La catastrophe nucléaire de Fukushima était le résultat de l'interdépendance entre l'exploitant des centrales nucléaires, l'agence de contrôle et le gouvernement. Pendant des années, ils ont balayé toutes les mises en garde et n'ont jamais pris la peine de faire les adaptations qui s'imposaient en matière de sécurité.

Sommes-nous aujourd'hui dans une situation semblable en Belgique ? Certains faits en tout cas montrent une grande dépendance entre GDF-Suez/Electrabel, l'AFCN et le cabinet de la ministre de l'Energie. Dans les mois à venir, l'AFCN et le gouvernement vont devoir prendre des décisions cruciales. Vu les circonstances, vont-ils agir en toute indépendance? Voici quelques faits.

Voici une récapitulation de quelques faits :

1. L’AFCN dépend financièrement de GDF-Suez/Electrabel

73,5 % des revenus de l’AFCN proviennent des taxes levées sur les centrales nucléaires de Doel et Tihange. Or, lorsqu’un réacteur est définitivement mis hors service et entre dans la phase de démantèlement, l’AFCN doit continuer à effectuer des contrôles pendant encore une longue durée, mais les taxes perçues sont alors largement inférieures à celles octroyées pour des réacteurs opérationnels. Au cas où la durée de vie de Doel 1 et 2 ne serait pas prolongée et où les réacteurs fissurés Doel 3 et Tihange 2 devraient être définitivement mis à l’arrêt, l’AFCN perdrait environ 30 % de ses revenus. Ceci a un impact considérable sur le fonctionnement de l’agence de contrôle et ses 150 collaborateurs.

2. Le cabinet de la ministre de l’Énergie est composé de personnes provenant de GDF-Suez/Electrabel

Au sein du cabinet de la ministre de l’Énergie Marie-Christine Marghem (MR), des anciens employés d’Electrabel ont voix au chapitre. La Cellule Énergie du cabinet ministériel de Marie-Christine Marghem est dirigée par Jean-François Lerouge, qui a travaillé pour Electrabel et Tractebel Engineering, deux filiales de GDF-Suez, jusqu’à son passage au cabinet. Dans la Cellule Énergie nous retrouvons aussi Martial Pardoen, actif à la centrale de Doel jusqu’à sa nomination au cabinet. En tant que secrétaire de la Belgian Nuclear Society, il a organisé une conférence en 2009 sur la manière dont GDF-Suez/Electrabel prépare la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires.

3. Le Conseil Scientifique de l’AFCN est dirigé par un adepte d’Electrabel

Le Conseil Scientifique pour les Rayonnements Ionisants est chargé de conseiller l’AFCN en matière de politique de surveillance et, plus précisément, de donner un avis préalable aux autorisations à délivrer pour de nouvelles installations nucléaires ou lors du renouvellement d'autorisations (cf. les dossiers traitant de la prolongation de la durée de vie des anciens réacteurs et l’éventuel redémarrage des réacteurs fissurés).

Le Conseil Scientifique est présidé par William D'haeseleer. Dans les années 1990, ce dernier occupait la fonction de Research and Development Manager du service nucléaire chez Tractebel Engineering, une filiale de GDF-Suez, comme Electrabel. Ensuite, il est devenu directeur de l’Energie-Instituut et du département Mécanique appliquée et Conversion énergétique de l’Université Catholique de Louvain. Depuis de nombreuses années déjà, Electrabel sponsorise la chaire académique de l’Energie-Instituut de Monsieur D’haeseleer à la KUL. Il a même reçu des fonds de roulement, entre autres de la part de Tractebel et de SPE (copropriétaire d’une partie de la capacité de la centrale nucléaire de Tihange).

4. Le patron de l’AFCN est l’ancien directeur de la centrale nucléaire de Doel

Jan Bens a passé la plus grande partie de sa carrière chez GDF-Suez/Electrabel. Avant d’y devenir directeur général, il était responsable des analyses et des tests de sécurité. Dans son rôle actuel, il devrait au fond évaluer les résultats de son ancien travail. Cette confusion d’intérêts suscite pas mal de mécontentement dans le monde scientifique, et même au sein de l’AFCN, et porte pour le moins atteinte à la crédibilité de l’agence de contrôle.

Superviseur "indépendante"?

Dans de telles circonstances, l’AFCN peut-elle remplir son rôle de superviseur de manière indépendante ? Ou cette interdépendance entre l’opérateur nucléaire, l’agence de contrôle et les autorités mène-t-elle à une situation dans laquelle la sécurité est réduite à une importance secondaire par rapport aux intérêts commerciaux du secteur nucléaire ?

La commission d’enquête parlementaire japonaise vient d’indiquer cette interdépendance comme étant la cause principale de la catastrophe nucléaire à Fukushima. Celle-ci était, entre autres, la conséquence de l’intrication entre l’exploitant des centrales nucléaires, l’agence de contrôle et les autorités. Pendant des décennies, ceux-ci ont ignoré tous les avertissements critiques et ont omis de procéder aux modifications nécessaires en matière de sécurité.

L’indépendance de l’AFCN est-elle compromise ? Quelques décisions récentes nous font croire que oui. Un exemple : en mai 2013, l’AFCN autorise le redémarrage des deux réacteurs fissurés de Doel 3 et Tihange 2, malgré les avertissements d’experts indépendants déclarant que ceci était irresponsable. Un autre exemple est l’attitude laxiste que l’AFCN semble adopter pour ce qui est des mesures de sécurité indispensables qui ont été identifiées pendant les stress tests, ainsi que des critères auxquels les réacteurs doivent répondre afin de pouvoir rester en service plus longtemps.

Un gouvernement et une agence de contrôle nucléaire qui sont tellement entremêlés et financièrement dépendants de GDF-Suez/Electrabel sont-ils en mesure de juger si la sécurité de vieux réacteurs est suffisante pour autoriser leur prolongation et si des réacteurs fissurés doivent rester fermés définitivement ?

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