La mauvaise nouvelle du jour : Mark Carney vient de déposer un projet de loi qui risque de faire passer Stephen Harper pour un écologiste modéré. Le projet de loi C-5 (la Loi visant à bâtir le Canada) menace de pulvériser tous les records en matière de cadeaux à l’industrie pétrolière — oui, vous avez bien lu, tous les records, y compris celui du controversé projet de loi omnibus de Stephen Harper de 2012 — un projet de loi qui avait donné naissance au mouvement autochtone Idle No More et déclenché une vague de contestations contre les projets de pipelines à travers le pays.
La bonne nouvelle : nous pouvons encore changer le cours de l’histoire. D’abord, il s’agit d’un projet de loi (texte intégral ici), donc celui-ci peut encore être amendé ou modifié. De plus, nous ne savons toujours pas quelle sera la liste des projets dits d’intérêts nationaux. Autrement dit : nous tenons entre nos mains les clés pour empêcher ce désastre annoncé. Pendant que les lobbyistes de l’industrie pétrolière font leurs pressions en coulisses, nous devons faire entendre notre voix maintenant.
Signez notre nouvelle pétition : dites à Mark Carney qu’il doit prioriser les solutions climatiques plutôt que les énergies fossiles!
Que contient le projet de loi ?
Nos amis juristes d’Ecojustice ont produit une évaluation détaillée du projet de loi soulignant une tendance inquiétante de déni de démocratie et de mise à mal du processus parlementaire, dont voici quelques faits saillants :
- Le projet de loi C-5 vise à créer un « bureau fédéral des grands projets » qui seront identifiés et inscrits comme étant « d’intérêt national » pour un traitement prioritaire. Une fois inscrits sur cette liste, les projets ne seront plus soumis au processus d’approbation habituel et pourront être exemptés des exigences de 13 lois différentes, notamment la Loi sur les pêches, la Loi sur les espèces en péril, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, la Loi sur l’évaluation des impacts et la Loi sur les Indiens;
- Le projet de loi ne fait que suggérer des éléments qui peuvent être pris en considération pour décider quels projets seront jugés « d’intérêt national » (comme « promouvoir les intérêts des peuples autochtones », « atteindre les objectifs du Canada en matière de changement climatique » et « apporter des avantages économiques ou autres au Canada »), mais attention : il ne s’agit que de suggestions. En fin de compte, le Cabinet « peut tenir compte de tout facteur » qu’il juge pertinent, de sorte qu’il n’y a pas de critères clairs, ni d’obligation de consulter le public;
- En conséquence, le processus d’évaluation des projets sera hautement politisé et ce ne sont pas les meilleurs projets qui seront retenus, mais ceux qui disposent des lobbyistes les plus puissants. L’absence de critères obligatoires pour déterminer si les projets sont d’intérêt national encouragera les manœuvres politiques en coulisses et les négociations à huis clos avec les grandes entreprises, d’autant plus que l’inscription sur la liste pourrait s’avérer extrêmement lucrative pour une entreprise;
- Il n’est pas clair si, ni comment, les projets d’« intérêt national » garantiront le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones. Le préambule du projet de loi fait référence à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (qui inclut le droit au consentement libre, préalable et éclairé), mais le projet de loi ne prévoit aucun engagement en matière de consentement concernant la désignation des projets d’intérêt national, seulement une consultation. Nous assistons déjà à une opposition croissante de la part d’organisations et de communautés autochtones à l’égard de lois provinciales similaires en Ontario et en Colombie-Britannique, où la volonté d’accélérer les projets d’extraction des ressources se heurte aux droits des peuples autochtones;
- Le pouvoir de désigner des projets d’intérêt national est valable pendant cinq ans à compter de son entrée en vigueur, ce qui signifie qu’il sera également à la disposition du prochain gouvernement. Même si le gouvernement actuel affirme qu’il n’abusera pas des pouvoirs extraordinaires prévus dans le projet de loi (ce qui est franchement difficile à croire), il ne peut en dire autant du prochain gouvernement.
Le gouvernement affirme avoir besoin de ces pouvoirs d’urgence pour faire face à la menace des tarifs douaniers de l’administration Trump. Nous avons certes besoin de mesures radicales et de changement systémique pour sortir du statu quo, mais c’est la mise en œuvre de solutions climatiques que nous devons accélérer, et non la construction de pipelines qui menacent la nature, le climat et notre santé. Comme je l’ai dit au micro de Radio-Canada, « le simple fait d’envisager de désigner les projets pétroliers et gaziers comme étant d’intérêt national est une véritable gifle au visage de tous les Canadien·nes qui luttent en ce moment même contre les feux de forêt».
Au lieu de consacrer des ressources publiques à des infrastructures qui détruisent le climat, le Canada devrait construire des parcs solaires, travailler de concert avec les provinces pour développer des projets d’énergies renouvelables à faible coût, investir dans un réseau de trains à grande vitesse fiable s’étendant d’un océan à l’autre ainsi que de soutenir la création de communautés ZéN (zéro émission nette). Et rappelons-nous que toute stratégie efficace devra s’appuyer sur la science climatique et les savoirs ancestraux des peuples autochtones.
Il n’est pas trop tard pour y parvenir. Joignez-vous à nous pour le dire au premier ministre Carney :