Au cours des dernières semaines, plusieurs compagnies pétrolières ont mis leurs ambitions arctiques en veilleuse, voire même complètement abandonné leurs plans. La baisse du prix du pétrole y est certainement pour quelque chose… ou faut-il y voir d’autres explications ? Et s’agit-il d’un simple report ou d’un réel abandon ?

La chute du prix du pétrole n’est évidemment pas passée inaperçue ces derniers temps. Depuis le mois de juin de l’année passée, le prix du baril a en effet diminué de plus de la moitié, allant jusqu’à passer sous la barre des 50 dollars. Soit prix le plus bas depuis 2009, bien plus bas que ce que les analystes avaient prédit il y a quelques mois.

Le prix du pétrole est naturellement sujet aux fluctuations. Ainsi, les cours actuels du pétrole sont la conséquence de différentes évolutions sur le plan géopolitique. Les États-Unis ont produit davantage, diminuant par conséquent leur importation. L’offre, elle, a augmenté suite à l’entrée sur le marché de l’Irak et de la Libye tandis que la demande dans les zones clés (Union européenne, États-Unis, Chine) a baissé ou en tout cas augmenté moins que prévu. Et puis, d’importants exportateurs, tels que l’Arabie Saoudite, ont maintenu leur production au même niveau. Conséquence : une offre excédentaire et une chute des prix.

Groenland

Difficile de prédire si cette tendance se poursuivra à long terme. Cela dépendra de ce que les pays producteurs décident de faire et des évolutions géopolitiques qui persistent. Des analystes de la banque d’investissement Goldman Sachs sont d’avis que le prix du baril pourrait encore baisser, jusqu’à 30 dollars par baril, avant d’ensuite connaître une légère hausse. Et sur le long terme ? Ceux-ci ont revu leur pronostic, parlant de 90 dollars à 70 dollars pour un baril de pétrole. Une flambée des prix est donc loin d’être en vue.

Que plus d’une compagnie pétrolière ait récemment décidé de ne pas (encore) s’aventurer dans la région arctique – à l’image de GDF Suez, le géant norvégien Statoil et l’entreprise danoise DONG au Groenland  – pourrait simplement être lié au faible prix actuel du pétrole. Cela voudrait dès lors dire qu’il s’agit d’une courte pause et que la chasse à l’or noir en Arctique recommencera dès que les prix vivront une nouvelle augmentation. Ce n’est toutefois pas si simple que ça...

Shell en Alaska

Prenez l’exemple de Shell, qui avait planifié des forages pétroliers en Arctique. Après avoir reporté son retour au pôle nord deux ans de suite, le géant pétrolier semble décider à regagner l’Alaska cet été. Ne voyez là aucun lien direct avec le prix du pétrole, les plans de Shell en Alaska étant en phase d’exploration. Si elle venait à trouver du pétrole, celui-ci ne pourrait pas être commercialisé avant 2025-2030. La rentabilité des plans de forage actuels dépendra, par conséquent, des cours futurs du pétrole.

Il est néanmoins vrai que la baisse des prix pèse sur le portefeuille de l’entreprise, sur ses moyens et sur sa volonté d’investir. Comme l’a dit le PDG de Shell, Ben van Beurden : « Les cours du pétrole moins élevés diminuent notre trésorerie et limitent nos possibilités de dépenses. Ceci pourrait devenir un problème à long terme. (…) Nous disposons d’une certaine flexibilité financière, mais elle n’est pas illimitée. »

Retour sur investissement

Plus que le faible prix du pétrole en ce moment, c’est l’instabilité des cours pétroliers à long terme qui inquiète les magnats de l’or noir, et encore plus leurs investisseurs. Il est désormais de plus en plus difficile de justifier des investissements coûteux et risqués, tels que des forages arctiques, aux actionnaires, surtout lorsque le retour sur investissement ne peut être garanti.

En ce qui concerne Shell, il sera intéressant de suivre les conséquences de la résolution sur le climat, déposée récemment par des militants et des actionnaires, lors de l’assemblée générale des actionnaires qui aura lieu plus tard dans l’année. Cette résolution obligerait en effet le géant pétrolier à intégrer le problème climatique de manière inhérente à sa politique d’entreprise et d’agir (et d’investir) conformément à l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 2°C.

Une étude a calculé concrètement quel type et combien de combustibles fossiles devraient demeurer inexploités pour rester dans un scénario de 2°C. Grande surprise : les réserves de pétrole et de gaz sous la calotte glaciaire arctique doivent rester là où elles sont !

La tête dure

A l’heure actuelle, ne nous ne sommes bien entendu pas dupes : les compagnies pétrolières comme Shell poursuivront sans aucun doute leur politique d’investissement actuelle à la petite semaine durant quelques années supplémentaires. Le PDG de Shell l’a d’ailleurs déclaré à la BBC : il se rend compte que la décision de retourner en Alaska divisera la société. « Mais nous n’avons pas le choix. Nous y sommes obligés. » Eloquent.

Les compagnies pétrolières devront pourtant elles aussi s’adapter tôt ou tard à la nouvelle réalité d’un monde qui s’engage à lutter contre le réchauffement climatique. De plus en plus d’universités, d’entreprises progressistes, de banques et de citoyens retirent l’argent qu’ils avaient investi dans des sources d’énergie fossile. La fin du règne des géants de l’or noir n’est qu’une question de temps.

Mais d’ici là, notre devoir est de continuer à lutter contre leurs idées folles, à l’instar de forages pétroliers en Arctique…Agissons.