Chaos et chaotique sont des mots fréquemment utilisés, voire même peut-être trop.  Un dictionnaire définit le Chaos comme « une confusion totale et un désordre général ». Cette définition s’applique par bien des aspects au secteur de l'exploitation forestière industrielle dans la République Démocratique du Congo (RDC).



Les entreprises d’exploitation du bois se soucient très peu de la réglementation, les promesses faites aux communautés forestières ne sont pas tenues et les institutions gouvernementales montrent peu - voire pas- de volonté politique pour contraindre les entreprises à rendre des comptes, et protéger l'immense patrimoine en ressources naturelles de la RDC.

Etonnamment, ce chaos semble pourtant bien organisé. Il est  en fait dans une grande mesure  mis en œuvre par des fonctionnaires et des entreprises pour servir leurs propres intérêts. Les institutions censées réglementer le secteur forestier et faire respecter la loi ne fonctionnent pas efficacement. On assiste à un manque déplorable de transparence, avec des contrats d'exploitation forestière non rendus publics ou plusieurs années après qu’ils aient été signés. Des données officielles fiables sur les permis, la production et les exportations font défaut, la corruption est répandue et les activités illégales dans les concessions forestières industrielles représentent la norme.

Dans un nouveau rapport publié ce jour, Exporter le chaos, Greenpeace Afrique révèle les conclusions de deux années d'investigations sur les activités, aussi bien au niveau national qu’international, de l'un des acteurs clés du chaos régnant dans le domaine de l'exploitation forestière en RDC : la société libanaise Cotrefor. Les résultats sont un mélange déprimant de taxes impayées, de mauvais traitements de ses employés, d’irrégularités dans les procédures opérationnelles et de dépassement des quotas de coupe fixés, par exemple pour  des espèces d'arbres menacées telles que l’Afrormosia.

Le plus choquant est que ces mauvaises pratiques ne semblent absolument pas constituer un obstacle à l'exportation et la commercialisation du bois de Cotrefor à travers le monde, notamment la Chine, les Etats-Unis et l'Union européenne. Et cela se poursuit en dépit du fait que la plupart de ces pays sont munies de législations telles que le Règlement sur le Bois de l'Union Européenne (RBUE) supposé empêcher le bois illégal et ses produits dérivés d’entrer dans le marché européen.

Greenpeace a démontré à plus d’une occasion à quel point il est malheureusement facile de nos jours de devenir un exploitant forestier illégal.  Retrouvez le processus ici, et vérifiez par vous-même auprès des autorités européennes.

Comme à l’accoutumé, ce sont les communautés locales qui en paient le prix fort et souffrent au quotidien de ce chaos organisé. En effet, environ 40 millions de personnes dépendent des forêts du pays pour leur subsistance.



Ces populations locales ne voient rien des gains réalisés par Cotrefor et autres entreprises qui laissent en général derrière elle des forêts amputées de leurs  espèces d’arbres précieuses. Les obligations sociales des cahiers des charges signés entre les communautés et les entreprises (comme la construction d’une école, d’un centre de santé ou d’infrastructures) ne sont dans la grande majorité des cas que partiellement réalisées.

Les populations ne sont pas les seules victimes. Les bonobos, une espèce rare et menacée qui ne se retrouve qu’en RDC, en souffrent également. Les enquêtes de Greenpeace Afrique confirment que la coupe des forêts pour la construction des routes et autres infrastructures pour accéder aux zones de concessions ouvre la voie aux braconniers menaçant davantage le singe en voie de disparition, y compris à proximité de zones protégées telles que la réserve faunique de Lomako-Yokokala.

Toutefois, une alternative au modèle basé sur les larges concessions d'exploitation forestière industrielle en RDC existe. Le pays dispose d’une loi qui permettrait aux communautés d’être en charge de leur propre terre et de ses ressources.

Le problème est que peu de personnes sont au courant de l’existence du décret sur la foresterie communautaire et que peu de moyens sont alloués jusque-là pour accompagner les communautés pour sa mise en application.

Afin de contrôler ce chaos organisé et empêcher des entreprises comme Cotrefor d’agir en toute impunité, le gouvernement de la RDC doit prendre des mesures concrètes. Les informations contenues dans le rapport de Greenpeace Afrique doivent être pleinement étudiées et  le moratoire existant sur l’attribution de nouvelles concessions d’exploitation forestière industrielle doit être maintenu jusqu'à ce que toutes les conditions soient remplies.

En outre, pour empêcher l'écoulement régulier de bois illégal du Bassin du Congo sur le marché mondial, les gouvernements des pays importateurs de bois tels que les États membres de l'UE, la Chine et les Etats-Unis doivent ouvrir immédiatement des enquêtes quant aux entreprises commercialisant des produits issus du bois de la RDC.

Les autorités doivent user de tous les moyens à leur disposition, y compris les conventions internationales sur les droits de l’Homme, le droit du travail, la CITES, la loi Lacey Act aux USA  et le RBUE, pour arrêter le commerce illégal et destructeur.

Enfin, le fil rouge du chaos de l'exploitation forestière illégale au Congo ne peut être brisé et le gaspillage des ressources de la deuxième forêt tropicale au monde ne peut cesser que si toutes ces mesures sont mises en place.