Vous les avez sans doute aperçus dans la presse entre deux gorgées de café. Ou encore en surfant sur les réseaux sociaux au cours des jours précédents. Mais oui, vous savez, je vous parle de ces slogans habiles et racoleurs comme "L’huile de palme est responsable de l’extinction des dinosaures" ou encore "Le soir où le Titanic a coulé, il y avait de l’huile de palme à bord". Et encore, je ne cite ici que deux exemples. Deux exemples qui sont le fruit d’une fine campagne de communication, destinée à redorer le blason de l’huile de palme, souvent décriée pour son impact environnemental néfaste et sa mauvaise qualité nutritionnelle.

A-t-elle eu de l’effet sur vous ? Vous a-t-elle fait sourire ? Peut-être… mais vous êtes-vous aussi demandé qui était à l’origine de cette opération de séduction, lancée le mois dernier en France et en Belgique ? Je vous le donne en mille : le Conseil malaisien de l’huile de palme, qui n’est autre qu’une initiative du secteur privé malaisien de l’huile de palme et du gouvernement du même pays. Et quelles sont, entre autre, ses missions ? Promouvoir l’huile de palme et veiller à la bonne réputation du secteur malaisien. Ben tiens…

Promouvoir coûte que coûte

A travers sa campagne de communication, le Conseil malaisien de l’huile de palme se veut volontairement ironique. "Puisqu’on dit tout et n’importe quoi sur l’huile de palme, allons-y, poussons le bouchon encore plus loin, jusqu’à en être ridicule." La raison ? La campagne de produits "zéro huile de palme" menée en Belgique a préoccupé le Conseil malaisien, comme le démontre son rapport annuel 2014. Une enquête réalisée cette année ne l’a pas plus rassuré puisqu’elle mettait en évidence l’image négative que véhicule l’huile de palme en Italie, en France et en Belgique francophone.

Il fallait donc y remédier. Le Conseil malaisien de l’huile de palme s’est dès lors exécuté. Qu’en penser me direz-nous ? Bien sûr, l’huile de palme n’est en rien responsable de l’extinction des dinosaures ou du naufrage du Titanic. Mais son impact sur la destruction des forêts, lui, est bien réel. Chez Greenpeace, nous ne pouvons que regretter qu’un argument si faible soit utilisé pour nier un problème d’ampleur internationale et, surtout, de voir une campagne à la ligne aussi défensive émerger dans la presse, sur notre fil d’actualité Facebook ou encore entre les tweets de nos abonnés.

Un élan sans précédent guide pourtant les grands acteurs du secteur de l’huile de palme, qu’ils soient producteurs, négociants ou acheteurs. Voilà plusieurs années qu’ils œuvrent main dans la main  afin d’exclure l’huile de palme issue de la déforestation, répondant là constructivement aux campagnes menées par plusieurs ONG, dont  Greenpeace.

"Pas de problème"

Evidemment, certains préfèrent toujours rester en queue de peloton, freinant le wagon en marche. Je pourrais, notamment, citer les Malaisiens IOI et Kuala Lumpur Kepong (KLK). Et aussi faire référence aux déclarations de Yusof Basiron, CEO du Conseil malaisien de l’huile de palme, dans le média environnemental Mongabay : "Il n’y a pas de problème de déforestation en Malaisie. 80% des forêts de Sarawak (NLDA : le plus grand état de Malaisie, sur l’ile de Bornéo) sont toujours sous-développées." Celui-ci remettait même une couche par la suite sur son compte Twitter : "Il n’y pas de déforestation par définition légale : les terres identifiées par le gouvernement pour un usage agricole ne peuvent rester à l’état de jungle et doivent être déboisées et cultivées. " Tout va bien quoi…

Certes, des progrès ont été faits. Et Greenpeace les a soulignés. Mais nier la réalité comme semble le faire le Conseil malaisien de l’huile de palme est complètement contreproductif. Dans un rapport publié plus tôt cette année, le think tank britannique Chatham House souligne l’importance du taux de déforestation en Malaisie entre 2000 et 2012. Un phénomène regrettable principalement provoqué par l’exploitation du bois, de la pâte à papier et de l’expansion agricole, production d’huile de palme et de caoutchouc incluse. Selon l’institution britannique, les plantations de palmiers à huile couvraient 3,4 millions d’hectares en 2000 et… 4,7 millions d’hectares en 2009. Un chiffre qui devrait passer à 5,6 millions d’hectares si l’on en croit les plans d’expansion du secteur et la demande mondiale croissante en huile de palme.

La bonne foi, pas le déni

Tout va si bien que ça, messieurs du Conseil malaisien de l’huile de palme ? Arrêtons cette hypocrisie, cette propagande mal placée. La déforestation vous concerne. Inutile de nier le problème, auquel la production d’huile de palme contribue. Les solutions existent, mais nous avons besoin de tous les acteurs pour les mettre en pratique. Des acteurs qui travailleront de bonne foi dans la même direction. Car oui, une huile de palme propre est possible. Elle reste actuellement trop peu présente pour satisfaire la demande, mais le processus devrait s’accélérer bientôt avec la mise en œuvre des engagements déjà pris par le secteur privé.

Plusieurs grandes entreprises, telles que Cargill, APP, Danone, Wilmar, Nestlé, Ferrero, Unilever, Delhaize ou encore Procter & Gamble se sont engagées sur la voie de l’huile de palme sans déforestation. Mais ces engagements produisent actuellement trop peu d’effets sur le terrain. Chez nous aussi, des compagnies planchent sur le sujet au sein de l’Alliance belge pour une huile de palme durable. Il est essentiel d’aller plus loin que les belles paroles ou les écrits. Nous attendons des entreprises du secteur qu’elles éliminent la déforestation et les injustices sociales de leur chaîne d’approvisionnement, qu’elles tracent leur production de A à Z, qu’elles appliquent les critères environnementaux et sociaux les plus élevés et qu’elles rendent compte publiquement et périodiquement de leurs engagements.

Pas de doute, si le secteur de l’huile de palme consacre autant d’efforts pour protéger les forêts que pour mener des campagnes de communication, si les pays producteurs comme la Malaisie et l’Indonésie s’engagent, aux côtés des entreprises, à stopper la déforestation alors c’est sûr, la voie vers une huile de palme propre sera toute tracée…