.

22 juin
Alors que les remous suscités par le vote au parlement ne sont toujours pas retombés, on annonce tout d’un coup qu’il n’y a plus de problème concernant la sécurité d’approvisionnement pour l’hiver à venir. Les 433 MW que livrera Doel 1 (Doel 2 continuera à livrer du courant jusqu’à la fin de l’hiver) sont toutefois bien peu de choses comparés aux 1400 MW « gagnés » grâce à des mesures de gestion de la demande et grâce à l’électricité fournie par des centrales dont on a annoncé la fermeture mais qui au final, continueront à tourner. Deux pistes alternatives que Marghem a, pendant des mois, refusé d’envisager…

21 juin
Electrabel et EDF ont beau avoir donné leur accord, Marie-Christine Marghem refuse toujours de donner publiquement accès à la convention sur la prolongation de Tihange 1. Les parlementaires pourront la consulter uniquement dans une salle dite de "données", où aucune copie ne pourra être faite et aucune note ne pourra être prise. L'ultimatum fixé par Kristof Calvo (Groen) expire ce mardi : le 12 juin, il avait donné 10 jours à la Ministre pour faire toute la transparence sur la convention passée pour prolonger Tihange 1. Si elle ne le fait pas, Groen le fera pour elle.

18 juin
Malgré toutes les objections juridiques entourant le projet de loi de la Ministre Marghem, la prolongation de Doel 1 et Doel 2 est votée au Parlement. Greenpeace a saisi l'occasion pour rappeler la nécessité d'enclencher la transition énergétique. Six activistes étaient dans l'hémicycle afin d'y déployer trois bannières avec le message suivant : "Marghem, plus de mensonges, une énergie durable maintenant".

17 juin
Après plus de 70 heures de débat parlementaire, la Chambre met fin aux discussions entourant le projet de loi de la Ministre Marghem pour prolonger Doel 1 et Doel 2. Le contrat passé avec Electrabel pour prolonger Tihange 1 n'a pas non plus été oublié. Le refus systématique de la Ministre de donner accès à ce fameux contrat a de nouveau été pointé du doigt. La décision de la Commission fédérale de Recours pour l'accès aux informations environnementales a ouvert une brèche mais la Ministre, elle, préfère accuser l'opposition, Greenpeace et la Commission de connivence.

Le Conseil d'Etat en prend aussi pour son grade : il est jugé peu fiable et capricieux par la Ministre. Choquant pour les parlementaires - en particulier ceux qui sont juristes - qui ne comprennent pas qu'un organe aussi respecté soit à ce point discrédité.

15 juin
La Ministre Marghem aurait-elle été illuminée et travaillerait-elle enfin à un plan B pour cet hiver ? Selon les médias, la ministre examinerait le renforcement des interconnexions avec le réseau d’électricité des Pays-Bas (cela vous rappelle quelque chose ?) et l’utilisation d’énormes générateurs de secours. Faux espoir : elle nie rapidement et déclare que ces pistes complémentaires ne sont pas une alternative à la prolongation de Doel 1 et 2.

14 juin
Si, non, si, non ? Après Electrabel, EDF déclare également ne pas s’opposer à la publication du contrat passé pour prolonger Tihange 1. Faux, a fait savoir la Ministre Marghem, qui attendrait toujours la confirmation écrite de la part d’EDF.

13 juin
L’approche de Marghem est également source d’agacement au sein du VREG, le régulateur flamand de l’énergie. Kurt Deketelaere, le président du VREG, critique vivement le refus de la ministre de publier le contrat sur la prolongation de Tihange 1 : « Il est inconcevable que le gouvernement refuse encore toujours de rendre ce document public. Je me demande comment ils peuvent encore justifier un tel amateurisme. Que faudra-t-il encore avant que la ministre ne démissionne ? »

Son opinion est tout aussi impitoyable sur l’éventuelle prolongation de Doel 1 et 2. Selon lui, il faut en terminer avec les improvisations énergétiques et élaborer une politique énergétique transparente et réfléchie.

12 juin
La Ministre Marghem ne semble pas trop se soucier de l’avis du Conseil d’État. Elle déclare que « le gouvernement suit une autre logique et a décidé de prolonger l’activité de Doel 1 et 2. »

La commission de transparence ne doit pas non plus compter sur sa collaboration. La Ministre Marghem se cache derrière les exploitants Electrabel et EDF, qui devraient, selon elle, d’abord lever la confidentialité du contrat sur Tihange 1. Le quotidien De Tijd a eu l’occasion d’y jeter un coup d’œil et dévoile quelques éléments alarmants :

- Electrabel et EDF seront intégralement indemnisés en cas de fermeture anticipée de Tihange 1
- les intérêts nucléaires ne seront calculés qu’à partir d’un bénéfice de 9,3 % et après déduction de tous les coûts d’investissement.

