Les agrocarburants ne contribuent pas à la protection du climat

Une nouvelle étude démontre l’impact de la stratégie européenne en matière d’agrocarburants sur les émissions de CO2 et la conversion des terres

Communiqués de presse - janvier 18, 2011
Dû à l´impact du „changement d´affectation des sols indirect“, la façon dont les Etats membres comptent atteindre l’objectif d’intégrer 10% d’énergie renouvelable dans le secteur des transports en ayant presque exclusivement recours aux agrocarburants aura pour conséquence que des quantités importantes de gaz à effet de serre seront libérées dans l‘atmosphère et une surface de 69.000 km2 devra être convertie en terres agricoles et plantations, ce qui correspond à 27 fois la surface du Luxembourg. Ce sont les principales conclusions d'une étude(1) présentée aujourd'hui à Luxembourg par leurs auteurs de l'Institut de politique environnementale européenne (IEEP) à la presse et aux représentants des ministères, des administrations, du secteur agricole, de l'industrie et des instituts de recherche.

Bettina Kretschmer de l'Institut de politique environnementale européenne (IEEP) a presenté l´étude qui analyse l’impact potentiel que la consommation d’agrocarburants en Europe d’ici 2020 aura en termes de conversion de terres et d’émissions de gaz à effet de serre.

L´étude analyse l'impact potentiel que la consommation d'agrocarburants en Europe d'ici 2020 aura en termes de conversion de terres et d'émissions de gaz à effet de serre, un effet connu sous l'appellation "changement d´affectation du sol indirect" (CASI) (2). Il s'agit de l'étude la plus complète à ce jour permettant de quantifier les effets du CASI car elle prend en compte les objectifs annoncés en matière d´agrocarburants qui ont été publiés dans les plans d'actions nationaux sur les énergies renouvelables de 23 Etats membres de l'UE. Les études précédentes n'étaient pas fondées sur des projections calculées par les plans nationaux européens et dans la plupart des cas excluaient les impacts du CASI.

Selon la directive européenne sur les énergies renouvelables, les Etats membres doivent couvrir d´ici 2020 10% de la consommation d´énergie dans le secteur des transports par des énergies renouvelables. Pour y parvenir, la stratégie des différents Etats membres décrite dans les plans d´action nationaux prévoit un recours presque exclusif aux agrocarburants. En 2020, les agrocarburants représenteront 9,5% de l'énergie totale consommée dans le secteur des transports. Plus de 92% de ces agrocarburants seront produits à base des plantes alimentaires (comme les graines oléagineuses, l'huile de palme, l´huile de soja, la canne à sucre, la betterave sucrière ou encore le blé).

Les changements d´affectation des sols indirects sont provoqués par exemple quand - à cause de la production de matières premières pour les agrocarburants -  la production d´alimentation doit s´établir sur de nouveaux terrains au détriment des forêts vierges ou d´autres écosystèmes importants pour la biodiversité. D´après les conclusions de l´étude, pour atteindre les objectifs européens, il faudra recourir à une expansion des terres agricoles et plantations cultivées de manière intensive d'une surface équivalente à 27 fois la taille du Luxembourg.

L´analyse d´IEEP conclut que les effets CASI seront responsables de l'émission de jusqu`à 56 millions de tonnes de CO2 supplémentaires, soit l'équivalent de ce qu'émettraient 26 millions de voitures supplémentaires sur les routes européennes d´ici 2020. Il faut remarquer que cet effet n´a jamais été considéré dans les bilans carbone des agrocarburants. En prenant le CASI en compte, les agrocarburants émettront jusqu´à 167 % de gaz à effet de serre en plus par rapport combustibles fossiles qu'ils sont censés remplacer.

En outre, l'augmentation de la culture des plantes à vocation énergétique risque d'entrer en concurrence avec les aliments et de provoquer une augmentation sensible de leur prix. La mise en péril de la sécurité alimentaire touche surtout les populations les plus pauvres et agrandit le risque des "révoltes de la faim" dans beaucoup de pays.

Les agrocarburants ne contribuent pas à la protection du climat. Ils déplacent le problème dans les pays émergents et les pays en développement et ils menacent ces populations locales, la production alimentaire et les écosystèmes naturels comme les forêts vierges. De plus, ils n´apportent aucune solution pour réduire notre dépendance sur les importations énergétiques. Par contre, ils détournent notre attention des mesures efficaces pour réellement protéger le climat qui devraient être prises dans le secteur des transports comme le développement de nouveaux concepts de mobilité durable fondés sur un renforcement du transport public, l'amélioration de l'efficacité énergétique des véhicules, la construction de véhicules plus légers et l´adoption des règlementations plus strictes imposant la réduction de la consommation de la flotte routière, etc, etc.

