« Mon ami, je viens d’Irak et je suis sunnite, et mon voisin est un chiite iranien. Nous nous battons beaucoup (il fait mine de l’étrangler), mais ici, nous sommes les meilleurs amis du monde », répondit un grand-père de 50 ans lorsque je lui demandai d’où il venait. Il faisait déjà bien sombre, et c’était la dernière personne que j’ai pu aider en lui offrant un manteau d’hiver pour garder son petit-fils au chaud. La petite-fille de six ans de son voisin iranien a encore reçu un pull en laine avant la tombée de la nuit sur le camp de Grande-Synthe à Dunkerque.

Photo copyright: Leblon Jean-Yves

Pendant que nos confrères grecs travaillaient à Lesbos avec MSF pour sauver les réfugiés qui arrivent en bateau, quelques collègues belges se sont rendus le premier dimanche de janvier au camp de réfugiés de Dunkerque. Visiblement ébranlés par ce qu’ils y ont vu, ils m’ont convaincu, ainsi que quelques autres, d’y retourner avec un groupe de bénévoles encore plus nombreux. En fin de compte, dimanche dernier, nous avons franchi la frontière avec sept camionnettes occupées par 20 volontaires motivés de Greenpeace pour apporter autant d’aide et de matériel utiles que possible.

Dans ce camp, près de 2.800 réfugiés, parmi lesquels 800 femmes et enfants, croupissent dans des conditions inhumaines. Alors qu’un quartier résidentiel moderne se situe de l’autre côté de cette place non-aménagée, des centaines de familles tentent de survivre au quotidien dans ce qu’elles appellent « la jungle de l’enfer, à Dunkerque ».

Nous nous sommes unis à d’autres initiatives citoyennes britanniques et belges pour tenter de mettre un peu d’ordre dans le chaos du camp. Nous n’avons pas hésité à chercher les réfugiés les plus nécessiteux jusque dans leurs tentes. Les pantalons, vestes d’hiver, bonnes chaussures, couvertures, bouteilles d’eau et bougies étaient très demandés. Je n’oublierai jamais mon premier contact avec un jeune Irakien. Je m’approchais de sa tente quand un rat s’est soudain caché sous son tapis de sol. L’homme continua à regarder devant lui sans bouger, comme si c’était devenu la chose la plus normale du monde. Reconnaissant, il a pris une lampe de poche pour pouvoir entamer bientôt la traversée de nuit vers l’Angleterre. « Bonne chance », est la façon de se dire au revoir ici. Dans ces conditions pénibles, ça fait du bien d’apercevoir un sourire par-ci par-là.

Photo copyright: Leblon Jean-Yves

À l’entrée, la gendarmerie interdit tout ce qui pourrait contribuer à renforcer le camp. En toute logique, certains altruistes courageux tentent de faire rentrer des matériaux de construction par des chemins détournés. Quant au gouvernement français, son silence est assourdissant. Je pense souvent à sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cette devise ne signifie rien pour les réfugiés. La question est de savoir jusqu’où la France peut aller avant que les premiers décès ne se produisent. Il ne faut pas être docteur en médecine pour savoir qu’une combinaison de la boue, de restes de nourriture, d’eau stagnante et de rats est un cocktail idéal pour le déclenchement d’épidémies qui touchent principalement les femmes enceintes et les enfants. C’est navrant pour une superpuissance européenne dont les journaux s’exclamaient encore à la mi-novembre : « Où est l’humanité ? ».

Le plus tragique est la situation désespérée de ces réfugiés. La plupart ont payé un passeur qui, sous de fausses promesses, devait s’occuper de l’ensemble du trajet. Maintenant qu’ils sont arrivés jusqu’ici, ils n’ont aucune idée de ce qui va suivre. Personne n’en sait rien, en fait. Comment garder l’espoir avec une famille entière cachée dans la benne d’un camion ? Quand le gouvernement français va-t-il intervenir ? Combien de temps ce camp va-t-il encore rester là ? Pour l’instant, on ne peut que se perdre en conjectures. Nous nous préparons déjà pour une prochaine visite.

Copyright photos : Jean-Yves Leblon