David Holland. © D. Holland, NYU.

Du côté ouest de l’Antarctique se trouve le glacier le plus instable du monde que seule une plaque de glace flottante empêche de tomber dans la mer. Le climatologue David Holland décrit cette plaque de glace d’une superficie semblable à celle de la Floride – plus connue sous le nom de glacier Thwaites – comme le bouchon d’une bouteille de vin couchée sur le côté qui maintient le vin, ou dans ce cas, le glacier Thwaites en place. Si la plateforme glaciaire venait à s’effondrer, la quantité d’eau contenue dans le glacier Thwaites ferait monter le niveau des mers de deux pieds. Et si son effondrement entraine la chute des glaciers voisins, le niveau mondial des mers pourrait augmenter de trois mètres.

Dans la foulée du rapport publié par le GIEC le mois dernier, dans lequel les auteur·es prévoient une escalade des impacts, des pertes et des dommages climatiques corrélée au réchauffement planétaire, nous avons discuté avec M. Holland alors qu’il revenait de la région du glacier Thwaites pour voir comment ce dernier se porte.

Holland, professeur à l’Université de New York, a effectué ses études à l’Université McGill et réside actuellement dans le petit village côtier de Brigus, à Terre-Neuve. Nous avons rencontré M. Holland au moment où son navire approchait de la Nouvelle-Zélande, dix jours après avoir quitté l’Antarctique afin de regagner son pays de résidence.

Au cours des deux derniers mois, Holland et ses collègues se sont rendu·es dans une région reculée de l’inlandsis de l’Antarctique occidental afin d’étudier le glacier Thwaites dans un contexte de conditions météorologiques imprévisibles, de températures glaciales et d’équipement défaillant. De gros icebergs ont bloqué leur chemin pendant la majeure partie de leur voyage, mais vers la fin, ils ont pu accéder brièvement à la fameuse masse de glace – également appelée « glacier de l’Apocalypse » – au moyen d’un hélicoptère. 

Notre conversation ci-dessous a été condensée pour des raisons de longueur et de clarté.

Glacier Dotson. © D. Holland, NYU.

Qu’est-ce qui vous a amené jusqu’au glacier Thwaites?

Moi et mes collègues avons mis des décennies avant de commencer à nous intéresser au glacier Thwaites en tant que pivot central du changement du niveau de la mer à l’échelle mondiale. S’il disparaît, c’est un problème; et s’il reste, ce n’est pas un problème. 

Cette année en particulier, la glace de mer de l’Antarctique a atteint son niveau le plus bas jamais enregistré – ce qui est un sujet de conversation intéressant en soi – mais le peu de glace de mer présente dans l’Antarctique se trouvait entièrement devant le glacier Thwaites. Nous avons tenté de nous frayer un chemin en brise-glace, mais ce fut cause perdue. Il y avait bien trop de glace.

Donc, après beaucoup de frustration et de déception, nous sommes allés sur le glacier adjacent – le glacier Dotson – parce que nous avions du matériel, un hélicoptère ainsi que du carburant, et nous avons fait avec les moyens du bord. Nous y avons mené les mêmes activités scientifiques. Mais nous ne sommes pas montés sur Thwaites pendant la majeure partie de cette année pour faire ce que nous voulions faire, c’est-à-dire atteindre la partie la plus importante de Thwaites : son côté ouest. Nous n’en avons pas eu l’occasion.

Qu’étudiez-vous précisément?

Il fut un temps où le Canada était recouvert d’une couche de glace de la taille de l’Antarctique. Cette couche de glace couvrait Vancouver et s’étendait des montagnes Rocheuses jusqu’à l’océan Pacifique. L’océan et la terre se rencontrent là où se trouve la plage de Vancouver. Si vous imaginez tout cela recouvert d’un kilomètre ou deux de glace, la partie dans l’océan – c’est-à-dire la plateforme glaciaire – serait flottante et la partie sur la terre serait ferme. C’est cet espace liminal entre l’océan et la terre où la glace est ancrée qui nous fascine. Nous l’appelons la zone d’échouage.

C’est là que le niveau de la mer change réellement, au gré de l’avancée ou du retrait de l’océan. C’est à cet endroit que nous voulions installer nos instruments afin de déterminer s’il y avait de l’eau chaude à cet endroit. Car s’il y en a, c’est que l’Antarctique perd du terrain. Et en l’absence d’eau chaude, rien de change. C’est plutôt simple. L’eau chaude fait fondre la glace. C’est l’océan – et non pas le réchauffement atmosphérique – qui est responsable de la fragmentation de la glace et toutes ces autres choses qui se produisent. Mais le facteur clé est l’eau chaude qui passe sous les couches de glace et se faufile jusqu’à la zone d’échouage. C’est là que les choses se gâtent.

