Des militants de Greenpeace occupent le siège Europe / Afrique de l'entreprise Monsanto à Bruxelles.
Cette décision risque d'avoir des répercussions majeures sur le
droit des agriculteurs de conserver les semences et de pratiquer
l'agriculture sans OGM. Monsanto est le premier producteur mondial
de semences génétiquement modifiées, avec plus de 90 % des semences
GM semées dans le monde en 2003.
Contexte
Le canola génétiquement modifié fut introduit au Canada au
milieu des années 1990. Depuis ce temps, il est devenu pratiquement
impossible d'y cultiver le canola non-GM. La pollinisation croisée
endémique, la diffusion facile des semences, la longue dormance de
celles-ci et l'inexistence d'une réglementation sur la ségrégation
des récoltes ont eu comme résultat une contamination généralisée du
canola non-GM par le canola GM au Canada. Depuis le milieu des
années 1990, le Canada a perdu plus de 300 millions de dollars en
ventes annuelles de canola à l'Union européenne et il est devenu
extrêmement difficile de produire du canola biologique. Ce sont les
agriculteurs et agricultrices, et non Monsanto, qui portent
actuellement le fardeau des pertes causées par la contamination
génétique.
La plupart des agriculteurs ne disposent pas de la capacité
financière ou du temps pour mener une bataille juridique de longue
haleine contre une société privée comme Monsanto. Celle-ci est
ainsi capable de recourir à l'arme judiciaire, de menacer de le
faire ou de laisser entendre qu'elle le fera pour intimider les
agriculteurs et les contraindre à payer des frais d'utilisation de
technologie et des dommages et intérêts pour avoir simplement
conservé et utilisé des semences - alors que cette pratique est
pourtant une tradition aussi vieille que l'agriculture elle-même.
Cette tactique a été utilisée partout en Amérique du Nord pour
forcer les agriculteurs à accepter la réalité des semences GM -
c'est-à-dire que celles-ci appartiennent à Monsanto et non pas à
l'agriculteur. Monsanto utilise des tactiques similaires pour
obtenir des redevances de brevet des agriculteurs du Brésil et
d'Argentine, y compris la menace de tester le soya importé dans les
ports états-uniens et d'imposer une taxe à l'importation sur les
chargements dans lesquels ils décèleraient leurs variétés
génétiquement modifiées.
Qui est Percy Schmeiser?
Percy Schmeiser est un agriculteur de 72 ans de Bruno,
Saskatchewan. Il pratique l'agriculture avec son épouse Louise
depuis 1947. Il développe depuis plus de 50 ans sa propre variété
de canola en conservant ses semences et en les ressemant année
après année. Cette pratique a permis à Percy de développer une
variété unique de canola qui, à ses dires, est parfaitement adaptée
aux conditions locales. Cette oeuvre d'une vie entière a été
détruite par la contamination de canola GM et par le jugement à
l'effet que les semences de Schmeiser appartiennent à Monsanto.
Depuis qu'il fait l'objet d'une poursuite de Monsanto,
Schmeiser, un dirigeant local de longue date et un défenseur des
droits des agriculteurs, voyage partout au monde pour faire
connaître son combat. Le stress et les frais de cette bataille
juridique prolongée ont ruiné Percy et sa famille. Malgré les dons
des personnes et des organismes qui les appuient, les Schmeiser ont
dû s'endetter pour payer les frais juridiques (incluant ceux de
Monsanto).
Qu'est-ce que le canola Roundup Ready?
Le canola Roundup Ready est une variété de canola qui a été
génétiquement modifiée pour résister à l'herbicide Roundup
(glyphosate) de Monsanto. En 1993, Monsanto a breveté les gènes,
ainsi que les cellules contenant ces gènes, qui donnent au canola
ainsi modifié cette résistance à l'herbicide.
Les agriculteurs qui veulent semer le canola Roundup Ready
doivent signer un contrat d'utilisation de technologie et payer
jusqu'à 15 $ l'acre (0,4 ha) par année. Ce contrat de licence
comporte des clauses à l'effet que l'agriculteur ne peut conserver
ses semences pour les ressemer l'année suivante et qu'il ne peut
poursuivre Monsanto si la récolte échoue.
Monsanto contrôle et effectue des essais sur les récoltes des
agriculteurs qu'elle soupçonne d'utiliser du canola Roundup Ready
sans licence. Cette société encourage les agriculteurs à dénoncer
leurs homologues soupçonnés d'utiliser les semences sans licence en
appelant un numéro de téléphone spécialement créé à cette fin.
Malgré ces mesures, Monsanto n'a jamais pu démontrer que M.
Schmeiser avait obtenu des semences Roundup Ready illégalement.
Elle a retiré ses allégations initialement présentées devant la
cour à l'effet que celui-ci avait acheté et semé de telles
semences.
Antécédents
En 1997, Percy Schmeiser, alors qu'il aspergeait comme à
l'habitude de l'herbicide le long d'un fossé, découvrit que
certaines de ses plantes étaient résistantes à l'herbicide. Comme
il n'avait jamais planté du canola Roundup Ready, il conclut que du
pollen transporté par le vent avait probablement contaminé ses
cultures. Malgré sa découverte, comme toujours, il conserva une
partie de sa récolte pour la ressemer l'année suivante.
En août 1998, Monsanto intenta une poursuite contre Schmeiser
pour contrefaçon de brevet. Monsanto allégua que Schmeiser avait
acheté et semé sans licence du canola contenant des gènes et des
cellules brevetées et vendit ensuite sa récolte, contrefaisant
ainsi le brevet de cette société.
