Le Ministre de la Recherche aveuglé par un nouveau projet nucléaire?

Communiqués de presse - janvier 27, 2005
La Présidence Luxembourgeoise entend faire progresser le projet de recherche sur la fusion nucléaire.

Pas d'€ pour la fusion nucléaire!

Greenpeace a protesté ce matin contre la décision du gouvernement luxembourgeois d'inscrire le projet de fusion nucléaire(1) ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor - Réacteur thermonucléaire expérimental international) parmi les priorités du programme de la Présidence. «L'Union européenne ayant réaffirmé son soutien au site de Cadarache (site nucléaire français) pour le projet international ITER en matière de fusion nucléaire, la Présidence luxembourgeoise s'attachera à mettre le Conseil en mesure de prendre les décisions nécessaires à l'avancement du projet», peut-on lire dans le programme de la Présidence présenté par le gouvernement.

Les activistes de Greenpeace ont érigé dans le "Rousegaertchen", devant les bureaux du Ministre François Biltgen responsable pour la recherche, un parc éolien symbolique et un grand panneau ironisant sur le ministre: "Den Duerchbleck verluer?" (a-t-il perdu tout entendement?). On voit François Biltgen chaussant des lunettes avec le symbole radioactif en train de lire un document sur la fusion nucléaire. «Les éoliennes sont là pour rappeler dans quel domaine la recherche et les investissements européens devraient être dirigés» précise Roger Spautz, responsable de la campagne antinucléaire à Greenpeace Luxembourg. «Nous trouvons scandaleux le fait que le gouvernement du Luxembourg, pays anti-nucléaire de tradition, entend faire avancer la recherche dans le domaine nucléaire», ajoute-t-il.

Il semble que le ministre et le gouvernement se sont fait piéger par les nucléocrates. «La fusion nucléaire pose exactement les mêmes problèmes que la fission nucléaire, y compris la production de déchets radioactifs et les risques d'accidents nucléaires et de prolifération», poursuit Spautz. «Pourquoi l'Europe s'obstine-t-elle à poursuivre une option énergétique néfaste, qui n'est pas susceptible de fonctionner à court terme, alors que d'autres options écologiquement acceptables existent déjà? Les énergies renouvelables ont un potentiel énorme et pourtant l'UE continue de verser des milliards d'euros à la recherche et au développement de la fusion nucléaire.»

Greenpeace dénonce l'inutilité d'un l'investissement colossal sans perspective sérieuse de réussite. On estime que l'investissement dans ITER sera de 10 milliards d'€ sur 30 ans. La construction va coûter environ 4,6 milliards et son fonctionnement des milliards d'€ supplémentaires (2). Si ITER est implanté à Cadarache (3) en France, la contribution de l'Europe est estimée à 2,4 milliards pour sa construction et 2,2 milliards pour son fonctionnement. Pourtant, même les hypothèses les plus optimistes ne prévoient pas une production commerciale avant 2050.

Le programme cadre européen pour la recherche le plus récent alloue 750 millions d'Euros à la recherche et au développement de la fusion et seulement 810 millions à l'ensemble des options énergétiques non nucléaires (ce chiffre comprend aussi bien les fonds alloués à la recherche sur l'efficacité énergétique, à l'utilisation des combustibles fossiles ainsi qu'au développement des énergies renouvelables). Si les fonds consacrés à la construction d'ITER étaient utilisés directement, on pourrait construire près de 10000 MW de capacité énergétique éolienne offshore à travers le monde. La seule contribution financière de l'Europe au projet ITER permettrait de construire près de 5000 MW d'éoliennes offshore, soit suffisamment d'énergie pour alimenter plus de quatre millions de foyers (4).

Outre les oppositions liées aux investissements de ce projet, il faut aussi ajouter que de nombreux scientifiques dont le prix Nobel japonais de physique, le Pr Masatoshi Koshiba, s'opposent à la fusion nucléaire tant il persiste des incertitudes sur la technologie utilisée par la fusion nucléaire. Ces contestations vont de l'incapacité et du danger de manipuler plusieurs centaines de milliers de tonnes de plomb contenant du tritium (isotope de l'hydrogène hautement radioactif), à la production de neutrons à une énergie de 14MeV dont on ignore tout du comportement et de la tenue des métaux de l'enceinte sous un tel rayonnement, sans compter la pollution au tritium produit par la réaction et le doute qui persiste sur l'efficacité énergétique de ce procédé: pourra-t-on jamais produire plus d'énergie que celle consommée pour amener l'enceinte de réaction à plusieurs milliers de °C ?

Face à de telles incertitudes, Greenpeace demande au gouvernement luxembourgeois de s'opposer à la recherche nucléaire, de demander l'abandon du projet ITER et de faire en sorte que les investissements européens soient dirigés vers le développement des technologies permettant une meilleure efficacité énergétique et vers les énergies renouvelables.

Notes:

(1) La fusion consiste, à l’inverse de la fission (casser des «gros noyaux») à rapprocher suffisamment deux atomes légers pour qu’ils donnent un plus gros. Cette réaction donne lieu à un fort dégagement d’énergie. L’énergie que le soleil et les autres étoiles nous envoient sous forme de chaleur et de lumière provient de ce type de réaction qui se produit à leur surface. La fusion est réalisée à partir de deux isotopes radioactifs de l'hydrogène: le deutérium et le tritium.

(2) Le coût total du projet est estimé à 10,3 milliards, ce qui comprend les coûts de construction, de fonctionnement et certains coûts de démantèlement et de gestion des déchets.

(3) Le site de Cadarache est connu pour son activité sismique. L’autorité de sûreté nucléaire française a récemment demandé à la compagnie nucléaire Cogéma d’y fermer une usine à cause d’inquiétudes relatives à cette activité sismique.

(4) Ces 10 000 MW de capacité éolienne offshore sont calculés sur la base du coût actuel qui est d’environ 1 million d'euros/MW et de la taille des turbines actuelles. Si on tient compte de l’éventualité d’une réduction des coûts et d’une amélioration technologique, la quantité d’éoliennes offshore qui pourrait être construite pourrait être encore plus importante.