À l’occasion de la de la Conférence des Nations Unies sur les Océans, Diaba Diop, Présidente du Réseau des Femmes de la Pêche Artisanale (REFEPAS), a pris part à la Marche Bleue organisée le 7 juin 2025 en faveur de la protection des océans. Au-delà du symbole, cette marche représente pour Diaba un cri du cœur – un appel puissant lancé au nom des milliers de femmes africaines qui tirent leur subsistance de la pêche artisanale. Ce que Diaba réclame est simple : que les voix de ces femmes soient enfin prises en compte dans les processus décisionnels qui façonnent l’avenir de nos océans et de nos communautés.

Je m’appelle Diaba. Je suis Sénégalaise, mais je préfère dire que je suis avant tout Africaine. Chez moi, au Sénégal, je travaille avec des centaines d’autres femmes dans la transformation artisanale du poisson. C’est une tradition bien ancrée : les hommes vont en mer pour pêcher, et nous, les femmes, nous nous chargeons de transformer le poisson en pour nourrir nos familles et faire vivre nos communautés. Mais aujourd’hui, cette tradition est menacée. Et notre quotidien est devenu un combat, pas seulement pour la reconnaissance de notre contribution dans la pêche artisanale, mais aussi contre la surexploitation de nos océans.
Si je me bats sans relâche, au quotidien, pour la reconnaissance de nos droits en tant que femmes actives dans le secteur de la pêche artisanale, c’est pour que les femmes transformatrices puissent préserver leur mode de vie et leur métier . Ce combat, je l’ai choisi volontairement, comme beaucoup d’entre nous.
Par ailleurs, il existe une pratique bien plus destructrice, à laquelle nous assistons, quasi impuissantes : la surpêche.

Mon océan vidé, mon métier menacé, ma famille fragilisée
Chaque jour, des navires industriels, souvent étrangers, viennent piller nos eaux, sans souci pour la durabilité, ni pour nos moyens de subsistance. Ils repartent avec nos ressources, laissant derrière eux un océan vidé et des femmes sans matière première. Le poisson se fait rare, nos revenus s’effondrent, et nourrir nos familles devient un défi. Si vous êtes déjà venu au Sénégal, vous avez sans doute goûté au thiéboudiène, ce plat emblématique que chaque famille chérit. Mais sans poisson, il perd toute sa valeur. Et pour nous, femmes transformatrices, c’est bien plus qu’un repas : c’est toute une économie locale qui vacille.
Le pillage systématique de nos ressources n’est plus un secret
Mais ce n’est pas qu’une question de repas familial. C’est tout un système économique et social qui s’effondre, pierre par pierre, à mesure que le poisson disparaît. La raréfaction de cette ressource met en péril notre travail, nos revenus, et même notre culture. Voici quelques faits concrets qui illustrent l’ampleur du problème :
- Plus de 7 millions de personnes en Afrique de l’Ouest dépendent directement de la pêche artisanale pour vivre, se nourrir et transmettre un héritage culturel unique.
- Plus de 40 % des stocks de poissons dans la région sont déjà surexploités ou épuisés, ce qui compromet non seulement la biodiversité marine mais aussi la sécurité alimentaire de millions de personnes.
- La pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) entraîne chaque année jusqu’à 2,3 milliards de dollars de pertes économiques, privant nos États de ressources vitales pour le développement.
- Les flottes industrielles étrangères, notamment chinoises et européennes, ont pris possession de nos eaux où elles opèrent en toute impunité, au détriment des pêcheurs locaux et de toute une filière artisanale.
- Des milliers de jeunes, nos enfants, nos maris et même nos soeurs qui sont tenté par l’immigration irrégulière
- Les accidents en haute mer impliquant des pêcheurs artisanaux et les bateaux industrielles causent également d’énormes pertes en vies humaines.
Pourquoi je défends le Traité sur la Haute Mer ?

Le Gabon et le Cameroun viennent de rejoindre les rangs des pays africains signataires du Traité des Nations Unies sur la haute mer. Avec eux, 15 pays africains se sont engagés à défendre une meilleure gouvernance de nos océans. Ce traité est une chance unique d’agir contre la destruction des écosystèmes marins. Il permettrait de créer des aires marines protégées au-delà des juridictions nationales, et donc de préserver durablement nos ressources halieutiques. Aujourd’hui, le traité est encore fragile. En mai 2025, seuls 21 pays l’ont ratifié. Pour qu’il entre en vigueur et devienne contraignant, il en faut 60. Le temps presse, et l’océan ne peut plus attendre.
Ce que ce traité peut changer pour nous toutes :
- Une gestion équitable des ressources génétiques marines ;
- La création de zones marines protégées en haute mer ;
- L’obligation d’évaluer les impacts environnementaux des activités en mer ;
- Le transfert de technologies et le renforcement des capacités pour les pays du Sud.
Alors moi, Diaba, j’interpelle les gouvernements africains : rejoignez les pays qui ont déjà agi. Nous avons besoin de courage politique. Il en va de la survie de nos océans, de notre souveraineté alimentaire, de notre dignité.
S’ils l’ont fait… pourquoi pas vous ?
Diaba Diop, Presidente REFEPAS & Luchelle Feukeng, Chargée de la Communication et du Storytelling, Greenpeace Afrique