Du bois provenant d’entreprises forestières qui financent les rebelles dans le conflit sanglant en République Centrafricaine trace sa route vers le marché européen. Ce “bois de conflits” arrive aussi en Belgique, selon un rapport de Global Witness.

Du bois de sciage exporté par l’entreprise libanaise SEFCA a été retrouvé au mois de mai chez le négociant en bois Byttebier à Lier (province d’Anvers). L’ONG Global Witness a étudié le rôle que SEFCA joue dans l’exploitation forestière illégale qui se pratique en République Centrafricaine et comment elle finance les rebelles Séléka à travers un commerce de bois lucratif.

D’un plan d’action à un règlement sur le bois
Sous pression d’organisations environnementales comme Greenpeace, l’Union européenne a décidé en 2003 de s’attaquer au commerce de bois illégal sur son territoire, en élaborant un plan d’action ambitieux, appelé FLEGT, soit l’acronyme anglais pour Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux. Ses efforts ont été couronnés par l’adoption du Règlement Bois de l’Union européenne de 2013, interdisant toute importation de bois illicite. (le respect de cette réglementation s’avère être une autre paire de manches, comme nous l’avons déjà dénoncé plus d’une fois).
FLEGT n’avait pas seulement pour objectif de sanctionner le commerce de bois illégal au sein de l’UE. C’était aussi un moyen pour l’Europe d’offrir son soutien aux premiers pays producteurs de bois dans leur lutte conte l’exploitation forestière illégale. Pour ce faire, l’UE a conclu des accords de partenariat volontaires avec certains d’entre eux, tels l’Indonésie, le Cameroun, le Congo-Brazzaville et la République Centrafricaine, dans le but d’agir contre la récolte illégale et de promouvoir un politique forestière plus responsable.
Manque d’attention
Le “bois de conflits” est l’une des 7 priorités définies dans le plan d’action FLEGT, mais après plus de 10 ans, nous constatons que la Commission européenne et les États membres y ont consacré trop peu d’attention. Les conséquences qui en découlent se ressentent en République centrafricaine, qui est déchirée par la guerre.
L’Europe est le principal débouché pour le bois en provenance de ce pays, où l’industrie forestière et les autorités sont caractérisées par une corruption massive. La République centrafricaine est frappée par la pauvreté et le gouvernement n’est pas en mesure de contrôler le commerce du bois. Le coup d’état sanglant de 2013 et les affrontements successifs ont coûté la vie à 5 000 personnes et conduit au déplacement d’un million d’autres.
Un an plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU a publié un rapport stipulant que plusieurs parties impliquées dans les conflits armés étaient financées par l’industrie forestière grâce à des mécanismes de corruption et d’extorsion par les rebelles.
Massacre, enlèvement et viol
Mi-juillet, l’organisation britannique Global Witness a publié une étude détaillée qui démontre comment les grandes entreprises forestières au Liban (SEFCA), en Chine (Vicwood) et en France (IFB) ont contribué de manière néfaste au conflit, en enrichissant les rebelles centrafricains. Ces mêmes rebelles sont les auteurs de massacres, d’enlèvements, de viols et du recrutement d’enfants soldats. Selon Global Witness, les rebelles ont touché plus de 3,4 millions d’euros d’entreprises forestières en 2013.
Global Witness relève également que, malgré l’engagement de l’Union européenne à lutter contre l’exploitation forestière illégale dans le pays centrafricain, elle a toujours passé sous silence quel rôle le commerce forestier joue dans le conflit. L’importation de bois centrafricain en UE par des entreprises comme SETCA est sans aucun doute une infraction à la règlementation européenne sur le bois, car, vu les circonstances, les importateurs européens sont incapables de rassembler les éléments de preuve nécessaires pour démontrer que le bois a été abattu légalement.

