Percy Schmeiser contre Monsanto

Le pollueur payé

Actualité - mai 21, 2004
Percy Schmeiser est un agriculteur canadien poursuivi en cour par Monsanto suite à la découverte de canola génétiquement modifié (GM) sur sa ferme. Après six années de batailles juridiques dans les tribunaux inférieurs, la Cour suprême du Canada, l'autorité judiciaire ultime au Canada, a rendu son jugement sur ce litige. Dans une décision de 5 contre 4, la Cour suprême est d´avis que l'agriculteur Percy Schmeiser a violé le brevet de l'entreprise Monsanto sur le canola OGM. La firme multinationale prétend que celui-ci ne s´est pas procuré la licence nécessaire qui lui aurait permis de cultiver du canola OGM. Les champs de canola de M. Schmeiser ont été contaminés par des cultures transgéniques situées à proximité de sa ferme.

Des militants de Greenpeace occupent le siège Europe / Afrique de l'entreprise Monsanto à Bruxelles.

Cette décision risque d'avoir des répercussions majeures sur le droit des agriculteurs de conserver les semences et de pratiquer l'agriculture sans OGM. Monsanto est le premier producteur mondial de semences génétiquement modifiées, avec plus de 90 % des semences GM semées dans le monde en 2003.

Contexte

Le canola génétiquement modifié fut introduit au Canada au milieu des années 1990. Depuis ce temps, il est devenu pratiquement impossible d'y cultiver le canola non-GM. La pollinisation croisée endémique, la diffusion facile des semences, la longue dormance de celles-ci et l'inexistence d'une réglementation sur la ségrégation des récoltes ont eu comme résultat une contamination généralisée du canola non-GM par le canola GM au Canada. Depuis le milieu des années 1990, le Canada a perdu plus de 300 millions de dollars en ventes annuelles de canola à l'Union européenne et il est devenu extrêmement difficile de produire du canola biologique. Ce sont les agriculteurs et agricultrices, et non Monsanto, qui portent actuellement le fardeau des pertes causées par la contamination génétique.

La plupart des agriculteurs ne disposent pas de la capacité financière ou du temps pour mener une bataille juridique de longue haleine contre une société privée comme Monsanto. Celle-ci est ainsi capable de recourir à l'arme judiciaire, de menacer de le faire ou de laisser entendre qu'elle le fera pour intimider les agriculteurs et les contraindre à payer des frais d'utilisation de technologie et des dommages et intérêts pour avoir simplement conservé et utilisé des semences - alors que cette pratique est pourtant une tradition aussi vieille que l'agriculture elle-même. Cette tactique a été utilisée partout en Amérique du Nord pour forcer les agriculteurs à accepter la réalité des semences GM - c'est-à-dire que celles-ci appartiennent à Monsanto et non pas à l'agriculteur. Monsanto utilise des tactiques similaires pour obtenir des redevances de brevet des agriculteurs du Brésil et d'Argentine, y compris la menace de tester le soya importé dans les ports états-uniens et d'imposer une taxe à l'importation sur les chargements dans lesquels ils décèleraient leurs variétés génétiquement modifiées.

Qui est Percy Schmeiser?

Percy Schmeiser est un agriculteur de 72 ans de Bruno, Saskatchewan. Il pratique l'agriculture avec son épouse Louise depuis 1947. Il développe depuis plus de 50 ans sa propre variété de canola en conservant ses semences et en les ressemant année après année. Cette pratique a permis à Percy de développer une variété unique de canola qui, à ses dires, est parfaitement adaptée aux conditions locales. Cette oeuvre d'une vie entière a été détruite par la contamination de canola GM et par le jugement à l'effet que les semences de Schmeiser appartiennent à Monsanto.

Depuis qu'il fait l'objet d'une poursuite de Monsanto, Schmeiser, un dirigeant local de longue date et un défenseur des droits des agriculteurs, voyage partout au monde pour faire connaître son combat. Le stress et les frais de cette bataille juridique prolongée ont ruiné Percy et sa famille. Malgré les dons des personnes et des organismes qui les appuient, les Schmeiser ont dû s'endetter pour payer les frais juridiques (incluant ceux de Monsanto).

Qu'est-ce que le canola Roundup Ready?

Le canola Roundup Ready est une variété de canola qui a été génétiquement modifiée pour résister à l'herbicide Roundup (glyphosate) de Monsanto. En 1993, Monsanto a breveté les gènes, ainsi que les cellules contenant ces gènes, qui donnent au canola ainsi modifié cette résistance à l'herbicide.

Les agriculteurs qui veulent semer le canola Roundup Ready doivent signer un contrat d'utilisation de technologie et payer jusqu'à 15 $ l'acre (0,4 ha) par année. Ce contrat de licence comporte des clauses à l'effet que l'agriculteur ne peut conserver ses semences pour les ressemer l'année suivante et qu'il ne peut poursuivre Monsanto si la récolte échoue.

Monsanto contrôle et effectue des essais sur les récoltes des agriculteurs qu'elle soupçonne d'utiliser du canola Roundup Ready sans licence. Cette société encourage les agriculteurs à dénoncer leurs homologues soupçonnés d'utiliser les semences sans licence en appelant un numéro de téléphone spécialement créé à cette fin. Malgré ces mesures, Monsanto n'a jamais pu démontrer que M. Schmeiser avait obtenu des semences Roundup Ready illégalement. Elle a retiré ses allégations initialement présentées devant la cour à l'effet que celui-ci avait acheté et semé de telles semences.

