Il y a plus ou moins quatre ans, lorsque Greenpeace a lancé une campagne pour la protection de l’Arctique, intitulée "Save the Arctic", les réactions étaient partagées entre soutien et scepticisme. On me demandait souvent la même chose : "N’est-il pas naïf de croire que nous pourrons tenir à l’écart de cette région les géants pétroliers mus par l’appât du gain ?" Pour être honnête, j’ai toujours cru qu’il s’agissait d’un combat que Greenpeace devait mener, mais de là à dire que nous pourrions le gagner...

Et voilà qu’en ce début de semaine, The New York Times et De Morgen, entre autres, annoncent que "l’Arctique fond, mais le rêve pétrolier gèle". Il y a quelques années, une véritable ruée vers l’or noir (et le gaz) semblait se préparer sous ces latitudes. Pratiquement toutes les grandes compagnies pétrolières et gazières détenaient des licences leur permettant de réaliser des forages d’exploration dans diverses régions de l’océan Arctique : au Groenland, en Alaska, au Canada, en Norvège et en Russie. Aujourd’hui, la donne a changé.



Ces dernières années, la Russie s’est concentrée sur l’exploitation en grande pompe des combustibles fossiles présents dans sa partie de l’océan Arctique. Le Kremlin affirme poursuivre sur cette voie, mais en fait, il a reporté une bonne part de son attention sur l’exploitation des gisements continentaux. Un grand et prestigieux projet gazier (Shtokman) de l’entreprise publique Gazprom semble voué à l’échec depuis que les partenaires occidentaux de Gazprom, Total et Statoil, se sont retirés du jeu. De plus, les sanctions européennes et américaines infligées à la Russie à la suite du conflit en Ukraine ont convaincu Exxon-Mobile de se retirer d’une coentreprise avec Rosneft, l’autre géant pétrolier russe qui voulait chercher du pétrole dans la mer de Kara.

Les générations futures

Il est vrai que la Prirazlomnya, la première plate-forme de forage à extraire du pétrole dans les eaux baignant le pôle Nord, est toujours en activité. C’est contre cette plate-forme que des activistes de Greenpeace ont protesté en 2012 et 2013, avec pour conséquence en 2013 l’arrestation illégale de 30 activistes, surnommés "les Arctic 30", qui ont été détenus durant des mois.

Mais les quantités de pétrole pompées par cette plate-forme controversée sont encore relativement insignifiantes par rapport aux quantités extraites sur le continent. Poutine affirme actuellement que les réserves de combustibles fossiles de l’océan Arctique seront "pour les générations futures". Mon collègue russe Vladimir a expliqué ceci au journaliste du New York Times : "En Russie, quand on parle de la génération à venir, on sait que quelque chose ne tourne pas rond. Dans mon pays, personne ne pense à la génération à venir – il en était déjà ainsi à l’époque des tsars, puis de l’Union soviétique."

Le Canada et le Groenland

La situation est similaire dans les autres régions. On a poussé sur le bouton « pause » aussi bien au Canada qu’au Groenland. Beaucoup d’entreprises y ont rendu leur permis de forage. Statoil semble aussi postposer indéfiniment sa quête arctique en Norvège. Au Groenland, malheureusement, les tests sismiques dévastateurs se poursuivent pour localiser des réserves de pétrole. Mais ils semblent bien y vivre leurs dernières heures, car les investisseurs eux-mêmes se posent de plus en plus de questions sur l’exploitation de l’Arctique.

Et puis, il reste les activités de Shell en Alaska. Des bouffonneries que l’ensemble de l’industrie suit avec méfiance. Cette entreprise arctique est considérée par les observateurs comme un projet décisif pour l’avenir de l’exploitation pétrolière sous ces latitudes. En effet, Shell a déjà dépensé plus de 5 milliards d’euros en Alaska, sans le moindre résultat. Il n’est donc pas si naïf que cela de croire que ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’elle aussi jette l’éponge, au moins pour l’instant.

La réputation

Les raisons de cette baisse d’intérêt sont évidentes. Même pour les entreprises les plus riches et les mieux équipées, travailler dans une région aussi rude et sauvage que l’Arctique constitue un véritable cauchemar logistique. Les coûts y sont donc nettement plus élevés que ceux de l’extraction "plus classique". Le prix du pétrole étant aujourd’hui modeste, le calcul est vite fait.

Et à cela s’ajoute le fait que la réputation des compagnies pétrolières est de plus en plus ternie. Par ses actions au Groenland, en Norvège, en Russie et aux États-Unis, Greenpeace s’assure depuis des années que le monde entier observe ces compagnies. Aux États-Unis, la lutte contre les forages pétroliers de Shell s’est transformée en une manifestation de masse nationale et internationale, comme ce fut déjà le cas de la lutte contre l’oléoduc Keystone. L’été dernier, les communautés autochtones, Greenpeace et les autres grandes organisations environnementales ont mené une action conjointe contre les plans de Shell.

Le changement climatique

À l’approche du sommet de Paris sur le climat, le monde réalise enfin de plus en plus que l’extraction pétrolière en Arctique prend tout simplement le contre-pied de la lutte contre le changement climatique. En effet, d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pour limiter le réchauffement climatique de notre planète au cours des prochaines décennies, nous devrons laisser au moins deux tiers des réserves connues – dont les réserves arctiques – sous terre.

Un accord climatique mondial ambitieux à Paris peut donc donner le coup de grâce à la ruée vers l’or noir annoncée dans l’Arctique, avant même qu’elle ne puisse vraiment démarrer. Cet accord devra très clairement mentionner que pour le milieu de ce siècle, nous devrons abandonner complètement les combustibles fossiles.

Alors, à votre avis, qui voudra encore gaspiller son argent pour des projets coûteux, incertains et de longue haleine visant à exploiter le pétrole et le gaz en Arctique ?