La justice est profondément ancrée dans notre ADN
Depuis sa naissance, Greenpeace a une mission centrée sur la justice. Qu’il s’agisse des manifestations contre les essais nucléaires en Alaska dans les années 1960 ou de la lutte actuelle pour la justice climatique, nous nous efforçons toujours de changer le système dans son ensemble. La destruction écologique va quasiment toujours de pair avec l’injustice. Protéger la planète signifie donc aussi porter un regard critique sur les structures qui sont à l’origine des problèmes.
Et Greenpeace elle-même ? Nous avons constaté que notre organisation n’était pas toujours un lieu sûr et inclusif. Souvent, les personnes noires, autochtones, racisées, LGBTQIA2S+ et handicapées, en particulier, ne s’y sentaient pas à leur place. Nous avons entendu des témoignages d’exclusion, de micro agressions et de sentiment de ne pas être écouté. Comme beaucoup d’autres organisations, nous avons dû oser nous regarder en face. Comment pouvons-nous lutter pour la justice climatique alors qu’il existe des injustices au sein même de notre organisation ?
Ce constat a retenti comme un signal d’alarme. Greenpeace véhicule donc elle aussi, parfois inconsciemment, des schémas et des structures que nous combattons justement par ailleurs.
Nous ne pouvions pas l’ignorer. Pas si nous voulons vraiment changer, tant au sein de notre organisation qu’à l’extérieur.
Commencer par le début : apprendre
Nous avons lancé en 2022 un important programme de formation qui traite les questions de justice, d’égalité, de diversité, d’inclusion et de sécurité, que nous avons baptisé JEDIS : (Justice, Equity, Diversity, Inclusion & Safety). Cette trajectoire JEDIS vise à éliminer les inégalités au sein de notre organisation et en dehors. Il s’agit d’un engagement à répartir plus équitablement le pouvoir, à créer des lieux de travail plus sûrs et plus inclusifs, et à construire nos campagnes à partir de perspectives diverses, en laissant la place à la voix et à l’expérience de chacun·ne. C’est la seule façon d’initier un véritable changement.
La trajectoire JEDIS n’est pas une check list, une formalité à remplir. Il s’agit d’un parcours parfois douloureux mais porteur d’espoir, qui emmène notre organisation là où nous voulons être.
Etablir un plan d’action
Sous la supervision de notre expert JEDIS interne Shanthuru Premkumar, nous avons commencé notre parcours en écoutant d’abord attentivement. Nous avons identifié nos lacunes, discuté avec des collègues de toutes les équipes et recueilli des commentaires au sein et à l’extérieur de Greenpeace. Nous avons appris et continué à apprendre.
Entre 2022 et 2024, nous avons pris de nombreuses mesures, telles que :
- Des formations sur les préjugés inconscients, les micro-agressions et le langage inclusif afin de mieux communiquer entre nous sans blesser inconsciemment.
- Un club de lecture autour du livre Me and White Supremacy de Layla Saad afin de discuter ensemble des privilèges.
- La participation à des manifestations pour soutenir les mouvements antiracistes, féministes et queer, car la solidarité est tout aussi importante en dehors de notre organisation qu’en son sein.
- La création d’espaces sûrs et de réunions pour les collègues BIPOC afin d’offrir un environnement sûr où les collègues de couleur peuvent partager leurs expériences sans crainte d’être jugés et où iels peuvent trouver force et soutien.
- Des discussions approfondies sur le colonialisme en Belgique, car comprendre l’impact historique et actuel du colonialisme aide à mieux reconnaître et combattre les inégalités raciales, y compris au sein de notre propre organisation et de nos campagnes.
- Un accompagnement des personnes dirigeantes dans ce processus, car un véritable changement nécessite des responsables qui osent écouter, réfléchir et agir de manière inclusive.
“Nous avons enfin trouvé les mots pour exprimer ce qui nous préoccupait depuis longtemps. Pour certains d’entre nous, cela a sonné comme une permission d’enfin pouvoir parler.” – Membre du personnel de Greenpeace Belgique

Qu’est-ce qui a changé ?
Ce chantier a fait évoluer notre culture. Pas partout, pas toujours ni parfaitement. Des choses se sont produites. Des employé·es ont déclaré se sentir plus en sécurité pour s’exprimer. Les conversations sont devenues plus honnêtes. Des termes comme ‘intersectionnalité’ sont apparus dans nos conversations, non seulement pendant les formations, mais aussi lors des réunions, qu’elles soient consacrées à des projets ou à des campagnes.
Nous avons commencé à identifier les angles morts au sein de notre travail. Nous avons établi des liens de plus en plus clairs entre la destruction écologique et les systèmes d’oppression : colonialisme, patriarcat et capitalisme.
Nous abordons désormais nos campagnes avec un regard plus conscient et intersectionnel. Cela a changé notre façon de penser, de planifier et de communiquer. Le JEDIS n’est pas quelque chose que nous ajoutons après coup, c’est quelque chose que nous intégrons dès le début dans nos projets.
Nous posons sur notre travail un regard critique, et nous le questionnons en profondeur. Ces questions nous aident à découvrir nos manquements, à revoir nos hypothèses et à créer des campagnes qui ont non seulement un impact, mais qui sont également plus justes et plus inclusives. Nous nous demandons :
- Qui sont les oublié·es de nos histoires ?
