Aucune digue n’est assez robuste pour refouler éternellement l’espoir humain. D’une manière ou d’une autre, la digue sera démantelée, forcée ou contournée. Il en va de même aujourd’hui en Europe : des milliers de personnes finiront par trouver refuge.  

Et pourtant, l’Union européenne persiste collectivement à penser qu’elle peut se soustraire à ses obligations humanitaires.

L’accord avec la Turquie conclu cette semaine est le dernier exemple en date de la transformation de vies humaines en simples chiffres que les dirigeants politiques européens, confrontés à la plus grande crise de réfugiés du continent depuis la Seconde Guerre mondiale, négocient en se chamaillant comme des marchands de tapis.

Renvoyer des réfugiés en Turquie après qu’ils ont traversé la mer jusqu’en Grèce est non seulement cruel, mais bafoue également leur droit à la protection en vertu du droit international et européen, comme l’a rappelé le HCR, l’agence de l’ONU pour les réfugiés. C’est moralement indigne et juridiquement bancal.

C’est de la folie de penser que la souffrance de ceux qui sont bloqués aux frontières dans la boue et la pluie glaciale va s’évanouir, qu’ils disparaîtront dans la nuit et qu’on n’entendra plus jamais parler d’eux. Leur volonté est intacte. L’espoir coule toujours dans leurs veines.

Depuis plus d’un an, la Grèce est la première étape pour des milliers de Syriens, d’Afghans et d’Irakiens qui ont pris tous les risques pour trouver la sécurité.

Aujourd’hui, les frontières du nord de la Grèce restant closes, ils sont toujours là à attendre.

Greenpeace et MSF en action pour les réfugiés

Et pourtant, d’autres réfugiés continuent à affluer, comme à Lesbos où depuis trois mois, Greenpeace aide Médecins Sans Frontières (MSF) à sauver des réfugiés en mer, en agissant là où les leaders européens échouent.

Il faut le voir pour le croire

Là où le bât blesse, c’est qu’il faut le voir pour le croire. Trop peu de gens ont vu et compris la gravité de la situation des 800.000 personnes arrivées dans mon pays l’année dernière après avoir traversé la mer Égée au péril de leur vie.

Quelles que soient les politiques menées à Bruxelles ou dans d’autres capitales européennes, on ne peut fermer les yeux sur la souffrance humaine et la dignité dont nous avons été témoins en Grèce.

J’en ai été le témoin. J’ai vu comment ces gens admirables se tenaient la tête haute, comment ils sont arrivés à bord de canots gonflables, dépourvus de tout sauf de la force et du courage de leurs rêves, afin de trouver un refuge pour leurs enfants ou leurs bébés parfois âgés de quelques jours ou de quelques semaines à peine.

J’ai également été témoin de la façon dont mon pays a réagi, dans la plus pure tradition grecque. J’ai vu la profondeur de la compassion, j’ai vu les Grecs cuisiner des repas, offrir des vêtements, ouvrir leur maison à ceux qui étaient dans le besoin. Je les ai vus sauver les réfugiés du naufrage et donner des funérailles dignes à ceux qui n’avaient pas survécu.

Jamais je n’aurais imaginé voir un jour les dirigeants européens tourner le dos aux réfugiés et les regarder se noyer.

Du nord de l’Europe aux Balkans, et finalement jusqu’en Turquie, toute l’énergie a été consacrée à fermer les frontières pour endiguer le flot des réfugiés, sans égard pour la tragédie de ces gens qui fuient la guerre, en quête de sécurité.

L’Europe parle de chiffres, pas d’êtres humains.

Et ici, en Grèce, je constate la réalité de l’échec de l’Europe. Je ne fermerai pourtant pas les yeux. Je ne peux pas, et je n’accepterai pas cette situation dans mon Europe. Nous valons mieux que cela, et nous demanderons des comptes aux dirigeants européens.

Alexandra Messare est Directrice de Programme pour Greenpeace Grèce.