Comparer l’attitude des grandes entreprises envers leurs opposants à l’image d’un bulldozer n’est ordinairement qu’une métaphore. Toutefois, l’action audacieuse lancée par un groupe autochtone pourrait bien forcer Kinder Morgan, si elle veut construire son pipeline, à sortir l’artillerie lourde.

Raven Ess et Anushka Azadi collaborant avec des membres de la communauté Secwepemc à la construction, le 6 septembre 2017, d’une minimaison située sur le tracé du projet de pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan. Photo : Mike Hudema.

Raven Ess et Anushka Azadi collaborant avec des membres de la communauté Secwepemc à la construction, le 6 septembre 2017, d’une minimaison située sur le tracé du projet de pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan. © Photo : Mike Hudema.

Kinder Morgan est la plus grande société d’infrastructures énergétiques du continent. Si l’on mettait bout à bout tous les oléoducs et les gazoducs qu’elle exploite, on pourrait faire trois fois le tour de la Terre. Son projet de pipeline Trans Mountain vise à acheminer l’un des pétroles les plus sales de la planète, depuis les sables bitumineux de l’Alberta jusqu’à la côte de Vancouver, en traversant les emblématiques Rocheuses.

Voilà pourquoi, en Colombie-Britannique, un groupe de militants de la nation Secwepemc a décidé de construire une série de minimaisons le long du tracé qui traverse leur territoire ancestral. Face aux risques que pose le gigantesque pipeline, entre autres de déversements destructeurs susceptibles de contaminer le sol, les rivières, les lacs et l’eau potable, les bâtiments construits par ces « Tiny House Warriors » symbolisent l’appartenance, l’espoir et l’esprit communautaire. Des panneaux solaires seront installés sur quelques-unes des maisons afin de montrer que des solutions existent et qu’on peut les mettre en œuvre, ici et maintenant.

Les minimaisons se veulent à la fois une manifestation concrète de l’opposition de la communauté au pipeline et un message lancé au gouvernement Trudeau : le projet n’a pas reçu l’aval de la nation Secwepemc, un droit pourtant protégé en vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Tiny House Wariors

Tiny House Warriors. © Ian Willms / Greenpeace.

La présence de ces micromaisons crée un dilemme pour les banques qui financent le pipeline. En effet, seront-elles disposées à avaliser le travail de saccage des bulldozers de Kinder Morgan, si cela revient à anéantir les engagements qu’elles ont pris publiquement à l’égard des changements climatiques et des droits des Autochtones ?

Greenpeace a écrit à ce sujet aux banques TD et JP Morgan Chase, deux des principaux bailleurs de fonds associés au projet. Nous attendons toujours une réponse. Il leur sera plus difficile cependant de faire la sourde oreille aux Tiny House Warriors. Nous faisons également pression sur le Mouvement Desjardins pour qu’il retire sa participation de 145 millions de dollars au projet Trans Mountain, une décision que la coopérative financière devrait rendre publique cet automne  alors qu’elle devra aussi se prononcer sur la possibilité de rendre permanent son moratoire temporaire sur tout financement et investissement dans les pipelines de sables bitumineux.

Encouragez Desjardins à prendre la bonne décision.

Ce n’est pas comme si les banques n’avaient pas été prévenues des risques associés au pipeline Trans Mountain – même Kinder Morgan l’a fait. Mais si Desjardins a laissé savoir qu’elle considérait mettre en place un moratoire permanent sur le financement des pipelines (et à encore besoin de vos encouragements en ce sens), la Toronto-Dominion a affirmé publiquement avoir bon espoir que le projet se concrétise.

Malgré tout, le document juridique préparé pour la vente des actions de la nouvelle filiale canadienne de Kinder Morgan comporte 17 pages qui énumèrent les risques multiples liés au pipeline et à d’autres projets de même envergure, prévenant qu’ils pourraient aboutir « à la suspension, au report ou à l’annulation pure et simple des projets ». Parmi les risques évoqués, mentionnons :

  • L’opinion publique défavorable et les problèmes de réputation touchant la société, l’entreprise ou Kinder Morgan pourraient avoir une incidence négative sur l’entreprise ou l’un de ses grands projets, dont celui de l’expansion du pipeline Trans Mountain;
  • L’échec éventuel de l’entreprise quant à la résolution des enjeux touchant les droits des Autochtones, les titres ancestraux et l’obligation pour la Couronne de consulter, pourrait avoir une incidence matérielle négative sur le projet d’expansion ou sur l’entreprise;
  • Les changements de gouvernement, le retrait du soutien des pouvoirs publics, l’opposition de la population ainsi que les préoccupations soulevées par les groupes d’intérêts et les organismes non gouvernementaux pourraient exposer l’entreprise à une augmentation des coûts et des délais et même à l’éventualité d’une annulation du projet;
  • L’entreprise est soumise à des risques opérationnels importants, dont : le risque de défaillance ou de panne touchant les équipements, les pipelines et les installations; le risque de rejet ou de déversement; le risque de perturbation des activités ou des interruptions de service; le risque d’événement catastrophique (incluant les tempêtes et la hausse du niveau des océans pouvant résulter des changements climatiques).

Après que Greenpeace eut mis en doute l’évaluation des risques présentée plus tôt cette année aux investisseurs potentiels en vue du lancement de sa filiale canadienne, Kinder Morgan a ajouté au document un chapitre dans lequel elle reconnaît la chose suivante : advenant que le monde réalise des progrès importants vers l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, la demande de pétrole pourrait diminuer jusqu’à atteindre un niveau « susceptible d’avoir une incidence négative sur les perspectives de nouveaux contrats en matière de transport et d’installations de terminal, sur le renouvellement des contrats actuels et sur la capacité des clients et des expéditeurs de l’entreprise à respecter leurs engagements contractuels ».

En d’autres termes, la réussite du projet Trans Mountain est fondée sur l’hypothèse que le monde ne parviendra pas à empêcher de dangereux niveaux de réchauffement planétaire.

Quelques banques ont commencé à saisir l’ampleur des risques. La néerlandaise ING a indiqué qu’elle ne financerait aucun projet d’exploitation ou de transport des sables bitumineux. Au Québec, le Mouvement des caisses Desjardins a annoncé un moratoire sur tout nouvel investissement dans les projets d’oléoducs, jusqu’à ce que l’institution ait déterminé comment elle allait s’y prendre pour réconcilier sa politique de prêt avec le monde sobre en carbone que ses membres aimeraient contribuer à créer (soulignons que Desjardins continue malgré tout de financer le pipeline de Kinder Morgan à l’heure actuelle).

La construction sur le tracé d’un pipeline de maisons alimentées à l’énergie solaire constitue un bon moyen de créer un avenir meilleur. Il est grand temps que les banques comme Desjardins, TD, JP Morgan Chase et Barclays se rangent du bon côté de l’histoire en suivant l’exemple des Tiny House Warriors.