11 juin
Troisième avis négatif rendu par le Conseil d’État. Le Conseil d’État réaffirme l’obligation d’effectuer une étude d’incidence sur l’environnement et une consultation publique pour Doel 1 et inclut explicitement Doel 2, qui n’a pas encore été mis à l’arrêt : « En cas d’une simple prolongation de la durée de vie de Doel 2, les obligations de consultation et d’étude des impacts environnementaux émanant des traités d’Aarhus et d’Espoo doivent également être observées. »[1]

Le Conseil d’Etat réaffirme en outre que tout accord secret conclu entre le gouvernement et Electrabel est une violation de la Constitution. Seul le parlement dispose des compétences pour conclure un tel règlement, s’agissant du prélèvement d’une taxe nucléaire.[2]

8 juin
La Commission fédérale de recours pour l’accès aux informations environnementales ordonne, à la demande de Greenpeace, la publication de l’accord conclu avec Electrabel et EDF par le gouvernement précédent sur la prolongation de la durée de vie de Tihange 1. Une série d’autres documents traitant de la prolongation de Tihange 1, Doel 1 et Doel 2 doit aussi être accessible. La Ministre refuse depuis des mois de soumettre ces documents pour examen à la Commission.

3 juin
À l’agenda de la Chambre ce mercredi 3 juin : les débats sur le projet de loi pour prolonger Doel 1 et 2. La Ministre Marghem s’apprête déjà à se vanter de « la confirmation de son raisonnement par le juge », mais, avant que la majorité ne s’en rende bel et bien compte, l’opposition obtient la suspension des débats en déposant une liste d’amendements à faire examiner par le Conseil d’État. Parmi ceux-ci, l’obligation d’organiser une étude d’incidence sur l’environnement et une consultation publique. Un nouveau sérieux contretemps sur la feuille de route de la Ministre. Il devient tout doucement indispensable de prévoir un plan B pour cet hiver.

2 juin
Le tribunal de première instance refuse de se prononcer sur le fond dans le procès intenté par Greenpeace à l’État belge pour le non-respect de ses obligations dans le cadre des conventions d’Aarhus et Espoo.

27 mai
Dans une nouvelle séance nocturne, la Commission de la Chambre approuve le projet de loi, majorité contre opposition. Durant les débats, la Ministre Marghem refuse de donner des garanties quant au fait qu’Electrabel ne puisse pas revendiquer d’indemnisation en cas de fermeture anticipée de Doel 1 ou 2.

26 mai
Même la supervision international doit fléchir face aux plans pour prolonger vaille que vaille l’activité de Doel 1. Ainsi, le gouvernement préfère ne pas attendre l’inspection SALTO habituelle de l’Agence Internationale de l'Energie Atomique (IAEA), qui ne pourra pas avoir lieu avant 2016. L’AFCN avait pourtant déjà souligné l’importance de cette inspection en 2010.

21 mai
Deuxième avis négatif du Conseil d’État. Le Conseil confirme formellement ce que Greenpeace exige depuis des mois : la prolongation de Doel 1 et Doel 2 ne peut se faire sans étude d’incidence environnementale  et consultation publique. L’avis date du 8 mai, mais la ministre Marghem en a caché l’existence au parlement pendant deux semaines.

La Ministre Marghem doit s’expliquer sur son comportement des dernières semaines devant la Commission de l’Économie de la Chambre lors d’une session extraordinaire. La Ministre refuse de répondre aux questions de l’opposition, mais le premier ministre Charles Michel confirme la confiance du gouvernement  en la ministre. Pour combien de temps encore ?

19 mai
La note juridique de la ministre Marghem « écrite de sa propre main » s’avère être un mauvais plagiat d’un avis émanant du bureau d’avocats Janson Baugniet. Elle a littéralement copié des paragraphes entiers, modifié à sa guise la signification d’autres passages et omis certaines conclusions critiques. La ministre Marghem avait pourtant explicitement déclaré que la note était le résultat de son propre travail et qu’elle n’avait pas eu recours à un avis externe.

12-13 mai
Après une longue session marathon, la Commission de l’Économie vote aux premières heures les articles du projet de loi pour la prolongation de Doel 1 et 2.

Une alternative à la prolongation de Doel 1 et 2 a longuement été discutée pendant les débats. Dominique Woitrin, l’ancien directeur du régulateur CREG, propose notamment de renforcer les interconnexions avec le réseau des Pays-Bas, bon pour un apport de 1 000 MW supplémentaires. Toutefois, la Ministre Marghem écarte cette alternative et la demande formulée par l’opposition pour interroger Dominique Woitrin à ce sujet est rejetée par la majorité.

5-6 mai
Suite aux avis négatifs de l’AFCN en du Conseil d’État sur le projet de loi de la Ministre Marghem, travail parlementaire se poursuit avec une double réunion de la commission de l’Économie. Au cours des débats, il est apparu très rapidement que le gouffre entre la ministre Marghem et l’opposition est important. Une session supplémentaire est prévue le 12 mai.

La ministre veut prolonger la durée de vie de Doel 1 et 2 coûte que coûte et semble absolument vouloir contourner l’évaluation des incidences sur l’environnement et la consultation publique. Il y a ‘urgence’ pour garantir la sécurité d’approvisionnement cet hiver, dit-elle. Greenpeace lui avait pourtant déjà rappelé, en août 2014, ses obligations internationales et a assigné l’État belge en justice en décembre 2014 pour exiger le respect de la loi.


[1] Conseil d’État 57.603/3, 11.06.2015, remarque 19 (traduction non-officielle)
[2] Conseil d’État 57.630/3, 11.06.2015, remarque 21 (traduction non-officielle)