Dans le cadre de l’une de ses premières initiatives, le premier ministre Carney a présenté le projet de loi C-2, également connu sous le nom de Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière. Malgré ce que son titre pourrait suggérer, de nombreuses dispositions de ce texte législatif n’ont que peu ou pas de rapport avec les frontières. Et lorsqu’elles en ont, elles ne visent pas la sécurité, mais le renforcement d’un système fondé sur le contrôle militarisé, le profilage racial et la surveillance de masse. Présenté comme une mesure nécessaire, ce projet de loi est un amalgame dangereux de politique antimigratoire et de contrôle autoritaire.

Dans sa version initiale, le projet de loi C-2 aurait pour effet de :

  • Élargir l’autorité de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), une institution connue pour son bilan en matière de profilage racial et de décès en établissement; 
  • Permettre au gouvernement de révoquer les permis d’immigration de groupes entiers de personnes en fonction de critères tels que leur pays d’origine, sans que les personnes concernées puissent faire appel de cette décision;
  • Faciliter la détention et l’expulsion des personnes migrantes et réfugiées sans passer par les tribunaux; 
  • Renforcer la surveillance policière et les services de sécurité sans véritable encadrement;
  • Miner le droit à l’asile et les engagements du Canada en matière de droits de la personne.

Le projet de loi C-2 a fait l’objet d’une vive opposition politique, et plus de 300 organisations de la société civile se sont unies pour s’opposer à cette législation radicale. Au lieu de faire marche arrière, le gouvernement de Carney a réagi à cette levée de boucliers en annonçant qu’il comptait toujours faire adopter ce texte législatif en le divisant en plusieurs parties. Le Parti libéral ne cherche pas à « rectifier » le projet de loi C-2. Il a simplement regroupé les dispositions les plus controversées de ce dernier sous un autre nom.

Selon Michael Geist, expert en matière de protection de la vie privée, le projet de loi C-2 « donne finalement l’impression que le gouvernement tentait d’agir rapidement pour faire adopter des mesures frontalières sous le couvert d’une “crise” avec les États-Unis et qu’il a ajouté les dispositions concernant l’accès légal en espérant que le tout serait adopté à la hâte, sans examen approfondi, avant que quiconque ne s’en aperçoive. Cela expliquerait la formulation bancale, l’absence de preuves justifiant les modifications, les références limitées à l’accès légal lors de la présentation du projet de loi et la déclaration honteuse du ministère de la Justice au sujet de la Charte, qui ridiculisait un processus censé garantir le respect de cette dernière. »

Abordons les aspects les plus préoccupants du projet de loi C-2 (maintenant divisé en deux projets de loi distincts, C-2 et C-12), ainsi que des projets de loi C-8 et C-9. Ces quatre textes législatifs sont envisagés par le gouvernement fédéral et soulèvent de sérieuses préoccupations en matière de droits de la personne, de droits constitutionnels et de droit à la vie privée.

Projet de loi C-12

Loi concernant certaines mesures liées à la sécurité de la frontière canadienne et à l’intégrité du système d’immigration canadien et d’autres mesures connexes liées à la sécurité

Selon le ministre de la Sécurité publique, l’objectif du projet de loi C-12 est de « de renforcer le système d’immigration et la sécurité de la frontière, de protéger les Canadiens et d’assurer la sécurité de nos communautés ». Le texte législatif prétend y parvenir en conférant plus de pouvoir aux forces de l’ordre et en durcissant les règles relatives aux demandes d’asile et d’immigration.

En réalité, le nouveau projet de loi C-12 reprend les mêmes grandes lignes que le projet de loi C-2, « laissant intactes les mesures visant à bloquer les audiences pour le statut de personne réfugiée, imposer des interdictions rétroactives arbitraires d’un an, et accorder aux ministres des pouvoirs excessifs d’annulation du statut d’immigration ». Cela permettrait au gouvernement d’annuler en masse les demandes d’immigration et même d’annuler les visas ou les cartes de résidence permanente de personnes déjà présentes au pays.