Antécédents

En 1997, Percy Schmeiser, alors qu'il aspergeait comme à l'habitude de l'herbicide le long d'un fossé, découvrit que certaines de ses plantes étaient résistantes à l'herbicide. Comme il n'avait jamais planté du canola Roundup Ready, il conclut que du pollen transporté par le vent avait probablement contaminé ses cultures. Malgré sa découverte, comme toujours, il conserva une partie de sa récolte pour la ressemer l'année suivante.

En août 1998, Monsanto intenta une poursuite contre Schmeiser pour contrefaçon de brevet. Monsanto allégua que Schmeiser avait acheté et semé sans licence du canola contenant des gènes et des cellules brevetées et vendit ensuite sa récolte, contrefaisant ainsi le brevet de cette société.

En mars 2001, la Cour fédérale du Canada trancha que Schmeiser était responsable d'avoir contrefait le brevet de Monsanto. Bien que la Cour ne trouva aucune preuve que Schmeiser avait délibérément contaminé ses cultures avec les semences de Monsanto, elle jugea que le fait que Schmeiser avait semé du canola contenant les gènes et les cellules brevetées signifiait que Schmeiser avait violé le brevet de Monsanto, peu importe la façon dont le matériel génétique en question s'était introduit dans le canola de ce fermier. Par conséquent, parce qu'il savait ou aurait dû savoir que la semence était génétiquement modifiée, il n'aurait pas dû la semer.

Schmeiser fit appel de la décision, et en mai 2002, sa cause fut entendue à la Cour d'appel fédérale. La Cour d'appel confirma la décision de la cour inférieure, en rendant une décision unanime en faveur de Monsanto.

Schmeiser fit appel une nouvelle fois et en janvier 2004 sa cause fut entendue en appel devant la Cour suprême du Canada, avec le triste résultat que l'on connaît.

Questions débattues à la Cour suprême

Les trois principales questions débattues à la Cour suprême sont :

1) La validité et la portée des brevets sur le matériel génétique.

Schmeiser témoigna que, dans les faits, le brevet de la société Monsanto sur les gènes et les cellules trouvés dans le canola confère à celle-ci des droits sur l'ensemble de la plante de canola; et puisque les plantes constituent des entités non brevetables, le brevet de Monsanto est invalide. Cet argument est basé sur la cause Harvard Mouse (ou Oncomouse), une cause entendue en 2002 dans laquelle la Cour suprême jugea que les formes de vie supérieures, c'est-à-dire les animaux et les plantes, ne peuvent être brevetées au Canada. Greenpeace fut un des intervenants dans la cause Harvard Mouse.

2) Quel type d'utilisation constitue une contrefaçon de brevet?

Si la Cour conclut que le brevet de Monsanto est valide, elle doit déterminer quel type d'utilisation de la matière brevetée constitue une contrefaçon du brevet. De manière plus spécifique, elle doit déterminer si la contrefaçon couvre tous les cas où l'invention est utilisée, ou si celle-ci est limitée aux circonstances dans lesquelles l'invention brevetée est exploitée délibérément.

Dans cette cause, Schmeiser témoigna que puisqu'il n'avait pas exploité l'invention de Monsanto, il n'avait pas contrefait le brevet de Monsanto. Schmeiser n'a jamais aspergé son canola de Roundup et n'a donc jamais profité de leur résistance aux herbicides et n'a jamais profité d'aucune façon de la présence du matériel breveté de Monsanto dans ses cultures. Monsanto répondit qu'en semant, en élevant et en récoltant du canola génétiquement modifié, Schmeiser avait utilisé l'invention brevetée de la société et que cette utilisation constituait une contrefaçon.

3) Le problème de la victime innocente

Si la définition plus large de contrefaçon de Monsanto est acceptée (c'est-à-dire la contrefaçon par l'utilisation plutôt que par l'exploitation de matière brevetée), cela posera un sérieux problème pour les "victimes innocentes" comme Schmeiser qui utilisent la matière brevetée sans le vouloir, sans être responsable de la présence de cette matière brevetée.

Schmeiser témoigna que lorsque la matière brevetée se mélange passivement et par inadvertance avec d'autres plantes n'appartenant pas au détenteur du brevet, le propriétaire de ces plantes ne devrait pas être tenu responsable envers le détenteur du brevet. Dans de tels cas, il faudrait plutôt protéger la victime innocente au moyen d'une licence implicite du détenteur de brevet. Monsanto répondit en maintenant qu'aucune exception particulière à la contrefaçon ne devrait être appliquée dans ce cas. Selon Monsanto, Schmeiser utilisa les semences modifiées en toute connaissance de cause et, ce faisant, contrefit le brevet de Monsanto.

Conséquences de la décision

La décision que la Cour suprême a rendu sur cette cause aura des conséquences majeures sur le droit des brevets, les agriculteurs et l'avenir de l'industrie des biotechnologies au Canada.

Ce jugement ignore la contamination généralisée dont Monsanto est responsable. Essentiellement, la décision de la Cour suprême est un revers pour les agriculteurs qui désirent continuer à cultiver des champs sans OGM. C'est pour cela que Greenpeace demande la mise en place d'un régime de responsabilité civile stricte pour protéger l'environnement et les agriculteurs contre les contaminations

génétiques causées par les entreprises comme Monsanto.

Ressources et hyperliens

Site Internet de Percy Schmeiser : www.percyschmeiser.com

Reportage de la Société Radio-Canada sur Percy Schmeiser : http://tv.cbc.ca/national/pgminfo/canola/

Poursuite des agriculteurs biologiques canadiens contre Monsanto : http://www.saskorganic.com/oapf/french.html

Entrevue de Percy Schmeiser publiée dans la revue ACRES : http://www.percyschmeiser.com/AcresUSAstory.pdf

Documents juridiques déposés et matériel afférent :

http://www.canadians.org/browse_categories_fr.htm?COC_token=coc_token&step=2&catid=267&iscat=1