Des “diamants de conflits” au “bois de conflits”
Tout bois commercialisé par des entreprises qui contribuent au financement de conflits armés doit être considéré comme du “bois de conflits”, par analogie avec les “diamants de conflits“ qui ont joué un rôle néfaste dans le financement de conflits extrêmement violents dans des pays comme l’Angola, le Libéria et la Sierra Leone.
En collaboration avec Global Witness, Greenpeace milite depuis plus de 10 ans pour une interdiction internationale du bois issu de zones de conflit. En 2001-2002, Greenpeace a lancé une série de campagnes en Europe pour protester contre l’importation de bois libérien par des négociants européens. Bien qu’il eût déjà été démontré noir sur blanc que les revenus du commerce de bois étaient destinés au financement de la guerre, ce n’est qu’après bien trop de tergiversations que le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé enfin d’interdire aussi le commerce de bois de conflits provenant du Libéria.
Jusqu’à la veille des sanctions de l’ONU, les grandes entreprises forestières ne se sont pas gênées pour poursuivre leur commerce de “bois de conflits”, sous prétexte que ce n’était pas illégal. De nombreux rapports avaient pourtant déjà été publiés, sur demande du Conseil de sécurité, dévoilant le rôle néfaste qu’avait joué le commerce de bois dans la guerre civile libérienne.
Du bois sans sang
Tout comme au Libéria, nous ne pouvons pas compter sur les principes moraux du commerce de bois. L’étude effectuée par Global Witness démontre clairement que les négociants de bois implantés en France et en Allemagne ont commercialisé d’énormes quantités de “bois de conflits” sur le marché européen au cours des dernières années. Une partie de ce bois trace également sa route vers la Belgique.
En mai 2014, les autorités belges ont saisi une cargaison de diamants en provenance de la République centrafricaine. De telles mesures auraient aussi dû être prises pour toutes ces cargaisons de bois importées de la République Centrafricaine au cours des dernières années.
Pour Greenpeace il n’y a aucun doute : l’importation de ce bois est contraire au Règlement Bois de l’Union européenne, étant donné qu’il est impossible, dans le contexte actuel, d’apporter des preuves crédibles sur la légalité du bois commercialisé.
Prévenir la mise sur le marché belge de bois dur africain, souillé de sang, est bien la moindre des choses que l’on puisse attendre de notre gouvernement, n’est-ce pas ?

Filip Verbelen

About the author

Filip Verbelen
Philippe Verbelen (1968) uit Gent werkt sinds 1992 voor Greenpeace en is al meer dan 15 jaar betrokken bij de campagnes voor de bescherming van de oerbossen in ondermeer Canada, Zuidoost-Azië en in Centraal Afrika. "Tijdens mijn vele verblijven in Indonesië en in het Congo-bekken documenteer ik hoe bosvernietiging vaak leidt tot grote sociale conflicten en het verdwijnen van zeldzame planten en dieren. In naam van “ontwikkeling” worden bossen platgebrand of omgehakt voor exportproducten zoals tropisch hardhout, palmolie en pulp en papier, maar de aangerichte ravage op sociaal en ecologisch vlak is vaak onherstelbaar. Met onze internationale campagnes zetten we regeringen en grote bedrijven onder druk om ontbossing te vermijden." --- Philippe Verbelen (né en 1968) est Gantois et travaille depuis 1992 pour Greenpeace. Depuis plus de 15 ans, il est impliqué dans les campagnes pour la protection des forêts anciennes au Canada, en Asie du Sud-Est et en Afrique centrale. "Mes séjours en Indonésie et dans le bassin du Congo m’ont permis de faire le lien entre destruction forestière et conflits sociaux d’une part et disparition de plantes et animaux rares d’autre part. Au nom du développement, des forêts entières disparaissent pour finir en produits d’exportation comme le bois dur tropical ou l’huile de palme. Les ravages causés aux niveaux social et écologique sont souvent irréversibles. Avec nos campagnes internationales, nous mettons sous pression les gouvernements et les grandes entreprises pour qu’ils évitent la déforestation."