A quoi ressemblera notre futur énergétique en 2050 ? Tout dépendra des choix qui sont faits actuellement au niveau politique, tant belge qu'européen. A ce propos, la Commission européenne vient de publier une feuille de route qui détermine comment concevoir notre paysage énergétique à l'horizon 2050. Un document qui suscite bien des commentaires et m'amène à la réflexion suivante : l'Union européenne va-t-elle accepter de passer son objectif intermédiaire de réduction des gaz à effet de serre de – 20% à l'horizon 2020 à – 30% ? Les forces conservatrices au sein des Etats membres et en Belgique pourront-elles être balayées au profit de l'intérêt économique de l'UE et du climat?

Le débat (et le défi) est lancé ! Sur la route de Durban, les dates clés au niveau européen seront les Sommets de juin et d'octobre...

La feuille de route européenne n'est pas le seul document à venir alimenter ce débat qui nous mènera jusqu'à Durban (Afrique du Sud) où se dérouleront en novembre prochain les  négociations internationales sur le climat. J'épingle volontiers parmi cette moisson de rapports, celui, publié en février dernier, par la crème des centres de recherche et des universités européennes (Potsdam Institute, Sorbonne, Oxford...). Cet opus souligne les avantages économiques d'une transition vers une économie bas carbone et sans nucléaire. Ainsi, passer à un objectif de -30% en 2020 au lieu de -20% (année de référence 1990) amènerait 6 millions d'emplois additionnels en Europe et une hausse du taux de croissance annuel moyen de 0,6%

La conclusion du rapport est sans ambiguïté :« des politiques claires associées au passage à un objectif de -30% en 2020 seraient avantageuses non seulement pour le climat mais aussi pour l'économie européenne ».

N'étant pas de ceux qui plaident pour l'économie à tout prix, je suis persuadé que l'on sortira mieux de la crise environnementale en réduisant notre train de vie matériel. Je suis tout de même soulagé de trouver des arguments « économiques » pour nous inciter à faire la [r]évolution énergétique que l'urgence de la crise climatique nous impose. Et quels arguments : résoudre la crise climatique est plus « rentable » que de ne rien faire du tout !

Sauver le climat, c'est sauver notre économie...

De multiples facteurs expliquent ce qui semble être a priori un paradoxe. L'un d'eux est cette dépendance énergétique qui gangrène nos économies gourmandes en carbone et en uranium. La Commission européenne elle-même estime qu'un objectif de - 30% d'émission de gaz à effet de serre en interne en 2020 ferait économiser pas moins de 14,1 milliards d'euros par an à l'Europe des 27.

D'autres raisons expliquent encore ce paradoxe apparent. Le secteur des renouvelables a besoin de croissance et d'investissements. L'Europe peut donc prendre aujourd'hui des décisions ambitieuses et booster son économie verte ou... laisser passer cette opportunité, perdre son leadership et financer sa transition énergétique avec du matériel chinois (ou autre) dans 20 ans ! D'après la Commission, une Europe avec un objectif de -30% bénéficierait de 3,5 millions d'emplois dans le secteur des renouvelables d'ici 2020 !

D'autres chiffres et d'autres rapports s'accumulent sur les bureaux des décideurs (et sur le mien par la même occasion). Certains évaluent les diminutions de coût liés à la santé : - 900 millions d'euros/an rien que pour la Belgique. D'autres envisagent les revenus supplémentaires générés pour les budgets des États membres. L'État belge pourrait ainsi engranger plus de 2 milliards entre 2013 et 2020 via la mise en vente des « crédits carbone » ETS notamment...

CAN Europe, une plate-forme d'ONG - dont Greenpeace fait partie -  a publié en février, un rapport synthétisant toutes ces données économiques. La lecture de ce rapport donne le vertige et invite à se poser la question fondamentale :  pourquoi ne passe-t-on pas tout de suite à des objectifs de diminution des émissions de GES plus ambitieux ?

Freins, conservatisme et divisions internes

La décision continue à être bloquée par certains États membres comme la Pologne et l'Italie. Si globalement, une économie moins dépendante des énergies fossiles et de l'uranium sert l'intérêt collectif, elle contrarie les intérêts de certains secteurs disposant de puissants relais dans la sphère politique. Dans des fédérations comme Business Europe (niveau européen) ou la FEB (niveau belge), le ton est donné par des entreprises à haute dépendance énergétique. Ces dernières imposent à leurs fédérations des positions conservatrices qui ne sont pas nécessairement majoritaires. De plus en plus d'acteurs économiques de premier plan comme Unilever, Google, ou BNP Paribas se prononcent pour un objectif européen augmenté.

La position belge, qui devrait être prise par consensus reste bloquée suite au refus du CD&V et de la NV-A. Or, le 2 mars dernier, la Commission environnement de la Chambre votait une résolution réclamant au gouvernement fédéral : « de se prononcer clairement pour un renforcement des ambitions de l’Union européenne en matière de climat et pour la fixation d’un objectif unilatéral de réduction d’ici 2020 afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport à 1990 » .

Deux sommets européens avant Durban

Le Roadmap 2050 de la Commission européenne tombe à pic. Sa publication ce 8 mars sera suivie par des négociations intra-européennes intenses où les tenants du statu quo et les partisans d'une nouvelle économie européenne tournée vers les énergies vertes (la première des énergies vertes est bien entendu celle qu'on n'utilise pas) s'affronteront. 2050, c'est plus que jamais aujourd’hui ! Faudra-t-il boire jusqu'à la lie la piquette des énergies fossiles et nucléaires ? Au risque de nous retrouver plus dépendants encore et d'accepter d'aller toujours plus loin pour extraire notre poison : en Arctique, dans le grand Nord canadien ou dans les grandes profondeurs marines... Ou allons-nous accepter de nous sevrer sans attendre et bien sûr au prix de quelques efforts et de courage politique, d'une lutte ouverte contre les forces d'inertie de notre économie ?

C'est aujourd'hui qu'il faut virer la barre et changer de cap. Nos politiques auront d'ici Durban l'occasion de discuter et de décider. Deux sommets européens (juin et octobre) seront les points d'orgue de cet agenda politique. Une fois n'est pas coutume, nous en appelons au bon sens économique de nos dirigeants. En espérant qu'ils puissent aiguillonner leur sens de la responsabilité environnementale !