Kumi Naidoo Greenpeace International

Chers amis,

A travers la fenêtre de mon bureau à Amsterdam, je regarde l’hiver qui s’installe. L’hiver représente la fin d’une année, et la mort de ce qui a été, afin de laisser la place au printemps et au renouveau.

Alors que les jours deviennent plus courts et que le temps se refroidit, je pense aux journées à venir et à de nouveaux commencements.

Beaucoup d’entre vous le savent déjà, je quitte le poste de Directeur Exécutif de Greenpeace International. Cela ne signifie pas que je pars de Greenpeace, au contraire, simplement que j’échange mon titre pour un encore plus significatif : Volontaire de Greenpeace.

Le chemin parcouru en votre compagnie a été extraordinaire, et j’ai aimé chaque minute de ce challenge, chaque jour de combat, chaque semaine où nous avons progressé, chaque mois de triomphe, chaque année où nous avons ensemble construit un monde meilleur.

C’est une vraie satisfaction de partir en sachant que les accords de Paris sur le climat ont irrémédiablement sonné la fin des énergies fossiles pour 2050. Malgré ses imperfections, l’accord offre un contraste saisissant et une avancée réelle par rapport à mes premiers jours à Greenpeace au sommet de Copenhague. Cela me permet de clore ici un chapitre : le monde a fait un pas décisif vers une route longue et difficile, mais le voyage a aujourd’hui indéniablement commencé.

Avec Greenpeace, je suis sorti plusieurs fois de ma zone de confort – et c’est à ces moments là que l’on apprend le plus sur soi. Hésitant entre courage et peur, sur cette ligne fine qui sépare la prise de risque personnelle et se battre pour ce en quoi on croit.

J’ai rencontré tellement de personnes qui ont partagé cette expérience, ceux qui ont pris la parole, se sont opposés, ceux qui ont été volontaires, ont entrepris de petites actions ou ont sauté dans le vide dans l’espoir d’un monde meilleur. Si souvent ces actes nous emmènent au-delà de ce nous avions imaginé – parce que nous sommes inspirés, en colère, ou parce que nous nous sentons unis avec d’autres dans le même élan. Si Greenpeace a jamais réussi à créer une telle chaîne de courage et de solidarité, alors nous avons réussi.  

Un moment inoubliable de mes années à la tête de Greenpeace restera l’accostage d’une plateforme pétrolière en Arctique, où, bombardé par un puissant jet d’eau glacée, je tentais de gravir l’échelle menant à la plateforme pour dénoncer l’absurdité du forage en Arctique.

Ces expériences vous changent. Et par « ces expériences » je ne fais pas seulement référence à ces formes extrêmes d’activisme. Je parle de toutes ces actions petites ou grandes qui changent l’idée que vous avez de vous-même et vous placent dans le contexte plus large de l’avenir de l’homme et du monde. Elles modifient la vision de ce que vous êtes capable de faire, et par extension, de ce que l’humanité peut accomplir. Et, faisant cela, ces actions redéfinissent votre idée du possible.

Je suis arrivé à Greenpeace pour briser la dichotomie entre environnement et développement. Je savais qu’il y avait un lien entre pauvreté, droits de l’homme et l’injustice climatique et environnementale. Mes années au sein de Greenpeace ont encore accentué cette vision. Une fois que vous avez constaté ces faits, vous les voyez partout.  De la femme qui ne peut plus pêcher de manière traditionnelle le long des côtes africaines parce que les bateaux-monstres européens ont pillé les eaux ; à l’enfant indien s’étouffant par la poussière et les cendres de charbon d’un village dévasté par l’industrie charbonnière ; au bébé respirant les fumées toxiques produites par sa mère brûlant des circuits imprimés pour en récupérer les composants dans une décharge de produits électriques en Chine ; ou encore à une famille philippine s’abritant avec des boîtes en carton après que leur maison ait été dévastée par le typhon Hagupit. Les gens qui payent le prix le plus fort de la surconsommation et de la pollution sont ceux qui en bénéficient le moins.

Greenpeace a aussi renforcé ma croyance en des méthodes d’action directe non violentes et ma conviction que la désobéissance civile est essentielle pour faire face à cette injustice profonde. Nous avons besoin d’un changement fondamental de nos modes de vie, non seulement de la manière dont nous nourrissons et alimentons notre monde mais aussi une modification de notre perception de la richesse, la croissance, et de nos valeurs – comment nous serons capables de réinventer notre futur face à ce que Naomi Klein appelle une incroyable opportunité déguisée en crise.

Pendant les six ans passés à Greenpeace, nous avons remporté tellement de victoires.
De la décision de Shell de renoncer à forer dans l’Arctique ; au géant italien de l’énergie ENEL renonçant aux énergies fossiles.
Des douzaines de producteurs acceptant de diminuer la présence de produits chimiques dans leurs lignes de production de vêtements ; aux accords avec les entreprises de papier et d’huile de palme pour arrêter la déforestation en Indonésie.
De Facebook se tournant vers les énergies durables ; à la création de nouvelles réserves marines.

