Bettina Kretschmer de l'Institut de politique environnementale européenne (IEEP) a presenté l´étude qui analyse l’impact potentiel que la consommation d’agrocarburants en Europe d’ici 2020 aura en termes de conversion de terres et d’émissions de gaz à effet de serre.
L´étude analyse l'impact potentiel que la consommation
d'agrocarburants en Europe d'ici 2020 aura en termes de conversion
de terres et d'émissions de gaz à effet de serre, un effet connu
sous l'appellation "changement d´affectation du sol indirect"
(CASI) (2). Il s'agit de l'étude la plus complète à ce jour
permettant de quantifier les effets du CASI car elle prend en
compte les objectifs annoncés en matière d´agrocarburants qui ont
été publiés dans les plans d'actions nationaux sur les énergies
renouvelables de 23 Etats membres de l'UE. Les études précédentes
n'étaient pas fondées sur des projections calculées par les plans
nationaux européens et dans la plupart des cas excluaient les
impacts du CASI.
Selon la directive européenne sur les énergies renouvelables,
les Etats membres doivent couvrir d´ici 2020 10% de la consommation
d´énergie dans le secteur des transports par des énergies
renouvelables. Pour y parvenir, la stratégie des différents Etats
membres décrite dans les plans d´action nationaux prévoit un
recours presque exclusif aux agrocarburants. En 2020, les
agrocarburants représenteront 9,5% de l'énergie totale consommée
dans le secteur des transports. Plus de 92% de ces agrocarburants
seront produits à base des plantes alimentaires (comme les graines
oléagineuses, l'huile de palme, l´huile de soja, la canne à sucre,
la betterave sucrière ou encore le blé).
Les changements d´affectation des sols indirects sont provoqués
par exemple quand - à cause de la production de matières premières
pour les agrocarburants - la production d´alimentation doit
s´établir sur de nouveaux terrains au détriment des forêts vierges
ou d´autres écosystèmes importants pour la biodiversité. D´après
les conclusions de l´étude, pour atteindre les objectifs européens,
il faudra recourir à une expansion des terres agricoles et
plantations cultivées de manière intensive d'une surface
équivalente à 27 fois la taille du Luxembourg.
L´analyse d´IEEP conclut que les effets CASI seront responsables
de l'émission de jusqu`à 56 millions de tonnes de CO2
supplémentaires, soit l'équivalent de ce qu'émettraient 26 millions
de voitures supplémentaires sur les routes européennes d´ici 2020.
Il faut remarquer que cet effet n´a jamais été considéré dans les
bilans carbone des agrocarburants. En prenant le CASI en compte,
les agrocarburants émettront jusqu´à 167 % de gaz à effet de serre
en plus par rapport combustibles fossiles qu'ils sont censés
remplacer.
En outre, l'augmentation de la culture des plantes à vocation
énergétique risque d'entrer en concurrence avec les aliments et de
provoquer une augmentation sensible de leur prix. La mise en péril
de la sécurité alimentaire touche surtout les populations les plus
pauvres et agrandit le risque des "révoltes de la faim" dans
beaucoup de pays.
Les agrocarburants ne contribuent pas à la protection du climat.
Ils déplacent le problème dans les pays émergents et les pays en
développement et ils menacent ces populations locales, la
production alimentaire et les écosystèmes naturels comme les forêts
vierges. De plus, ils n´apportent aucune solution pour réduire
notre dépendance sur les importations énergétiques. Par contre, ils
détournent notre attention des mesures efficaces pour réellement
protéger le climat qui devraient être prises dans le secteur des
transports comme le développement de nouveaux concepts de mobilité
durable fondés sur un renforcement du transport public,
l'amélioration de l'efficacité énergétique des véhicules, la
construction de véhicules plus légers et l´adoption des
règlementations plus strictes imposant la réduction de la
consommation de la flotte routière, etc, etc.
Si les États membres ne corrigent pas leurs objectifs en ce qui
concerne les agrocarburants, des graves impacts sur le climat, les
écosystèmes et la sécurité alimentaire sont à craindre au niveau
mondiale.
