Il y a la théorie et la pratique. En théorie, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) est indépendante. Selon ses dires, elle assure une protection efficace de la population, des travailleurs et de l’environnement contre les dangers du nucléaire. Et ce, en tout transparence et indépendance, comme l’affirme la brochure que l’on peut consulter sur son site Internet. En tant que citoyen habitant à proximité d’une centrale nucléaire, vous pouvez donc dormir sur vos deux oreilles. L’AFCN monte la garde. Enfin, en théorie.

Et la pratique ?

Car il y a aussi la pratique. Vous savez, le monde dans lequel nous vivons vraiment, où les choses se passent concrètement. Des faits que vous pouvez à peine croire et que vous n’avez pas vu arriver. Il y a ce que l’on sait. Comme : l’industrie nucléaire veut maintenir en activité les centrales nucléaires plus longtemps, et est prête à tout pour arriver à ses fins. Elle met en place ses hommes (ou femmes), au gouvernement, dans les cabinets ministériels... De sorte que le gouvernement, du moins le gouvernement actuel, dirige sur mesure.

Cette semaine, par exemple, la Chambre débat d’une proposition de loi selon laquelle la ministre de l’Energie Marie-Christine Marghem, appuyée par un cabinet très complaisant, veut modifier la loi sur la sortie du nucléaire de 2003 et prolonger de dix ans la durée de vie de  Doel 1 et 2. Tant les traités internationaux d’Aarhus et d’Espoo, ratifiés par la Belgique, que la directive de transposition européenne exigent au préalable un rapport sur les incidences environnementales transfrontalières (MER) et une consultation publique.

Petits trucs

Alors que le Conseil d’Etat jouait son rôle neutre d’organe consultatif et que la ministre soulignait récemment ces obligations, le « chien de garde » du nucléaire, l’AFCN, est lui monté au créneau pour indiquer à la ministre toute une série de petits « trucs » permettant de passer outre la mise en œuvre d’un MER et d’une consultation publique. Sans être gênée par le fait que ces « bons conseils » allaient à l’encontre de la mission que l’AFCN expose justement sur son propre site Internet.

Comment l’interpréter? La Ministre Marghem brandit l’extrême urgence de notre sécurité d’approvisionnement énergétique pour éviter une étude d’impact environnemental qui demanderait beaucoup de temps, ainsi qu’une consultation publique au processus tout aussi lourd.  Cette exception est effectivement prévue dans la règlementation internationale et européenne, mais ne tient pas la route dans le cas présent. D’une part, c’est justement notre dépendance exagérée à des centrales nucléaires non fiables et obsolètes qui est à la base de nos problèmes d’approvisionnement actuels. D’autre part, le gouvernement sait parfaitement, et ce depuis longtemps, qu’il a l’obligation de donner la parole à la population et qu’il peut donc difficilement in extremis invoquer l’extrême urgence.

Et l'étude d'incidence sur l'environnement ?

La ministre peut dire ce qu’elle veut, le lobby nucléaire a beau être indubitablement intensif, on est quand même en droit attendre d’un organe public indépendant et transparent qu’il surveille l’application de traités que notre pays a lui-même ratifiés, non ? Dans l’intérêt de la « protection efficace de la population » en première instance. En d’autres termes, l’AFCN ne peut faire autrement qu’exiger qu’une étude d’incidence sur l’environnement de qualité soit mise sur pied, que la population soit correctement informée et ait la possibilité de participer activement à la prise de décision.

Que la ministre choisisse de jouer la carte de l’extrême urgence indique que l’AFCN sort de son rôle de superviseur indépendant  de la sécurité nucléaire. Le « chien de garde » est muselé et s’est transformé, semble-t-il, en simple pantin. La question se pose dès lors : ce « volte-face » est-il initié par le patron de l’AFCN Jan Bens ? Son passé nucléaire ne plaide en tout cas pas en sa faveur. Tout comme ses déclarations dans la presse : « l’éolien est plus dangereux qu’une centrale nucléaire » ou encore « le redémarrage des réacteurs fissurés ne présente aucun risque, à 101% de certitude ». Des paroles qui datent de l’époque où les fissures de Doel 2 et Tihange 3 n’étaient encore que de légères fissures. Depuis, la théorie semble avoir rattrapé la réalité. 

Mais pourquoi l’AFCN préfère-t-elle mettre la charrue avant les bœufs de l’industrie nucléaire ? Pourquoi le gouvernement veut-il à tout prix éviter une étude d’incidence environnementale et une consultation publique ? Et, surtout, pourquoi l’AFCN lui vient-il en aide ? Pourquoi ne veulent-ils pas qu’on liste les risques potentiels et l’impact environnemental qu’impliquerait une prolongation de nos vieilles centrales nucléaires ? Pourquoi ne pas vouloir donner à la population le droit de s’exprimer sur le sujet ? Pas vu pas pris ?