Pas d'€ pour la fusion nucléaire!
Greenpeace a protesté ce matin contre la décision du
gouvernement luxembourgeois d'inscrire le projet de fusion
nucléaire(1) ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor
- Réacteur thermonucléaire expérimental international) parmi les
priorités du programme de la Présidence. «L'Union européenne ayant
réaffirmé son soutien au site de Cadarache (site nucléaire
français) pour le projet international ITER en matière de fusion
nucléaire, la Présidence luxembourgeoise s'attachera à mettre le
Conseil en mesure de prendre les décisions nécessaires à
l'avancement du projet», peut-on lire dans le programme de la
Présidence présenté par le gouvernement.
Les activistes de Greenpeace ont érigé dans le "Rousegaertchen",
devant les bureaux du Ministre François Biltgen responsable pour la
recherche, un parc éolien symbolique et un grand panneau ironisant
sur le ministre: "Den Duerchbleck verluer?" (a-t-il perdu tout
entendement?). On voit François Biltgen chaussant des lunettes avec
le symbole radioactif en train de lire un document sur la fusion
nucléaire. «Les éoliennes sont là pour rappeler dans quel domaine
la recherche et les investissements européens devraient être
dirigés» précise Roger Spautz, responsable de la campagne
antinucléaire à Greenpeace Luxembourg. «Nous trouvons scandaleux le
fait que le gouvernement du Luxembourg, pays anti-nucléaire de
tradition, entend faire avancer la recherche dans le domaine
nucléaire», ajoute-t-il.
Il semble que le ministre et le gouvernement se sont fait piéger
par les nucléocrates. «La fusion nucléaire pose exactement les
mêmes problèmes que la fission nucléaire, y compris la production
de déchets radioactifs et les risques d'accidents nucléaires et de
prolifération», poursuit Spautz. «Pourquoi l'Europe
s'obstine-t-elle à poursuivre une option énergétique néfaste, qui
n'est pas susceptible de fonctionner à court terme, alors que
d'autres options écologiquement acceptables existent déjà? Les
énergies renouvelables ont un potentiel énorme et pourtant l'UE
continue de verser des milliards d'euros à la recherche et au
développement de la fusion nucléaire.»
Greenpeace dénonce l'inutilité d'un l'investissement colossal
sans perspective sérieuse de réussite. On estime que
l'investissement dans ITER sera de 10 milliards d'€ sur 30 ans. La
construction va coûter environ 4,6 milliards et son fonctionnement
des milliards d'€ supplémentaires (2). Si ITER est implanté à
Cadarache (3) en France, la contribution de l'Europe est estimée à
2,4 milliards pour sa construction et 2,2 milliards pour son
fonctionnement. Pourtant, même les hypothèses les plus optimistes
ne prévoient pas une production commerciale avant 2050.
Le programme cadre européen pour la recherche le plus récent
alloue 750 millions d'Euros à la recherche et au développement de
la fusion et seulement 810 millions à l'ensemble des options
énergétiques non nucléaires (ce chiffre comprend aussi bien les
fonds alloués à la recherche sur l'efficacité énergétique, à
l'utilisation des combustibles fossiles ainsi qu'au développement
des énergies renouvelables). Si les fonds consacrés à la
construction d'ITER étaient utilisés directement, on pourrait
construire près de 10000 MW de capacité énergétique éolienne
offshore à travers le monde. La seule contribution financière de
l'Europe au projet ITER permettrait de construire près de 5000 MW
d'éoliennes offshore, soit suffisamment d'énergie pour alimenter
plus de quatre millions de foyers (4).
Outre les oppositions liées aux investissements de ce projet, il
faut aussi ajouter que de nombreux scientifiques dont le prix Nobel
japonais de physique, le Pr Masatoshi Koshiba, s'opposent à la
fusion nucléaire tant il persiste des incertitudes sur la
technologie utilisée par la fusion nucléaire. Ces contestations
vont de l'incapacité et du danger de manipuler plusieurs centaines
de milliers de tonnes de plomb contenant du tritium (isotope de
l'hydrogène hautement radioactif), à la production de neutrons à
une énergie de 14MeV dont on ignore tout du comportement et de la
tenue des métaux de l'enceinte sous un tel rayonnement, sans
compter la pollution au tritium produit par la réaction et le doute
qui persiste sur l'efficacité énergétique de ce procédé:
pourra-t-on jamais produire plus d'énergie que celle consommée pour
amener l'enceinte de réaction à plusieurs milliers de °C ?
Face à de telles incertitudes, Greenpeace demande au
gouvernement luxembourgeois de s'opposer à la recherche nucléaire,
de demander l'abandon du projet ITER et de faire en sorte que les
investissements européens soient dirigés vers le développement des
technologies permettant une meilleure efficacité énergétique et
vers les énergies renouvelables.
Notes:
(1) La fusion consiste, à l’inverse de la fission (casser des «gros noyaux») à rapprocher suffisamment deux atomes légers pour qu’ils donnent un plus gros. Cette réaction donne lieu à un fort dégagement d’énergie. L’énergie que le soleil et les autres étoiles nous envoient sous forme de chaleur et de lumière provient de ce type de réaction qui se produit à leur surface. La fusion est réalisée à partir de deux isotopes radioactifs de l'hydrogène: le deutérium et le tritium.
(2) Le coût total du projet est estimé à 10,3 milliards, ce qui comprend les coûts de construction, de fonctionnement et certains coûts de démantèlement et de gestion des déchets.
(3) Le site de Cadarache est connu pour son activité sismique. L’autorité de sûreté nucléaire française a récemment demandé à la compagnie nucléaire Cogéma d’y fermer une usine à cause d’inquiétudes relatives à cette activité sismique.
(4) Ces 10 000 MW de capacité éolienne offshore sont calculés sur la base du coût actuel qui est d’environ 1 million d'euros/MW et de la taille des turbines actuelles. Si on tient compte de l’éventualité d’une réduction des coûts et d’une amélioration technologique, la quantité d’éoliennes offshore qui pourrait être construite pourrait être encore plus importante.