Lettre ouverte au gouvernement luxembourgeois relative au thème des "agro-carburants"

à l'occasion du Conseil des ministres de l'environnement de l'Union européenne du 05.06.2008 et du Conseil des ministres de l'énergie de l'Union européenne du 06.06.2008

Actualité - juin 4, 2008
Monsieur le Ministre d´Etat, l'Union européenne s'apprête à mettre en danger la vie de millions de personnes et la lutte contre le réchauffement climatique en rendant obligatoire l'utilisation des agro-carburants dans le secteur des transports. La proposition de la Commission européenne, qui intervient dans le cadre de la directive relative aux énergies renouvelables, de porter à 10% jusqu'en 2020 la part des agro-carburants dans le secteur des transports, aura inévitablement pour effet de "brûler" des ressources alimentaires en carburant au lieu de les utiliser pour solutionner le problème de la faim, sans pour autant contribuer à la lutte contre le changement climatique.

Le contraste marqué entre la forêt pluviale vierge d'Indonésie et le territoire dégagé pour faire place aux plantations destinées à la production d'huile de palme.

Une alliance de 18 organisations et institutions luxembourgeoises avait, à la mi-avril, invité le gouvernement luxembourgeois à se prononcer contre cet objectif des 10% d'agro-carburant. Le 20 mai, des représentants de cette plateforme se sont exprimés à cet égard lors d'une consultation organisée en présence de la Commission Environnement et de la Commission Agriculture du Parlement.

Vos déclarations sur le thème des agro-carburants lors de la Déclaration sur l'état de la Nation du 22 mai n'ont fait qu'accroître notre inquiétude.

Le 5 juin et le 6 juin, les Ministres de l'Environnement et de l'Energie de l'Union européenne se réuniront afin de discuter entre autres des questions d'avenir en matière d'énergie et de protection du climat. En tant qu'organisations luxembourgeoises signataires, nous souhaitons notamment vous faire connaître notre point de vue quant aux arguments avancés dans la Déclaration sur l'état de la Nation visant à justifier l'addition obligatoire d'agro-carburant dans l'essence et le diesel.

Nous lançons un appel solennel au gouvernement luxembourgeois afin qu'il intervienne au niveau des institutions européennes en faveur de l'annulation pure et simple de la mesure absurde que constitue le quota obligatoire d'intégrer 10 % d'agro-carburant dans le secteur des transports..

Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE avaient accepté au printemps 2007 l'objectif d'un quota obligatoire de 10 % d'agro-carburant, sous réserve de la garantie que la production se ferait de façon durable et de la disponibilité d'agro-carburant de 2ème génération sur le marché.

Les connaissances scientifiques acquises depuis lors nous permettent toutefois d'affirmer que cet objectif ne peut être atteint sous respect du critère de durabilité:

- les agro-carburants mettent en danger la sécurité alimentaire de millions de personnes supplémentaires;

- la production d'agro-carburant dans les pays émergents et les pays en voie de développement conduit fréquemment au vol de terres, se fait dans des conditions de travail inhumaines et entraîne de graves violations des droits de l'homme;

- l'assertion selon laquelle l'utilisation des agro-carburants permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre est douteuse;

- la production d'agro-carburant entraînera de manière significative une destruction supplémentaire des écosystèmes naturels, notamment des dernières forêts vierges, et contribuera de manière dramatique à l'émission de gaz à effet de serre et à la disparition de la biodiversité.

La directive projetée a pour objectif de contribuer à la réduction du CO2 et de lutter contre le réchauffement climatique par le biais des énergies renouvelables. La biomasse sera sans aucun doute amenée à jouer un rôle dans l'approvisionnement énergétique futur. Nous souhaitons, à ce titre, souligner expressément que nous ne nous opposons pas a priori à l'utilisation de la biomasse à des fins énergétiques. Mais la fixation d'un objectif quantitatif précisément dans le cadre de l'utilisation la plus inefficace qui soit de la biomasse, à savoir en tant que carburant pour les automobiles et les poids lourds, équivaudrait forcément à un gaspillage de ressources et d'espaces naturels.

La biomasse produite de manière durable peut en effet être utilisée de manière beaucoup plus efficace dans le cadre de la cogénération de chaleur et d'électricité et contribuer ainsi bien davantage à la lutte contre le réchauffement climatique que l'utilisation inefficace des agro-carburants dans le secteur des transports. Aussi la question essentielle n'est plus de savoir si un quota obligatoire de 10 %, 5 % ou 2 % se justifie.

