Carrefour vient d’annoncer une nouvelle politique en matière d'achat d’'huile de palme. L’objectif de la deuxième plus grande chaîne de supermarchés du pays est clair : elle vise à ce que les produits de ses propres marques ne contiennent plus d'huile de palme contribuant à la déforestation.

La balle est désormais dans le camp de la plus grande chaîne de supermarchés du pays, Colruyt. Quand se décidera-t-elle à développer une politique de zéro déforestation crédible ? La question mérite encore plus d’être posée quand on sait qu’après Wilmar, c’est Cargill, autre grand négociant international en huile de palme, qui a pris les engagements nécessaires en faveur d’une politique de non déforestation.

A la fin de l'année passée, Greenpeace a mis Colruyt, Carrefour et Delhaize au défi. A travers notre "défi du tigre", nous les avons incités à revoir leur politique en matière d’achat d’huile de palme. Et à ne plus impliquer leurs clients dans la destruction des forêts tropicales. Rappelons que l'huile de palme est l'une des principales causes de déforestation en Indonésie. Un phénomène qui contribue au changement climatique et qui menace l'habitat des 400 derniers tigres de Sumatra.

Une récente étude montre à nouveau à quel point il est urgent d’agir. C’est en effet en Indonésie que le rythme de déforestation est le plus élevé. Entre 2000 et 2012, le pays a perdu 16 millions d'hectares de forêt, soit une surface égale à la… Grèce ! Et rien qu’en 2012, 840 000 hectares de forêt vierge y ont disparu, soit près du double du chiffre recensé au Brésil, qui est pourtant le précurseur historique en matière de déforestation dans les tropiques.

Après une campagne publique à laquelle des dizaines de milliers de personnes ont participé avec enthousiasme, Delhaize a été la première des trois chaînes de supermarchés de notre pays à s’engager, en février, en faveur d’une politique de non déforestation. Mais l’effet de notre campagne ne s’est pas uniquement limité à Delhaize. D'autres acteurs belges, comme le fabricant de biscuits Lotus et les entreprises de margarine Vandemoortele et Royale Lacroix ont également décidé d'opter pour un secteur de l'huile de palme qui protège les forêts au lieu de les détruire. Après de premières déclarations pour le moins hésitantes, Carrefour a rejoint ces entreprises au mois de juin.

Pour pouvoir protéger les forêts, il convient, bien entendu, de déterminer en premier lieu ce qui est une forêt et ce qui n'en est pas une. Avec The Forest Trust (TFT) et l'entreprise indonésienne d’huile de palme Golden Agri Resources (GAR), Greenpeace a mis au point une méthode pour identifier et protéger les différentes zones (forêts, tourbières, zones naturelles précieuses et terres arables de communautés locales) qui n'entrent pas en considération pour le développement de plantations. Une méthode nommée HCS (High Carbon Stock).

Celle-ci permet aux producteurs d'huile de palme de mettre en pratique leur politique de non déforestation. Avec le soutien de Greenpeace et de WWF, un certain nombre de producteurs se sont associés au sein du Palm Oil Innovation Group (POIG). Tous s'engagent à appliquer la méthode HCS et tous ont établi des critères et des indicateurs sur la base desquels leur politique peut être évaluée. De nombreuses entreprises de consommation, comme Delhaize et Procter & Gamble, référent d’ailleurs au HCS dans leur politique d'achat d'huile de palme. Tandis que Carrefour soutient clairement l'initiative.

Les producteurs d’huile de palme n’ont dès lors d’autre choix, vu les exigences de nombreuses entreprises, de mettre leur casquette écologique pour offrir une huile de palme « propre ». Ce qui ne signifie pas qu’on ne doit plus être attentif au « greenwashing » (procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation dans le but de se donner une image écologique responsable), que du contraire ! Nous devons rester plus que vigilants.

Au début du mois de juillet, un certain nombre de grands producteurs d'huile de palme, dont Sime Darby, Musim Mas, KLK et Asian Agri, ont présenté le « Sustainable Palm Oil Manifesto ». Un document à travers lequel les signataires s'engagent, selon leurs propres dires, à ne plus contribuer à la déforestation.

Mais « ne plus contribuer à la déforestation » est une notion extrêmement relative pour ces entreprises. En effet, au lieu d'appliquer la méthode HCS existante, les partisans du manifeste veulent d'abord la soumettre à une évaluation. Et refusent, avant d’avoir obtenu son résultat, de mettre un terme à la déforestation. Bien sûr, un « affinement » du HCS sera certainement le bienvenu mais il ne doit, en aucun cas, constituer un prétexte pour justifier la destruction des forêts.

Pour les entreprises qui ont promis d'exclure la déforestation de leurs produits, le message est limpide : elles ne doivent surtout pas se laisser abuser par des initiatives nébuleuses comme le « Sustainable Palm Oil Manifesto ». Elles doivent, au contraire, utiliser leur puissance, leur influence pour exiger des actions énergiques de la part de leurs fournisseurs d'huile de palme. A moins qu’elles souhaitent à nouveau mêler leurs clients à la déforestation…

La nouvelle politique de Carrefour en matière d'achat d’huile de palme est quoi qu’il en soit une nouvelle avancée significative pour la protection des forêts. Car désormais, deux des trois principales chaînes de supermarchés belges sont en voie de proposer une huile de palme « libre de déforestation ».

Greenpeace suivra de près la mise en pratique de cette politique, qui doit se concrétiser plus rapidement que prévu dans les plans de Carrefour et qui doit être plus stricte. De son côté, Colruyt ne semble pas sourciller, préférant s'en tenir à la certification RSPO, une certification déficiente. La plus grande chaîne de supermarchés de Belgique ouvrira-t-elle enfin les yeux ? Si elle ne veut pas rester à la traîne, elle doit dès à présent s’interroger et travailler d’arrache-pied pour éliminer de ses propres marques l’huile de palme contribuant à la déforestation.