Ce sont de petites contributions à un mouvement mondial plus large, comme le montre la décision de justice au Pays-Bas qui force le gouvernement à diminuer ses émissions de CO2 de 25% d’ici 2020 sous peine de se rendre coupable de négligence envers son peuple ; ou encore la décision de Elon Musk de rendre accessible le design de la voiture électrique Tesla et de la batterie intelligente PowerWall ; voire encore les campagnes de levée de fonds populaires pour nettoyer les océans des plastiques et créer des prototypes de routes utilisant des panneaux solaires ; et enfin les nouveaux modèles de l’économie du partage ou la campagne de désinvestissement du secteur charbonnier promue par The Guardian.

Podium après podium, je me suis vu égrener le même programme sur l’urgence climatique que  Sharan Burrow, qui est à la tête du mouvement mondial des syndicats. Je suis presque tombé de ma chaise lorsque le Pape a publié sa récente encyclique sur le respect de la Terre. Sur tous les continents, nous sommes partout les témoins d’un réveil, d’une conspiration unique de courage et d’engagement pour le changement.

Je laisse à mon successeur une lourde tâche. L’organisation se remet encore de coups reçus sous mon mandat – lorsque nous avons échoué à respecter les valeurs que nous défendons.

Nous ne pouvons pas promettre d’être toujours à la hauteur de nos attentes et de nos propres standards, mais nous pouvons nous engager à tout faire pour les respecter, à apprendre de nos erreurs et à devenir encore meilleurs.

Mon plus grand espoir est que mon successeur continue ce voyage pour faire de Greenpeace une organisation vraiment mondiale et diverse, plus ouverte, plus capable de libérer les énergies créatrices de nos supporteurs et volontaires, plus claire sur ses objectifs et les solutions que nous promouvons, plus accessible pour travailler avec d’autres organisations et se servant de notre audience pour mettre en avant le travail de nos partenaires, plus désireuse enfin de d’oser risquer – et réussir – l’impossible.

Je vais de mon côté retourner dans un des plus beaux endroits que je connais en Afrique, la Rustlers Valley dans le Free state, en Afrique du Sud, proche de la frontière avec le Lesotho. Je vais travailler avec EarthRise Trust pour développer des programmes pour une école activiste, des projets d’agriculture écologique, le développement éducatif et l’autosuffisance économique.  Je serai aux côtés de Greenpeace dans le combat contre le nucléaire et pour réformer les règles du monde financier pour stopper les aides aux projets qui freinent le chemin vers un futur plus beau, plus durable et plus équitable pour l’humanité.

Kumi Naidoo

Mes amis, je vous laisse sur cette dernière remarque.
Regardez autour de vous, et rappelez vous ce que l’histoire nous a appris.
Notre plus grande bataille n’est pas d’inventer des technologies plus propres, ou de changer fondamentalement la façon dont nous produisons de la valeur ou mesurons la croissance : ce sont de petits obstacles comparé à la manière dont nous avons changé le monde et notre civilisation au cours de ces derniers siècles.

Je refuse de croire que le rythme du changement pour notre survie sera plus lent que le rythme du changement pour le profit. En temps de guerre, en temps de grands dangers pour nos familles ou nos pays, nous avons trouvé en nous une force immense, et nous avons accompli l’impossible.

Mais il y a un ingrédient essentiel, sans qui tous les efforts accomplis resteront trop peu, et arriveront trop tard.
Cet ingrédient est l’espoir.

C’est la conviction que le changement est possible. J’ai vu de mes propres yeux le changement se produire lors du combat contre l’Apartheid en Afrique du Sud à partir du moment où un nombre croissant de gens a cru au changement.
Je regarde autour de moi aujourd’hui et je vois de plus en plus de preuves que nous pouvons combattre les effets les plus néfastes du changement climatique.
Cela va demander des actions rapides.
Cela va demander du courage à l’échelle mondiale, à une échelle que nous n’avons pas encore vue – des banques, aux sociétés privées, aux artistes, gouvernements, leader religieux et syndicaux, aux fondations, aux milliardaires et à chacun de nous.

A chaque fois que le monde fait un pas en avant, que cela soit Apple décidant d’avoir recours uniquement à des énergies renouvelables pour l’alimentation en électricité de ses centres de données, à Obama interdisant le forage en Arctique, aux universités retirant leurs investissements des énergies fossiles, à nos voisins décidant de faire pousser leurs propres légumes, à nos parents devenant bénévoles pour une cause, ou nos collègues choisissant de manger moins de viande – à chaque fois que quelqu’un prend la décision de construire ce monde meilleur que nous savons possible, nous avons un devoir.
Le devoir de partager.
De le dire au monde.
De rendre ce courage contagieux.
De le faire devenir la norme.
De faire en sorte que cela devienne la manière dont fonctionne le monde.
Les croyances ont besoin de preuves, et les récits sont des preuves de nos croyances : certaines histoires nous poussent vers l’avant. D’autres nous retiennent. Nous pouvons choisir de croire que le changement est impossible, ou trop couteux, ou naïf, et mener notre planète à sa mort en continuant de ne rien faire.
Ou nous pouvons nous battre. Nous dresser pour dire qu’un monde meilleur est possible, qu’il est en train d’être construit en ce moment même, par les actes de courage collectifs et individuels de chacun d’entre nous.

Pour tous ceux qui liront ce message, pour tous mes collègues de Greenpeace, pour tous ceux qui travaillent à bâtir un monde meilleur, merci de m’avoir accepté à vos côtés pendant ce voyage.
Je vous souhaite de la force.
Je vous souhaite du bonheur.
Je vous souhaite du courage.