Si les États membres ne corrigent pas leurs objectifs en ce qui concerne les agrocarburants, des graves impacts sur le climat, les écosystèmes et la sécurité alimentaire sont à craindre au niveau mondiale.

Le problème des agrocarburants est un sujet particulièrement d'actualité pour le Luxembourg. En effet, le Luxembourg s'est engagé à couvrir, d´ici 2020, 11% de sa consommation d'énergie par des énergies renouvelables. Suivant le plan d´action national en matière d´énergies renouvelables adopté par le gouvernement en août 2010, environ 50% de cet objectif seront atteints par le mélange d'agrocarburants dans le diesel et l'essence. Cet objectif hautement discutable est la résultante de la part énorme du secteur transport dans la consommation énergétique nationale, dû au phénomène du "tourisme à la pompe". Jusqu`à présent, le Luxembourg ne s´est pas prononcé sur la question de l´intégration du changement d'affectation des sols indirect dans les critères de durabilité des agrocarburants.

La Commission européenne a récemment annoncé qu'elle va décider d´ici mi-2011 des mesures qu'elle compte mettre en oeuvre pour minimiser les impacts du CASI induits par la consommation européenne des agrocarburants. Or, à ce stade, l'ampleur des mesures qui pourrait être décidée par la Commission européenne de renforcer ou non les critères de durabilité des agrocarburants par la prise en compte du CASI est loin d'être tranchée.

Action Solidarité Tiers Monde, bioLABEL, Caritas Luxembourg, Commission Justice et Paix, Demeter Bond Lëtzebuerg, Greenpeace, Mouvement Ecologique et natur&ëmwelt appellent les responsables politiques luxembourgeois à développer des alternatives pour les agrocarburants et à s´engager au niveau européen pour que des critères de durabilité stricts soient décidés afin d´empêcher des conséquences néfastes pour la protection du climat, la biodiversité, la sécurité alimentaire et les droits de l´homme dans les pays en développement et émergents. Dans ce contexte, les organisations considèrent comme indispensable d´intégrer les impacts du CASI dans les bilans carbone des agrocarburants.

Les organisations demandent qu'en attendant qu'une décision définitive soit prise au niveau européen sur la comptabilisation globale et cohérente du potentiel de réduction réel des agrocarburants, le Luxembourg ferait bien de geler ses objectifs d'expansion de la proportion des agrocarburants dans le diesel et l'essence.

Other contacts:

Bettina Kretschmer, IEEP, GSM +44 7725 108434
Martina Holbach, Greenpeace, Tel. 54625224 / GSM 621233362
Norry Schneider, Caritas Luxembourg, Tel. 402131518 / GSM 621652762
Paul Polfer, Mouvement Ecologique, Tel. 43903026 / GSM 621356003

Notes:

(1) „Anticipated Indirect Land Use Change Associated with Expanded Use of Biofuels in the EU – An Analysis of Member State Performance“(„Erwartete indirekte Landnutzungsänderungen durch Ausweitung des EU-Agrokraftstoffverbrauchs – Eine Analyse auf Grundlage Nationaler Aktionspläne für Erneuerbare Energie“), Institute for European Environmental Policies IEEP, November 2010

(2)  Qu´est-ce que le changement d´affectation des sols indirect ? La production d’agrocarburants peut entrainer des déforestations et la conversion en terres cultivées de surfaces supplémentaires, y compris des espaces abritant des écosystèmes fragiles. Lorsque des terres agricoles existantes sont converties pour la production d’agrocarburants, la nourriture qu’elles permettaient de produire doit être cultivée sur d’autres terres, afin de répondre à la demande toujours croissante de matières premières agricoles destinées à l’alimentation humaine et animale - souvent au détriment des forêts, prairies, tourbières, zones humides, et autres écosystèmes qui sont des puits de carbone. Cela entraine une augmentation substantielle des émissions de GES par les sols utilisés et la destruction de la végétation. En plus d’augmenter de manière significative les niveaux d’émissions de GES, le CASI a des effets dévastateurs sur la sécurité alimentaire, les droits fonciers et les conditions de vie des populations vivant sur, et des terres utilisées, ainsi que sur la biodiversité au niveau mondial.