Le problème des agrocarburants est un sujet particulièrement
d'actualité pour le Luxembourg. En effet, le Luxembourg s'est
engagé à couvrir, d´ici 2020, 11% de sa consommation d'énergie par
des énergies renouvelables. Suivant le plan d´action national en
matière d´énergies renouvelables adopté par le gouvernement en août
2010, environ 50% de cet objectif seront atteints par le mélange
d'agrocarburants dans le diesel et l'essence. Cet objectif
hautement discutable est la résultante de la part énorme du secteur
transport dans la consommation énergétique nationale, dû au
phénomène du "tourisme à la pompe". Jusqu`à présent, le Luxembourg
ne s´est pas prononcé sur la question de l´intégration du
changement d'affectation des sols indirect dans les critères de
durabilité des agrocarburants.
La Commission européenne a récemment annoncé qu'elle va décider
d´ici mi-2011 des mesures qu'elle compte mettre en oeuvre pour
minimiser les impacts du CASI induits par la consommation
européenne des agrocarburants. Or, à ce stade, l'ampleur des
mesures qui pourrait être décidée par la Commission européenne de
renforcer ou non les critères de durabilité des agrocarburants par
la prise en compte du CASI est loin d'être tranchée.
Action Solidarité Tiers Monde, bioLABEL, Caritas Luxembourg,
Commission Justice et Paix, Demeter Bond Lëtzebuerg, Greenpeace,
Mouvement Ecologique et natur&ëmwelt appellent les responsables
politiques luxembourgeois à développer des alternatives pour les
agrocarburants et à s´engager au niveau européen pour que des
critères de durabilité stricts soient décidés afin d´empêcher des
conséquences néfastes pour la protection du climat, la
biodiversité, la sécurité alimentaire et les droits de l´homme dans
les pays en développement et émergents. Dans ce contexte, les
organisations considèrent comme indispensable d´intégrer les
impacts du CASI dans les bilans carbone des agrocarburants.
Les organisations demandent qu'en attendant qu'une décision
définitive soit prise au niveau européen sur la comptabilisation
globale et cohérente du potentiel de réduction réel des
agrocarburants, le Luxembourg ferait bien de geler ses objectifs
d'expansion de la proportion des agrocarburants dans le diesel et
l'essence.
Other contacts:
Bettina Kretschmer, IEEP, GSM +44 7725 108434
Martina Holbach, Greenpeace, Tel. 54625224 / GSM 621233362
Norry Schneider, Caritas Luxembourg, Tel. 402131518 / GSM 621652762
Paul Polfer, Mouvement Ecologique, Tel. 43903026 / GSM 621356003
Notes:
(1) „Anticipated Indirect Land Use Change Associated with Expanded Use of Biofuels in the EU – An Analysis of Member State Performance“(„Erwartete indirekte Landnutzungsänderungen durch Ausweitung des EU-Agrokraftstoffverbrauchs – Eine Analyse auf Grundlage Nationaler Aktionspläne für Erneuerbare Energie“), Institute for European Environmental Policies IEEP, November 2010
(2) Qu´est-ce que le changement d´affectation des sols indirect ? La production d’agrocarburants peut entrainer des déforestations et la conversion en terres cultivées de surfaces supplémentaires, y compris des espaces abritant des écosystèmes fragiles. Lorsque des terres agricoles existantes sont converties pour la production d’agrocarburants, la nourriture qu’elles permettaient de produire doit être cultivée sur d’autres terres, afin de répondre à la demande toujours croissante de matières premières agricoles destinées à l’alimentation humaine et animale - souvent au détriment des forêts, prairies, tourbières, zones humides, et autres écosystèmes qui sont des puits de carbone. Cela entraine une augmentation substantielle des émissions de GES par les sols utilisés et la destruction de la végétation. En plus d’augmenter de manière significative les niveaux d’émissions de GES, le CASI a des effets dévastateurs sur la sécurité alimentaire, les droits fonciers et les conditions de vie des populations vivant sur, et des terres utilisées, ainsi que sur la biodiversité au niveau mondial.