Imaginez-vous une route asphaltée il y a 33 ans : usée par le temps, à l’aspect craquelé et fissuré, dans laquelle l’eau s’est infiltrée pendant des décennies, gelant, se dilatant et cassant la route de l’intérieur.

La plupart des gens ne voudraient pas mettre en péril leur sécurité en roulant sur une route dans un tel état. Et ce n’est certainement pas l’image qu’on veut avoir en tête en pensant aux réacteurs nucléaires.

Or, ce vendredi 13 février, deux experts éminents en matériaux ont annoncé que les cuves des réacteurs Doel 3 et Tihange 2 pourraient bien se trouver dans un état équivalent à celui d’une ancienne route craquelée.

Des milliers de fissures ont été découvertes dans la cuve sous pression des deux réacteurs. Il est impératif que ce composant soit intégralement en bon état et ne présente aucun risque, car la défaillance d’une telle cuve sous pression a le potentiel de causer une catastrophe nucléaire.

Avec le temps, l’acier des cuves sous pression a été endommagé – ou fragilisé –par l’irradiation. Selon les scientifiques, l’hydrogène produit par l’eau, qui est utilisée dans la cuve pour refroidir le combustible nucléaire au cœur de la centrale, pourrait causer la corrosion de l’acier en injectant des atomes d’hydrogène dans l’acier de la cuve même. Cela causerait une augmentation de pression et, par conséquent, le gonflement de l’acier et la fracture de la cuve à partir de l’intérieur.

Des tests ont révélé une quantité étonnante de 13.047 fissures pour Doel 3 et de 3.149 fissures pour Tihange 2.


Après avoir découvert le problème et fermé les réacteurs fissurés en 2012, l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN) a balayé ce problème du revers de la main en disant qu’il s’agissait d’un problème de fabrication. Et a autorisé le redémarrage en 2013. Toutefois, des tests plus élaborés d’un échantillon d’acier ont révélé une fragilisation inexpliquée et inattendue, dans un stade très avancé. Les deux réacteurs ont été mis à l’arrêt suite à ces découvertes et sont hors fonctionnement depuis le 24 mars 2014.

Mais l’annonce des experts des matériaux va encore plus loin : ils déclarent que le problème pourrait être le résultat de l’exploitation normale des réacteurs, ce qui signifierait qu’il s’agit là d’un problème endémique à tous les réacteurs nucléaires dans le monde entier – et que les conclusions en Belgique ont de graves répercussions pour la sécurité de chaque réacteur sur notre planète.

Le Directeur général de l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire a réagi en admettant que « ceci pourrait être un problème international pour toute l’industrie nucléaire. La solution est de procéder à l’inspection précise de chacune des 430 centrales nucléaires dans le monde ».

Lorsque le chef d’un régulateur nucléaire fédéral déclare que chaque réacteur dans le monde devrait être soumis à une inspection pour détecter d’éventuels problèmes de sécurité, la seule réaction prudente qui s’impose aux régulateurs nucléaires nationaux est l’action immédiate. Chaque réacteur doit être inspecté le plus vite possible, et au plus tard lors du prochain arrêt pour maintenance.

Electrabel a annoncé qu’elle serait prête à ‘sacrifier’ un de ces réacteurs à l’étude scientifique, ce qui veut dire qu’elle fermerait définitivement le réacteur et permettrait que des tests soient effectués, dans l’espoir d’apprendre plus sur ce problème de sécurité nucléaire, qui a été ignoré ou rejeté jusqu’ici.

Ce phénomène des fissures n’ayant pas été suffisamment étudié et n’étant pas suffisamment compris, le redémarrage d’un réacteur qui présente des fissures ne serait pas seulement une expérimentation nucléaire, mais ferait courir des risques inutiles et inacceptables à la population. 1,5 million de personnes vivent dans un rayon de 30 km de Doel.

Chaque réacteur doit être inspecté, avant que les anciens réacteurs abîmés ne nous conduisent vers une autre catastrophe nucléaire.

Kendra Ulrich est chargé de mission Energie pour Greenpeace International.
Eloi Glorieux est chargé de mission Energie pour Greenpeace Belgique.