- Racontons-nous une histoire juste ? De quelle perspective ?
- Décelons-nous des inégalités dans l’impact que nous souhaitons et les solutions que nous proposons?
- Notre travail est-il vraiment accessible à tous·tes ?
Les défis
Cette route n’est pas simple. Porter un regard critique sur soi et sur son organisation est douloureux. Les projets JEDIS peuvent être perçus comme des tâches supplémentaires qui s’ajoutent à la charge de travail. Il y a eu des résistances, parfois feutrées, parfois très ouvertes. Certains ateliers ont été quittés prématurément par des collègues. Certain·es ont émis des inquiétudes quant à l’impact de tout cela sur les dons et les soutiens dont bénéficient l’organisation.
L’introspection peut être difficile, surtout lorsqu’elle touche à des expériences personnelles. Pourtant, nous avons constaté que ce sont précisément ces discussions qui nous ont rapprochés.
Les inégalités persistent. Les privilèges diffèrent. Il est important d’en être conscient·e à tout moment. Pour celles et ceux qui jouissent de nombreux privilèges, cela peut être dérangeant, mais cela fait partie du processus.
“C’est comme si nous étions en train de gravir une montagne. Mais avec des gros décalages. Plusieurs d’entre nous sont encore au pied de la montagne. D’autres portent un poids supplémentaire en raison de ce qu’iels ont déjà vécu.” — Membre du personnel de Greenpeace Belgique
L’importance des JEDIS
Nous ne faisons pas cela pour être tendance ou woke mais parce que c’est indispensable pour entrer en action. La crise climatique est avant tout une crise de justice. Les personnes les moins responsables des dérèglements climatiques, telles que les peuples autochtones, les personnes de couleur et les personnes en situation de pauvreté, sont souvent celles qui en subissent le plus les conséquences, tout en étant celles qui sont le moins entendues.
Notre trajectoire JEDIS nous rappelle que protéger la nature, c’est aussi protéger les personnes. Cela nécessite une autre vision du pouvoir, du leadership et de la solidarité. Non pas dans une optique de perfection mais en acceptant d’évoluer constamment. Pas seulement en théorie, mais surtout dans nos actions concrètes.
Ce que tout cela nous appris (et continue à nous apprendre) :
- Grandir prend du temps. L’inclusion demande de l’énergie et de l’humilité.
- Ce qui se joue ici est un changement en profondeur des structures, pas juste une aspiration à être gentil les un·es envers les autres.
- Oser se sentir mal à l’aise fait partie du processus, à condition que cela se fasse dans le respect et le soin de tout le monde.
- Ces histoires sont celles qui créent des liens et font la différence.
Et l’après ?
Nous n’y sommes pas encore. JEDIS n’est pas un projet avec une deadline fixe, c’est une mission permanente qui continue de nous stimuler et de nous guider. C’est pourquoi nous poursuivons nos efforts, avec des mesures concrètes :
- Intégrer JEDIS dans chaque fonction
La justice, l’égalité, la diversité, l’inclusion et la sécurité ne doivent pas être la tâche d’un petit nombre de personnes. Elles doivent faire partie des responsabilités de chacun, être intégrées dans chaque rôle et chaque équipe, des campagnes aux ressources humaines, de la communication à la logistique.
- Communiquer clairement sur JEDIS et pourquoi c’est important
Nous voulons que tout le monde, au sein et à l’extérieur de notre organisation, comprenne ce que nous défendons. Pas de jargon ni de promesses vagues, mais des explications claires et accessibles sur nos choix, nos objectifs et nos difficultés.
- Rendre nos campagnes plus inclusives
JEDIS doit être visible dans ce que nous faisons et dans la manière dont nous le faisons. Nous continuons à examiner nos campagnes d’un œil critique : quelle histoire racontons-nous, qui a la parole, et qui en est encore absent ?
- Et surtout : rester à l’écoute
Les un·es les autres, nos collègues, les communautés avec lesquelles nous travaillons et les personnes victimes d’injustices. Ce n’est qu’en écoutant vraiment que nous pourrons continuer à grandir et à changer.
Pourquoi communiquer là-dessus ?
Parce que le mouvement environnemental doit devenir plus grand, plus courageux et plus inclusif pour surmonter cette crise. Le véritable changement commence par l’honnêteté.
Nous sommes fièr·es des mesures que nous avons prises. Mais nous reconnaissons également qu’il en reste encore beaucoup à prendre. Nous sommes reconnaissant·es envers celles et ceux qui ont accompli ce travail, même lorsque cela a été difficile.
En 2024, Daria Popovici, Ana Amelia Carneiro Da Fonseca et I-I Chan, sous la direction de Shanthuru Premkumar, ont apporté un regard critique et précieux sur nos efforts. Iels nous ont aidés à évaluer en profondeur la trajcetoire JEDIS : ce que cela implique, ce que nous avons déjà accompli et les axes d’amélioration possibles. Ces réflexions ont servi de base à ce blog. Nous les remercions pour leur leadership, leurs idées et leur ouverture d’esprit. |