Jonas, chargé de campagne Océans

Bonjour, je m’appelle Jonas Hulsens. Je travaille en tant que chargé de campagne chez Greenpeace. Au cours des trois dernières années, je me suis consacré à la campagne pour une agriculture durable. J’ai découvert comment, en Amérique du Sud, des milliers d’hectares de soja génétiquement modifié étaient cultivés pour nourrir les cheptels d’Europe. De ce fait, des forêts précieuses disparaissent pour laisser la place aux champs de soja tandis que les paysans les plus pauvres sont pénalisés par l’industrie du soja.

Le récit des pêcheurs africains qui visitent actuellement l’Europe, sur invitation de Greenpeace, présente des similitudes frappantes avec la problématique du soja. De petits pêcheurs artisanaux du Sénégal, de la Mauritanie et du Cap-Vert constatent, avec préoccupation, de quelle façon de grands navires de pêche européens pillent leurs eaux et détruisent les écosystèmes marins. « Un tel navire prélève, en une seule journée, ce que nous mettons un mois à pêcher », me déclare Ameth Wade du Sénégal. À cause de l’activité des navires étrangers, les pêcheurs voient diminuer leurs captures et leurs revenus. Ils doivent aller de plus en plus loin et de plus en plus longtemps en mer avec, pour conséquence, des frais et des risques élevés. Ou alors, ils déboursent de grosses sommes d’argent pour aller tenter leur chance ailleurs en tant que migrants.

Tandis que l’Union européenne (UE) tient ses portes fermées à ces migrants de l’Afrique de l’Ouest, elle inonde nos marchés de poissons provenant de ces mêmes côtes. 60% de l’ensemble des poissons capturés en milieu sauvage sont importés, une part notable provenant de l’Afrique. Par ailleurs, l’Europe soutient ces pratiques par des recettes fiscales. 

L’Afrique nourrit l’Europe
Par le biais d’accords de pêche, l’UE achète en quelque sorte des cartes d’accès aux eaux étrangères pour la flotte européenne. À l’heure actuelle, l’UE compte 16 accords de ce genre, dont sept avec des pays d’Afrique de l’Ouest. Pour bon nombre de gouvernements d’Afrique de l’Ouest, il s’agit là d’une source de revenus bienvenue. En contrepartie, ils sont supposés mettre en œuvre une meilleure gestion des stocks halieutiques. Toutefois, selon les pêcheurs artisanaux d’Afrique de l’Ouest, cela se remarque peu. « Depuis le début des années 90, nos captures diminuent de façon drastique », déclare Mamadou Diop Thioune, l’un des pêcheurs qui visite la Belgique. « L’Afrique nourrit l’Europe mais, bientôt, nous n’aurons nous-mêmes plus rien à manger. »

Pourquoi l’UE laisse-t-elle ses navires de pêche industriels épuiser les eaux des pays en développement et va-t-elle même jusqu’à les encourager? Parce que les eaux européennes ne sont plus en mesure de répondre à la demande croissante de poissons et crustacés. En raison de la surpêche pratiquée durant des années, près de 90% des stocks halieutiques se trouvent dans une situation critique. Mais au lieu de réduire la capacité de sa flotte, l’UE exporte la surpêche vers d’autres parties du monde.

Comme bien des personnes, je souhaiterais savoir si la nourriture atterrit dans mon assiette de façon équitable, avec une empreinte écologique aussi réduite que possible et, de préférence, à un coût abordable. Eh bien, en raison de la politique européenne de la pêche actuelle, nous payons pas moins de trois fois : d’abord, sous la forme de subventions à la pêche, ensuite, pour la réparation des dommages écologiques et, enfin, pour le poisson que nous payons à la caisse de la poissonnerie ou du supermarché. Ce n’est pas de la bonne gestion mais du gaspillage.

Les stocks halieutiques doivent se rétablir
Entre le moment présent et 2013, la politique européenne de la pêche sera révisée et nous aurons l’opportunité de mettre en œuvre une pêche durable. Les scientifiques préviennent qu’il est presque trop tard. L’aspect écologique a été si peu pris en compte que même la durabilité économique et sociale de la pêche est mise en cause, comme le démontre le récit des pêcheurs africains. La pêche peut retrouver un second souffle, à condition que les stocks halieutiques puissent se rétablir. Pour cela, l’UE doit limiter de façon drastique la capacité de sa flotte et une meilleure gestion des stocks ainsi que des méthodes de capture durables s’avèrent nécessaires, tant dans ses propres eaux qu’à l’extérieur.

Greenpeace souhaite que la Belgique, en tant que pays côtier disposant d’une petite flotte (qui, pour être précis, n’est pas active dans les eaux des pays en développement) s’érige en tant que défenseur d’une pêche durable au cours des prochaines négociations. La visite des pêcheurs africains en Belgique a été une première occasion de confronter nos politiciens aux faits. Nous avons rencontré le ministre-président flamand Kris Peeters et quelques sénateurs flamands et les avons emmenés à Ostende pour un lunch avec des pêcheurs flamands.

Kris Peeters a promis d’aborder le problème lors des discussions sur la réforme de la politique européenne de la pêche, à l’automne 2011. Nous verrons s’il tiendra parole.