Pourquoi le glacier Thwaites est-il si important?

La plateforme glaciaire est maintenant fracturée et se brise. J’ai tourné une vidéo dans l’hélicoptère – avez-vous vu cette scène dans La Guerre des étoiles où Luke Skywalker poursuit l’Étoile de la Mort et y pénètre? Cela ressemble à ça. C’est l’Étoile de la mort blanche. Voilà ce que nous avons survolé avec notre pilote. Nous avons survolé des kilomètres d’icebergs à la recherche de failles où nous pourrions introduire notre sonde. 

L’eau chaude en dessous la fait fondre très rapidement. Je pense qu’il s’agit peut-être du plus grand dénivelé sur terre. Et ce qu’il faut retenir, c’est que la plateforme glaciale – si vous imaginez une bouteille de vin couchée sur le côté équipée d’un bouchon – la plateforme glaciale est le bouchon qui garde le vin à l’intérieur. La plateforme glaciaire est le bouchon qui assure le maintien du glacier Thwaites. Et on dirait que ce bouchon commence à sortir. Et lorsqu’il ne sera plus là, il n’y aura plus rien afin d’empêcher l’énorme glacier Thwaites de se déverser dans l’océan. Voilà donc le problème auquel nous sommes confronté·es. Nous ne savons pas comment les choses vont se dérouler, mais c’est inévitable. En tant que scientifiques, notre objectif est de déterminer si cela aura lieu et si nous pouvons prévoir la situation.

Vous avez mentionné précédemment qu’il s’agit d’une conjoncture fatale : la plateforme glaciaire la plus instable au monde d’un côté, et l’eau chaude en dessous qui se trouve en dessous de l’autre. Quels sont les risques de propagation de l’eau chaude à d’autres plateformes glaciaires de l’Antarctique?

C’est exactement le genre de question qui amène mes collègues et moi à dire : « Hé bien, c’est arrivé ici. Est-ce que cela pourrait se produire là-bas? » Et puis nous effectuons des expéditions scientifiques, nous créons des modèles informatiques et nous étudions la situation.

Un petit indice de cela se trouve dans l’Antarctique oriental – une région que nous avons ignorée jusqu’à présent. Il y a de très grands glaciers qui ressemblent un peu au Thwaites, dont le Totten et le Denman. Il y a en fait quatre grands glaciers dans la vaste région de l’Est que nous surveillons depuis un an ou deux. 

L’Est Antarctique est une région extrêmement difficile d’accès. L’Ouest Antarctique est très difficile d’accès, et la partie orientale l’est encore plus. C’est de l’autre côté du continent, et y aller en bateau est un défi. Mais je n’ai pas de réponse pour l’instant, sinon que c’est très plausible. Si ce n’est pas plausible, nous n’enquêtons pas.

Glacier Dotson. © D. Holland, NYU.

Que vous apprend l’état du glacier Thwaites sur ce qui se passe dans l’océan?

Ce qui m’a vraiment ramené en arrière, c’est une étude publiée il y a deux ans par un de mes collègues, dans laquelle il a pris notre planète et fait deux expériences avec un modèle climatique. D’abord, il a analysé le climat des 200 dernières années sans aucun gaz à effet de serre d’origine humaine. Puis il a refait la même expérience, mais en ajoutant des gaz à effet de serre au modèle, comme nous l’avons fait sur la planète au cours des 200 dernières années. Et ce qui est très étonnant, c’est qu’en la présence de gaz à effet de serre, le vent près de Thwaites change et c’est ce qui apporte l’eau chaude. Il est stupéfiant de constater que les gaz présents ailleurs sur la planète réchauffent l’Arctique et modifient le vent et les courants océaniques qui apportent l’eau chaude.

Y a-t-il un autre point que vous aimeriez aborder ou une autre pensée que vous aimeriez partager?

Notre jeunesse est de plus en plus concernée par notre planète, ce qui est fantastique. Nous devons vraiment encourager les jeunes. Nous devons les former aux spécificités environnementales : la science, la technologie, l’ingénierie, les mathématiques… Nous devons vraiment leur instiller la joie d’explorer et de comprendre notre planète de manière pratique. Cet enjeu est générationnel et il est clair qu’il va préoccuper l’humanité pour les décennies, voire les siècles à venir.

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Pour en savoir plus sur la recherche de M. Holland, consultez son profil de département.

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