Antoing se situe à 5 kilomètres au sud-est de Tournai. Jusqu’à présent, c’est une ville provinciale tranquille de 7500 âmes, construite sur les rives de l’Escaut, mais elle sera un jour peut-être un refuge pour la Belgique entière. Son château du XVe siècle ou son tumulus gallo-romain pourraient bien rapidement devenir des repères pour guider les premiers réfugiés nucléaires.

Pilules d’iode pour tous les Belges. Tous les Belges ?

Antoing est en effet la seule ville du territoire belge à être éloignée d’au moins 100 kilomètres de toute centrale nucléaire. Seuls 0,2 % de notre pays sont ainsi situés en dehors du nouveau périmètre de sécurité préconisé par l’Agence fédérale de Contrôle nucléaire (AFCN). Dans une recommandation au ministre de l’Intérieur, le Conseil scientifique de l’AFCN dimensionne la zone dans laquelle des comprimés d’iode préventifs devraient être distribués à au moins 100 kilomètres autour des centrales. Il suit en ce sens les conseils du Conseil Supérieur de la Santé qui avait, l’année dernière, estimé cette distance de sécurité à 100 kilomètres ou plus.

Les trois pharmacies de la rue principale d’Antoing feront partie des quelques-unes qui ne devront pas stocker de comprimés d’iode. Ces comprimés si importants en cas d’accident nucléaire : pour empêcher l’absorption par la thyroïde de l’iode radioactif, il faut en avaler le plus vite possible après l’accident. Dans son rapport, l’AFCN recommande également d’étendre la zone au sein de laquelle il est conseillé de s’abriter pour cause d’évacuation trop dangereuse (zone portée de 10 à 20 kilomètres). L’Agence se livre aussi à une critique claire du manque de préparation sur le terrain dans le domaine des plans d’urgence.

Protestations officielles

L’instant choisi pour publier ce rapport semble assez ironique. Il y a quelques semaines, l’AFCN avait donné son feu vert pour redémarrer les réacteurs fissurés. Elle recommande maintenant d’élargir considérablement les zones de sécurité autour de ces centrales. Autrement dit, on redémarre d’abord les centrales, et aussitôt après, on déclare que la planification d’urgence est insuffisante. L’AFCN ne serait-elle donc pas si sûre que cela de son fait ? La cause exacte des fissures demeure inconnue, et les exigences de sécurité pour Doel 1 et 2 ont été sensiblement revues à la baisse. Quel poids peut-on accorder à une autorité qui souffle le chaud et le froid quant à notre sécurité nucléaire et qui considère les pilules d’iode comme une sorte de potion magique pour faire face aux énormes risques liés à l’énergie nucléaire ?

En Allemagne et aux Pays-Bas, les protestations officielles à propos de l’attitude laxiste de l’AFCN et du gouvernement se font en tout cas de plus en plus insistantes. En effet, des millions d’Allemands et de Néerlandais seront aux premières loges lorsqu’il se produira un incident à Doel ou à Tihange. Ce ne seront pas les seuls. Au début de la semaine, une délégation luxembourgeoise menée par la Secrétaire d’État à la Sécurité intérieure est venue interroger son collègue belge au sujet de la situation à Tihange. Hier, c’était au tour des Néerlandais de venir : ils sont venus inspecter la centrale de Doel. La question est de savoir si ces visites vont pouvoir rassurer nos voisins. Des villes comme Aix-la-Chapelle et Maastricht envisagent déjà d’intenter une action en justice et appellent leur gouvernement à en faire de même. Nos réacteurs ne représentent plus seulement une pomme de discorde entre partisans et adversaires belges de l’énergie nucléaire, mais ils risquent bien de provoquer une querelle diplomatique avec nos pays voisins.

Pendant ce temps, comme la lointaine ville d’Antoing, ni Anvers ni Namur ne se sont préparées à un accident nucléaire. On y trouve très peu de comprimés d’iode, les capacités d’accueil en dehors de la zone de danger immédiat sont insuffisantes, et les leçons de Fukushima sont ignorées. Notre politique nucléaire suit le raisonnement basé sur le profit de la société mère, française, d’Electrabel, et la sécurité des citoyens est reléguée au second rang. Mais, à juste titre, dans l’intérêt de leurs compatriotes frontaliers, les Pays-Bas et l’Allemagne ne sont pas d’accord avec cette logique. Heureusement, l’AFCN, dirigé par l’ancien directeur de Doel, publiera bientôt un nouveau petit rapport selon lequel le ciel est serein, et Antoing pourra encore profiter de sa tranquille situation un bout de temps...