En mars 2001, la Cour fédérale du Canada trancha que Schmeiser
était responsable d'avoir contrefait le brevet de Monsanto. Bien
que la Cour ne trouva aucune preuve que Schmeiser avait
délibérément contaminé ses cultures avec les semences de Monsanto,
elle jugea que le fait que Schmeiser avait semé du canola contenant
les gènes et les cellules brevetées signifiait que Schmeiser avait
violé le brevet de Monsanto, peu importe la façon dont le matériel
génétique en question s'était introduit dans le canola de ce
fermier. Par conséquent, parce qu'il savait ou aurait dû savoir que
la semence était génétiquement modifiée, il n'aurait pas dû la
semer.
Schmeiser fit appel de la décision, et en mai 2002, sa cause fut
entendue à la Cour d'appel fédérale. La Cour d'appel confirma la
décision de la cour inférieure, en rendant une décision unanime en
faveur de Monsanto.
Schmeiser fit appel une nouvelle fois et en janvier 2004 sa
cause fut entendue en appel devant la Cour suprême du Canada, avec
le triste résultat que l'on connaît.
Questions débattues à la Cour suprême
Les trois principales questions débattues à la Cour suprême sont
:
1) La validité et la portée des brevets sur le matériel
génétique.
Schmeiser témoigna que, dans les faits, le brevet de la société
Monsanto sur les gènes et les cellules trouvés dans le canola
confère à celle-ci des droits sur l'ensemble de la plante de
canola; et puisque les plantes constituent des entités non
brevetables, le brevet de Monsanto est invalide. Cet argument est
basé sur la cause Harvard Mouse (ou Oncomouse), une cause entendue
en 2002 dans laquelle la Cour suprême jugea que les formes de vie
supérieures, c'est-à-dire les animaux et les plantes, ne peuvent
être brevetées au Canada. Greenpeace fut un des intervenants dans
la cause Harvard Mouse.
2) Quel type d'utilisation constitue une contrefaçon de
brevet?
Si la Cour conclut que le brevet de Monsanto est valide, elle
doit déterminer quel type d'utilisation de la matière brevetée
constitue une contrefaçon du brevet. De manière plus spécifique,
elle doit déterminer si la contrefaçon couvre tous les cas où
l'invention est utilisée, ou si celle-ci est limitée aux
circonstances dans lesquelles l'invention brevetée est exploitée
délibérément.
Dans cette cause, Schmeiser témoigna que puisqu'il n'avait pas
exploité l'invention de Monsanto, il n'avait pas contrefait le
brevet de Monsanto. Schmeiser n'a jamais aspergé son canola de
Roundup et n'a donc jamais profité de leur résistance aux
herbicides et n'a jamais profité d'aucune façon de la présence du
matériel breveté de Monsanto dans ses cultures. Monsanto répondit
qu'en semant, en élevant et en récoltant du canola génétiquement
modifié, Schmeiser avait utilisé l'invention brevetée de la société
et que cette utilisation constituait une contrefaçon.
3) Le problème de la victime innocente
Si la définition plus large de contrefaçon de Monsanto est
acceptée (c'est-à-dire la contrefaçon par l'utilisation plutôt que
par l'exploitation de matière brevetée), cela posera un sérieux
problème pour les "victimes innocentes" comme Schmeiser qui
utilisent la matière brevetée sans le vouloir, sans être
responsable de la présence de cette matière brevetée.
Schmeiser témoigna que lorsque la matière brevetée se mélange
passivement et par inadvertance avec d'autres plantes n'appartenant
pas au détenteur du brevet, le propriétaire de ces plantes ne
devrait pas être tenu responsable envers le détenteur du brevet.
Dans de tels cas, il faudrait plutôt protéger la victime innocente
au moyen d'une licence implicite du détenteur de brevet. Monsanto
répondit en maintenant qu'aucune exception particulière à la
contrefaçon ne devrait être appliquée dans ce cas. Selon Monsanto,
Schmeiser utilisa les semences modifiées en toute connaissance de
cause et, ce faisant, contrefit le brevet de Monsanto.
Conséquences de la décision
La décision que la Cour suprême a rendu sur cette cause aura des
conséquences majeures sur le droit des brevets, les agriculteurs et
l'avenir de l'industrie des biotechnologies au Canada.
Ce jugement ignore la contamination généralisée dont Monsanto
est responsable. Essentiellement, la décision de la Cour suprême
est un revers pour les agriculteurs qui désirent continuer à
cultiver des champs sans OGM. C'est pour cela que Greenpeace
demande la mise en place d'un régime de responsabilité civile
stricte pour protéger l'environnement et les agriculteurs contre
les contaminations
génétiques causées par les entreprises comme Monsanto.
Ressources et hyperliens
Site Internet de Percy Schmeiser : www.percyschmeiser.com
Reportage de la Société Radio-Canada sur Percy Schmeiser : http://tv.cbc.ca/national/pgminfo/canola/
Poursuite des agriculteurs biologiques canadiens contre Monsanto
: http://www.saskorganic.com/oapf/french.html
Entrevue de Percy Schmeiser publiée dans la revue ACRES : http://www.percyschmeiser.com/AcresUSAstory.pdf
Documents juridiques déposés et matériel afférent :
http://www.canadians.org/browse_categories_fr.htm?COC_token=coc_token&step=2&catid=267&iscat=1