Nous demandons la suppression pure et simple dans la proposition de directive de la clause relative au quota d'utilisation des agro-carburants. Seule cette suppression permettra de garantir une utilisation de la biomasse à des fins énergétiques dans les secteurs où elle est susceptible de fournir une contribution optimale à la lutte contre le réchauffement climatique.

Nous exigeons en outre un renforcement des critères environnementaux proposés par la Commission européenne en matière d'utilisation de la  biomasse en vue de lui octroyer une réelle dimension durable. Par ailleurs, nous trouvons essentiel que des normes strictes dans le domaine social et les droits de l'homme soient intégrés à ces critères.

Les agro-carburants dits de "2ème génération" ne constituent pas non plus un remède miracle: ils n'en sont encore qu'au stade de la recherche et de l'expérimentation et ne représentent pas une base solide permettant de déterminer des objectifs quantitatifs. Peut-être seront-ils à même d'offrir de telles garanties dans dix ans, mais sans aucune certitude. Comme dans le cas des agro-carburants de 1ère génération, la question se pose de savoir comment assurer une mise à disposition écologiquement et socialement responsable des quantités considérables de matières premières nécessaires à la production de ces carburants. L'Institut de recherche de la Commission européenne, le Joint Research Center (JRC), parvient dans son analyse de mars 2008, à la conclusion que les carburants de 2ème génération ne pourront, d'ici 2020, vraisemblablement pas être compétitifs, en raison de leurs coûts de production élevés par rapport aux carburants de 1ère génération (tels que l'huile de palme, l'huile de soja et l'agro-éthanol). Le JRC a mis en outre en évidence le fait que les matières premières servant à la production des carburants de 2ème génération, tels que le bois, devront en grande partie être importés de pays se trouvant en dehors de l'UE, compte tenu du fait que les ressources propres en bois suffisent à peine à approvisionner en matières premières l'industrie de transformation du bois et les centrales thermiques et électriques.

Les agro-carburants de 2ème génération ne manqueront pas non plus d'entraîner une hausse des prix des denrées alimentaires. Il est illusoire de croire qu'il pourrait exister des agro-carburants "neutres en terme de crise alimentaire", alors que le mécanisme du prix des terrains utilise obligatoirement les meilleures surfaces pour produire les rendements les plus élevés, sans tenir compte de l'existence d'une éventuelle "réserve de surfaces" visant à sauvegarder l'indispensable sécurité alimentaire.

La directive relative aux énergies renouvelables a notamment pour objet la lutte contre le réchauffement climatique et, partant, la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les réductions de CO2 dans le secteur des transports devront être réalisées par d'autres moyens, par ex. par une augmentation de l'efficacité des automobiles et par le développement et l'utilisation accrue des transports en commun ainsi que par la prise en charge par le rail du trafic des marchandises.

Plus de 50% de la consommation finale luxembourgeoise en énergie trouve son origine dans le secteur des transports. Les difficultés du Luxembourg à respecter les obligations lui incombant en vertu du protocole de Kyoto proviennent principalement de son incapacité à prévoir en temps utile une sortie de la politique du "tourisme à la pompe".

Il semblerait que le Luxembourg souhaite "verdir" sa politique non durable dans le domaine des finances publiques et des transports, en recourant de manière excessive aux agro-carburants pour atteindre la part nécessaire des énergies renouvelables, au lieu de chercher à diminuer sa dépendance des ventes de carburant.

En d'autres termes, tout porte à croire que le Luxembourg accepte que sa consommation élevée d´énergie s´accompagne de la violation des droits de l´homme, de crises alimentaires et d'atteintes à l'environnement. Une telle attitude ne saurait se justifier.

Les organisations signataires:

Action Solidarité Tiers Monde

Archevêché de Luxembourg

Caritas Luxemburg

Cercle de Coopération Luxembourg

Eurosolar Lëtzebuerg

d´Haus vun der Natur

Hëllef fir d´Natur

Greenpeace Luxemburg

Lëtzebuerger Natur-a Vulleschutzliga

Luxemburger Kommission "Justitia et Pax"

Mouvement Ecologique

Transfair Minka

Veräin fir biologesch-dynamesch Landwirtschaft Lëtzebuerg (Demeter Bond)

Verenegung fir biologesche Landbau Lëtzebuerg (bio-LABEL)