Aujourd’hui marque un jour important dans l’histoire du Japon. Pour la première fois depuis 1966, le pays boucle ce 15 septembre une année complète sans énergie nucléaire. Les 54 réacteurs japonais sont bel et bien restés au repos, sans qu’il n’y ait un seul black-out pour autant. Comment le Japon a-t-il réussi cette « prouesse » ? Et, surtout, quels enseignements pour la Belgique ?

Avant de vivre la catastrophe de Fukushima, le Japon était le troisième pays le plus nucléarisé du monde. Un véritable géant en la matière. La part du nucléaire y avait tout de même chuté au fil des années, passant de  36% en 1998 à 29% en 2010 (pour 55% chez nous).

Deux ans, ou presque (mars 2011 – septembre 2013), ont suffi au Japon, après Fukushima, pour fermer les 54 réacteurs nucléaires du pays. A l’époque, les pro-nucléaires avaient crié au fou, tout en prédisant les pires problèmes d’approvisionnement énergétique. Aucun black-out n’a pourtant dû être signalé, et ce grâce à une série de mesures pour le moins efficaces.

Des économies d’énergie

Quelle compensation pour cette perte de capacité de production nous direz-vous ? Un mix composé de gaz, de pétrole, de charbon, d’énergies renouvelables et d’une réduction de la demande à travers des économies d’énergie et une plus grande efficacité énergétique. Une réduction de la demande qui, avec les énergies renouvelables, compense 33% de la capacité de production perdue. Le pétrole et les centrales à charbon, sources énergétiques polluantes, occupent pour leur part 25% du mix énergétique de remplacement, le reste étant lié à un recours accru au gaz naturel.

Mais ce qui est surtout remarquable , ce sont les économies d’énergie réalisées, soit jusqu’à 78,9 TWh ! Des économies qui correspondent à :
-    La quasi-totalité de la production annuelle d’électricité en Belgique (environ 85 TWh)
-    La capacité de 13 grands réacteurs nucléaires
-    Une économie d’1,7 milliard de yen (environ 13 milliards d’€) liée aux coûts évités d’importation de combustibles fossiles

Et dans le même temps, la part des énergies renouvelables a fortement pris de l’ampleur au cours des deux dernières années. Les familles japonaises ont, à ce niveau, joué un grand rôle, plaçant en masse des panneaux solaires sur le toit de leur maison.  Au total, 680 000 installations d’énergies renouvelables ont été enregistrées entre juin 2012 et mai 2014 ! Et en 2013, la production renouvelable correspondait à celle de trois grands réacteurs (18,1 TWh).

Quels enseignements pour la Belgique ?

La Belgique dispose de 7 réacteurs, avec une capacité de production totale de 5800 MW. En ce moment, la moitié de cette capacité nucléaire est hors d’usage : deux des réacteurs sont fermés en raison de fissures dans la cuve du réacteur (Doel 3 & Tihange 2, avec une capacité totale de 2000 MW) tandis que Doel 4 (1000 MW) est fermé en raison de sabotage. L’année prochaine, Doel 1 & Doel 2 (capacité totale de 860 MW) prendront définitivement leur retraite, comme le prévoit la loi de sortie du nucléaire.

Comme le Japon, la Belgique a perdu, en peu de temps, une part importante de sa production nucléaire. Et comme au Japon, les craintes de black-outs sont régulièrement évoquées ce qui amène les négociateurs à envisager de revoir la loi de sortie du nucléaire. Une réaction qui n’a aucun sens : car il s’agirait de prolonger la dépendance de notre pays au nucléaire alors que c’est précisément cette source d’énergie qui est la cause des problèmes que nous connaissons actuellement !

L’expérience au Japon montre qu’en prenant les bonnes mesures, il y a moyen d’économiser beaucoup d’énergie en peu de temps tout en augmentant la part des énergies renouvelables. La Belgique doit en tirer les leçons et investir massivement dans des alternatives permettant de garantir l’approvisionnement énergétique. Ce n’est qu’ainsi que notre pays pourra s’affranchir du nucléaire.

Le Japon relancera-t-il ses centrales nucléaires ?

Le gouvernement actuel, dirigé par le Premier Ministre conservateur Abe, veut revoir l'intention du précédent gouvernement, qui était de fermer définitivement toutes les centrales japonaises d'ici 2030. 

MAIS :

Pour pouvoir redémarrer, les réacteurs doivent répondre à toute une série d'exigences de sécurité mises en place après la catastrophe de Fukushima. L'Autorité de Régulation Nucléaire japonaise (le pendant de l'AFCN ici en Belgique) étudie actuellement le dossier de 20 réacteurs. Le cas le plus avancé concerne deux réacteurs de la centrale nucléaire de Sendai, approuvés par l'Autorité de Régulation Nucléaire. Ce qui ne signifie pas pour autant que ceux-ci pourront être relancés à court terme. Plusieurs obstacles demeurent :

- sur le plan technique : il reste à voir si les mesures de sécurité supplémentaires, approuvées sur papier, peuvent être mises en pratique de manière efficace

- sur le plan démocratique : la résistance massive des autorités locales et du grand public devra être surmontée

- sur le plan juridique : plusieurs actions en justice ont été lancées contre la remise en service des deux réacteurs de Sendai (notamment car les plans d'urgence et d'intervention nucléaire ne sont pas satisfaisants)

Autre fait important : à partir de 2016, le marché de l'électricité japonais sera libéralisé. Dès lors, on peut douter que, dans un marché de l'électricité libéralisé, de très importantes sommes d'argent soient encore investies pour concrétiser des mesures de sécurité supplémentaires qui donneraient aux centrales une certaine rentabilité. Le Premier Ministre Abe, qui est pro-nucléaire, vise donc à introduire des mesures financières préférentielles supplémentaires pour les opérateurs des centrales nucléaires, à l'instar d'un prix de l'électricité garanti.