Les poursuites abusives font partie des stratégies dangereuses qu’utilisent les entreprises pour museler la dissidence.

Energy Transfer Partners (ETP), la société responsable de la construction du pipeline Dakota Access, a récemment intenté une poursuite contre Greenpeace et d’autres organisations dans sa plus récente tentative de réduire au silence le travail de plaidoyer et attaquer le droit fondamental à la liberté d’expression.

En réponse à la puissante alliance entre les communautés autochtones et les militants pour la justice climatique qui se sont opposés au passage du pipeline Dakota Access à Standing Rock, ETP a déposé une poursuite-bâillon (poursuite stratégique contre la mobilisation publique), dans laquelle elle réclame près d’un milliard de dollars en dommages-intérêts au nom d’Energy Transfer. Voici ce que vous devez savoir concernant cette poursuite.

Des membres de la Garde nationale et de la police s’avancent vers les groupes de protection de l’eau à Standing Rock.

1. Qu’est-ce qu’une poursuite-bâillon?
Une poursuite-bâillon est une poursuite stratégique contre la mobilisation publique. Comme son nom l’indique, les entreprises qui utilisent cette tactique veulent empêcher le public de se mobiliser. Les poursuites-baîllons sont généralement des poursuites sans fondement juridique. Elles visent à censurer, à intimider et à faire taire ceux qui les critiquent en leur imposant des poursuites et des frais judiciaires jusqu’à ce qu’ils soient forcés de cesser leurs critiques ou leur opposition.

2. Pourquoi ETP intente-t-elle une poursuite-bâillon?

ETP intente une poursuite-bâillon dans le but de faire taire les critiques, ou encore mieux, de les faire cesser. Elle poursuit Greenpeace pour au moins 900 millions de dollars américains. La société espère que la perspective de devoir payer cette somme, ou du moins de dépenser beaucoup de temps et d’argent pour se défendre, intimidera et fera taire Greenpeace et d’autres organisations.

ETP veut museler l’opposition en donnant une fausse image de ce qui s’est produit sur le terrain à Standing Rock. En effet, elle fait des déclarations scandaleuses et racistes selon lesquelles ce sont les grandes organisations environnementales comme Greenpeace qui ont orchestré le mouvement autochtone à Standing Rock.

3. Une tendance inquiétante
En 2016, la société canadienne Résolu a déposé une poursuite-bâillon contre Greenpeace, laquelle a été rejetée dans son ensemble par un juge de la cour fédérale américaine. Cette tactique malsaine est de plus en plus utilisée par les entreprises. Avec la nouvelle montée globale de la droite, les gouvernements et les entreprises du monde entier tentent de réduire la liberté d’expression peu à peu. Ce type de poursuites ne vise pas seulement à décourager les groupes environnementaux, il vise à envoyer un message clair, afin que les groupes militants ou de défense des intérêts du public réfléchissent bien avant de s’opposer aux grandes sociétés qui vont à l’encontre de leurs valeurs.

4. Qui se cache derrière cette poursuite
Comme dans le cas de Résolu, cette poursuite a été intentée par l’avocat Michael Bowe. Bowe fait aussi partie de l’équipe de juristes personnels de Donald Trump et travaille pour la société d’avocats Kasowitz Benson Torres, fondée et dirigée par Marc E. Kasowitz, l’avocat personnel de Trump. Le Times a déjà décrit Kasowitz comme « le Donald Trump du droit ». Bowe a déclaré publiquement qu’il discutait avec d’autres sociétés qui songent à intenter une poursuite-bâillon contre Greenpeace, ce qui laisse penser qu’il cherche à vendre cette tactique d’intimidation antidémocratique au plus offrant.

5. Ce n’est pas un cas isolé
Il existe beaucoup, beaucoup d’exemples de poursuites-bâillons. Voici quelques cas dont vous avez peut-être entendu parler.
Plus tôt cette année, le magnat du charbon Bob Murray a poursuivi John Oliver après un segment sur le charbon à son émission Last Week Tonight, mettant principalement en vedette Bob Murray. Murray et/ou sa société a poursuivi plusieurs autres journalistes depuis les 15 dernières années.

L’ACLU (American Civil Liberties Union) a représenté des individus d’Uniontown en Alabama, un village pauvre dont la majorité des résidents sont des personnes de couleur, qui ont été poursuivis pour 30 millions de dollars par la société Green Group Holdings pour s’être opposés à la construction d’un site de décharge de cendres de charbon dans leur village. La société a révélé ses motivations lorsque ses avocats ont voulu conclure une entente avec les habitants et les convaincre de permettre à Green Group d’accéder à leurs appareils électroniques, à leurs publications futures dans les médias sociaux et à tous les détails sur leur participation, leur mobilisation et leur communication avec d’autres groupes environnementaux. Grâce au tollé général que cette situation a soulevé et au soutien de l’ACLU, les deux parties ont réussi à s’entendre en février et Green Group Holdings a accepté de prendre plus de mesures pour protéger l’environnement. Malgré tout, ce type d’intimidation de la part de la société n’aurait jamais dû avoir lieu. Des centaines d’autres poursuites-bâillons en Amérique et ailleurs n’ont pas eu un dénouement aussi positif.

Au Civic Center Plaza de San Francisco, des gens ont marché pour montrer leur soutien envers la nation de Standing Rock. Cette manifestation était l’une des nombreuses activités organisées dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre le pipeline Dakota Access (DAPL) pour demander à l’Army Corps of Engineers des États-Unis d’annuler le permis pour ce projet.

6. Ils se raccrochent à n’importe quoi…
Comme dans le cas de Résolu, ETP invoque la Loi sur le racket et la corruption dans les opérations sur les valeurs mobilières (RICO) des États-Unis, une loi promulguée au départ pour poursuivre les membres de la mafia, afin de réclamer le triple des dommages-intérêts et de gonfler la somme d’argent qu’elle peut exiger. Dans sa poursuite, ETP déclare que Greenpeace a dirigé un mouvement environnementaliste corrompu et qu’elle a « cavalièrement intégré des terroristes environnementaux radicaux et violents parmi les manifestants et a directement financé leurs activités ». Cette déclaration sans fondement vise à faire passer une activité de défense légale pour une activité criminelle en invoquant les lois sur le racket, et présente la liberté d’expression, un droit constitutionnel, comme un acte diffamatoire. C’est aussi ridicule que cela…

7. Défendons-nous
De toute évidence, ETP et les autres sociétés intimidatrices essaient de nous priver de notre liberté d’expression et de notre droit à manifester pacifiquement. Montrons-leur que nous ne nous laisserons pas faire : refusons de garder le silence, défendons la liberté d’expression et continuons de nous battre pour ce qui est juste.

Molly Dorozenski est chef de projet à Greenpeace US, où elle travaille depuis huit ans dans le secteur des communications stratégiques et créatives. Elle a planifié et exécuté des campagnes de communication complètes, notamment sur le climat, l’Arctique et le déversement de pétrole dans le golfe, ainsi que diverses campagnes qui ont aidé les entreprises à adopter des pratiques plus durables. En 2015, elle a reçu un Prix Effie pour son travail avec la VIA Agency, grâce auquel des entreprises du secteur des technologies se sont engagées à faire une utilisation plus importante de l’énergie renouvelable.