Alors que mon avion en provenance de Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo, amorçait sa descente vers Mbandaka (la capitale de la Province de l’Équateur), j’ai été subjugué par la beauté du paysage verdoyant qui se dessinait à travers le hublot. J’étais en train de regarder la forêt du Bassin du Congo. Un simple observateur n’y aurait vu qu’une forêt, belle, robuste, et surtout pleine de vie. Pour ma part, je savais  que cette forêt est fragile, et sur le point de perdre l’une de ses mesures de protection les plus efficaces, si nous ne faisions rien pour l’en empêcher.

Après la guerre qui a frappé la RDC en 2002 et sous la pression de la Banque Mondiale, le gouvernement congolais a suspendu les attributions de nouvelles concessions d’exploitation forestière. L’un des principaux objectifs de cette mesure adoptée il y a 15 ans (en réalité, une suspension temporaire le temps que certaines préconditions soient remplies) était de mettre en place de nouvelles mesures pour transformer le secteur forestier en une industrie durable, capable de générer des milliards de dollars de chiffre d'affaires et des dizaines de milliers d'emplois.  

En raison d’une incapacité à mettre en place un zonage participatif sur les potentielles zones de concessions, d’une défaillance dans l’instauration d'un plan évolutif sur trois ans indiquant le nombre, la surface et l’emplacement des concessions progressivement attribuées, et de l’absence de moyens nécessaires pour réguler, surveiller et contrôler l’exploitation forestière commerciale, le moratoire est resté en vigueur ces quinze dernières années, contribuant ainsi à la préservation de la forêt congolaise et interdisant l’expansion des concessions d’exploitation forestière.

La vérité, aussi alarmante que douloureuse, est que ce moratoire se trouve aujourd'hui lourdement menacé. Au cours des quinze dernières années, de nombreuses violations ont pu être observées, notamment par des représentants du gouvernement congolais qui — pieds et poings liés par ce moratoire— aimeraient pouvoir s’en débarrasser. Ceci mettrait en péril l’habitat de nombreuses espèces menacées, et menacerait la possibilité pour les communautés forestières de gérer elles-mêmes leurs ressources.

En juillet 2016, Greenpeace a signalé l’attribution de concessions illégales par l’ancien ministre de l’Environnement, Bienvenue Liyota, et en février 2017, elle a identifié deux autres concessions illégalement attribuées par le ministre de l’Environnement, Robert Bopolo, en poste en septembre 2016. Bopolo a par la suite reconnu qu’il avait signé trois contrats de concessions et a évoqué l’existence potentielle d’autres attributions illégales. Bien que le ministre Athys Kabongo Kalonji ait annoncé qu’il annulerait chacune des concessions illégales attribuées par son prédécesseur, les arrêtés d’annulation n’ont pas encore été publiés à ce jour.

On ne sait toujours pas quels sont les autres personnes impliquées dans la dissimulation de ces concessions illégales, car aucune enquête indépendante n’a été ouverte et, par conséquent, aucune sanction n’a été infligée à l’encontre des personnes concernées. Comment est-il possible que les suspects de ces irrégularités n’aient été tenus responsables et, pire encore, que certains d’entre soient promus ?

Les donateurs de l'Initiative pour la forêt de l'Afrique centrale (CAFI), visant à protéger la forêt du Congo en réduisant les émissions de carbone provoquées par la déforestation et de la dégradation forestière, ont demandé l’annulation immédiate de ces attributions illégales. Plus de trois (3) mois depuis que ces faits ont été dénoncés, le gouvernement de la RDC reste toujours indifférent. Ces mêmes donateurs semblent convaincus que l’exploitation forestière industrielle puisse faire partie de la solution et pensent bien la financer à coup de millions des dollars américains. L’expansion du secteur de l’exploitation forestière et la levée du moratoire sont perçues par eux  comme des options viables pour atteindre les objectifs de l’initiative. Greenpeace, aux côtés d’une importante frange de la communauté scientifique internationale, pense pourtant qu’elles sont fondamentalement incompatibles avec les objectifs de réduction de la déforestation et de la dégradation forestière.  

Je suis ensuite allé de Mbandaka vers le village d’Imbonga, afin de rencontrer des partenaires locaux. Le seul moyen de se rendre dans ce village était d’embarquer pour un trajet de douze heures en bateau, sur le fleuve Congo. Bien qu’interdites par la législation  congolaise, j’ai pu constater que d’importantes quantités de grumes, abandonnées par des sociétés d’exploitation forestière ayant fait faillite, polluaient certains villages sur la route vers Imbonga.

raoul parle aux jeunes de la forêt et de la menae du moratoire

Opérant pour un organisme de campagne qui se veut témoin de la destruction environnementale, j’ai réalisé à quel point la protection de la forêt du Bassin du Congo était un sujet sensible et lourd de conséquences.

Les villages entretiennent une relation conflictuelle avec les entreprises  forestières industrielles, en raison d'une absence de dialogue récurrent et de restitutions financières minimales en comparaison des chiffres d’affaires générés par l’exploitation forestière. La foresterie communautaire donne aux communautés locales et autochtones la possibilité d’assurer le contrôle et la gestion de la forêt de manière durable. Mais une fois le moratoire levé, de nouvelles concessions industrielles entreront très certainement en concurrence avec ces projets communautaires.  

La forêt du Bassin du Congo compte une surface impressionnante de paysages forestiers intacts (IFL) : des écosystèmes forestiers sur lesquels aucun signe d’activité humaine n’a été détecté et qui parviennent à maintenir leur biodiversité originale. Un grand nombre de plantes et animaux propres à la région, tels quel les okapis ou les éléphants de plaine, y sont présents. Cette forêt possède également la plus grande tourbière tropicale au monde. La levée du moratoire peut mettre en danger l’existence de certaines espèces animales gravement menacées, telles que les bonobos ainsi que la tourbière qui, si laissée intacte, pourrait se montrer très utile dans la lutte contre le réchauffement climatique.

carte moratoire

Alors que notre avion survole la ville de Kinshasa de nuit, l’obscurité par la fenêtre me fait prendre conscience que l’accès à l’électricité est relativement limité en RDC. Vu les infrastructures basiques et les équipements collectifs limités dont le pays dispose, je me suis demandé ce que l’exploitation forestière industrielle avait bien pu donner aux populations en contrepartie. Pourquoi donc pourrait-on vouloir lever le moratoire, sans que des mesures de protection appropriées, permettant de bien gérer les ressources forestières, n’aient été mises en œuvre ? Et qui sont les véritables bénéficiaires de l’exploitation forestière ?

 

Par Nchemty Metimi Ozongashu, chargé de communication pour la campagne forêt, Greenpeace Afrique