Ah l’arrivée du printemps… Les jours qui rallongent, la sève qui monte, le retour des fleurs et celui… des tondeuses à gazon. On pourrait croire que l’entretien du gazon au printemps est un passage obligé. Mais d’où vient cette injonction à avoir une cour, un jardin, des parcs et des bords de route tondus à la perfection? 

Photo © David-Pierre Mangiapan

Le réveil de la végétation au printemps et son cortège de pissenlits est pourtant l’occasion pour les pollinisateurs — ces insectes qui sont au cœur du système de reproduction de la nature — de trouver refuge et nourriture pour ne pas mourir de faim avant que la saison estivale ne démarre vraiment.

Mais en raison de l’utilisation toujours plus intensive des pesticides, et de la pression morale et sociale d’entretenir et de tondre nos pelouses dès que les températures remontent, le sort des abeilles domestiques et des pollinisateurs sauvages déjà en déclin ne fait que s’aggraver.

Gazon bien tondu ou prairie fleurie : on fait le point

En compilant plusieurs études européennes et américaines, l’Université du Québec à Trois-Rivières a démontré que les pelouses forment des écosystèmes de faible biodiversité et que l’état des lieux se détériore davantage quand l’intensité de la tonte augmente. Une intensité de tonte élevée serait ainsi liée à une baisse dans le nombre d’invertébrés, à un appauvrissement de la diversité végétale et à la présence accrue d’insectes et de plantes indésirables. Nous avons donc toutes les bonnes raisons de revoir notre manière de faire.

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C’est d’ailleurs l’idée derrière le mouvement No Mow May ou le défi Mai sans tondeuse. Parce que chaque nouveau coin de verdure laissé à lui-même est une petite victoire pour la biodiversité, des citoyen·nes, mais aussi des villes, travaillent à faire évoluer les mentalités. Comme ce couple de l’Outaouais qui a eu maille à partir avec son voisin et sa municipalité en raison de son jardin-prairie rempli de fleurs et d’asclépiades qui dépassaientt bien les 15 cm de hauteur permise par le règlement municipal. Ou ce citoyen de Moncton qui sensibilise son voisinage à oublier les tondeuses en ce mois de mai pour encourager davantage de biodiversité. 

C’est aussi le cas de villes comme Lyon en France, qui s’est engagée à laisser la moitié des 15 hectares du parc de la Tête d’or — un de ses plus grands parc urbain — à l’état naturel suite au confinement de 2020. Mais aussi de Rotherham au Royaume-Uni, qui, grâce à une longue campagne de l’organisme Plantlife, a cessé de tondre les bordures de ses routes et économise ainsi près de 37 000$ (25 000 euros) tous les deux ans en frais de tonte. D’autres villes britanniques ont aussi pris cet engagement.

La pelouse, ce marqueur social

Petite parenthèse historique, la pelouse rase n’est pas une lubie nouvelle. On a retrouvé des représentations de gazon “coupé en brosse” datant de l’Antiquité (pour l’anecdote, l’origine latine du mot pelouse signifie « poilue »). Puis bien plus tard au Moyen-âge en Europe, dans les demeures seigneuriales ou aux bords des châteaux. Mais c’est véritablement à la fin du XVII siècle, toujours en Europe, que la pelouse tondue ras est devenue le nec plus ultra. Un instrument de distinction sociale qui permettait d’afficher son opulence, puisque disposer de vastes étendues de pelouses entretenues pour un usage peu voire non productif laissait deviner la fortune de leur propriétaire. Fin de la parenthèse.

Mettre fin au règne du gazon

Maintenant, si l’appel de la tondeuse à gazon se fait trop pressant, voici cinq raisons de résister et de remettre cette activité à plus tard, voire de ne pas la remettre du tout :

1. Favoriser la biodiversité, les plantes sauvages et les pollinisateurs

Le plus sûr moyen de favoriser la biodiversité et les bienfaits qu’elle apporte, est de la laisser se déployer. Le ré-ensauvagement des jardins et parterres végétalisés et la création de zones refuge va ainsi permettre le retour d’insectes, de pollinisateurs qui vont butiner, mais aussi des auxiliaires du jardin, qui vont protéger les autres plantes des nuisibles, jusqu’à ce que tout ce petit monde s’équilibre. Vous pourriez aussi vous procurer des semences de plantes mellifères locales afin d’attirer les pollinisateurs. 

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2. Réduire la présence des herbes indésirables ou envahissantes

C’est peut-être contre intuitif, mais les faits sont là. Lorsque l’on exerce une pression sur un habitat, seules les espèces les plus adaptées à cette pression vont s’installer durablement. Des espèces comme le pissenlit (Taraxacum officinalis), le trèfle blanc (Trifolium repens), ou des plantes responsables d’allergies comme l’herbe à poux, ne craignent pas d’être régulièrement coupées : leur cycle de vie est rapide et elle se reproduisent bien. Elles vont donc dominer les jardins très entretenus, car ce sont les seules qui réussiront à le faire.

3. Faire des économies d’argent et préserver les ressources

Avez-vous fait le compte du temps passé et de l’argent dépensé dans l’entretien de votre pelouse? Entre la tondeuse, les fertilisants, les semences, l’outillage, cette pression sociale de la pelouse verte où rien ne dépasse est devenu au fil du temps un vaste business pesant près de 3 milliards $ au pays. Une activité qui engouffre en outre des quantités astronomiques d’eau, de pesticides et plus de 150 millions de litres de carburant annuellement au Canada. 

4. Avoir davantage de temps pour vous

Si on se fie aux périodes de tontes et à leur fréquence, soit entre la mi-mai et la mi-octobre, il est probable qu’au terme de la saison vous ayez passé en moyenne 20 heures à entretenir votre pelouse. Un temps qui aurait pu être utilisé à s’occuper de quelques plantes potagères, ou simplement à vaquer à d’autres occupations.

5. Laisser faire la nature

Vous vous demandez comment espacer les tontes et les arrosages tout en gardant un jardin fertile et agréable? Les herbes hautes retenant mieux l’humidité, vous pourriez par exemple laisser de côté certains espaces et ne tondre qu’une partie de votre jardin ; laisser les résidus de coupe au sol (mulch), ce qui le fertilisera naturellement ; laisser pousser des fabacées, comme le trèfle blanc, qui permettront de fournir de l’azote ; et enfin, laisser les feuilles mortes s’accumuler à l’automne pour fournir du carbone à votre sol, des éléments essentiels pour un jardin vivant et en santé.

Voilà, vous savez maintenant tout ou presque sur les pelouses. Et histoire de semer des graines et des pistes, aucune grande ville canadienne n’a encore relevé publiquement le défi Mai, Juin, Juillet sans tondeuse… En espérant que ça en inspire certain·es. Profitez bien de votre jardin, des parcs et de la nature!

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