De plus, le projet de loi préconise une approche fondée sur la répression en matière de drogues, ignorant des décennies de preuves montrant que la criminalisation et l’interdiction alimentent la crise actuelle des drogues non réglementées et toxiques. « La mise en œuvre accélérée du projet de loi C-12 stimulera l’innovation sur le marché des drogues illégales, rendant l’approvisionnement déjà mortel en drogues non réglementées encore plus imprévisible au Canada », a déclaré Nick Boyce, de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues. « Cette législation aggravera la crise des drogues toxiques non réglementées tout en dilapidant des ressources qui devraient être consacrées à des choses essentielles, comme le logement, les soins de santé et la réduction des méfaits. »

Projet de loi C-2

Loi concernant certaines mesures liées à la sécurité de la frontière entre le Canada et les États-Unis et d’autres mesures connexes liées à la sécurité

Malgré une vive opposition à travers tout le Canada, le gouvernement fédéral reste déterminé à faire adopter le projet de loi C-2. Ses dispositions restantes donneraient au gouvernement, à la police et aux services de sécurité un pouvoir considérable pour accéder aux renseignements privés des Canadien·nes sans autorisation judiciaire préalable.

L’un des exemples les plus flagrants du contrôle autoritaire prévu par le projet de loi C-2 est la possibilité pour les agent·es de la paix et les fonctionnaires de formuler des « demandes formelles de renseignements ». Grâce à ce pouvoir, les « personnes fournissant des services au public » (une catégorie incroyablement large qui inclut aussi bien les garagistes que les prestataires de soins de santé) peuvent être contraintes de fournir une multitude d’informations sur les personnes auxquelles elles fournissent des services. Les prestataires de services pourraient devoir se conformer à ces exigences dans un délai aussi court que 24 heures, et il pourrait leur être interdit de divulguer l’existence d’une demande d’information pendant une période pouvant aller jusqu’à un an après son dépôt. Lorsqu’une demande d’information est faite, les prestataires ne disposent que de cinq jours pour réclamer l’annulation ou la modification de cette demande en s’adressant au tribunal par écrit. Même dans ce cas, la personne concernée ne peut effectuer cette demande que si elle a, avant la date à laquelle les renseignements doivent être fournis, avisé l’individu ayant effectué la demande d’information qu’elle compte en présenter une. Ces exigences laissent très peu de temps aux prestataires de services pour contester ces demandes, et encore moins pour s’y conformer.

Pour couronner le tout, la formulation d’une demande d’information exige seulement que l’agent·e ait des « motifs raisonnables de soupçonner » qu’une infraction a été ou sera commise en vertu d’une loi fédérale et que les informations demandées aideront à l’enquête. Il s’agit d’une exigence extrêmement basse et bien inférieure à celle de « motifs raisonnables de croire ». Le simple fait de soupçonner qu’une infraction pourrait être commise est ainsi jugé suffisant.

Le projet de loi C-2 introduirait également la Loi sur le soutien en matière d’accès autorisé à de l’information, qui permet au gouvernement d’ordonner aux fournisseurs de services électroniques de faciliter l’accès à l’information pour les « personnes autorisées » (c.-à-d. autorisées à accéder à l’information en vertu du Code criminel ou de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité). Le ministre de la Sécurité publique pourrait ordonner à un fournisseur de services électroniques d’extraire et de classer des renseignements et de les rendre accessibles aux personnes autorisées, ainsi que d’installer et d’utiliser tout dispositif permettant à une personne autorisée d’accéder à ces informations. Le gouvernement pourrait ainsi ordonner aux prestataires de services électroniques non seulement de fournir les informations privées des Canadien·nes à la police et aux services de sécurité, mais aussi d’installer des « portes dérobées » qui leur permettraient d’accéder à ces renseignements en tout temps.

Bien que les prestataires de services électroniques ne soient pas tenus de se conformer à la disposition d’un règlement si cela les oblige à introduire une « vulnérabilité systémique », le sens du terme « vulnérabilité systémique » n’est pas défini dans la loi et sera précisé dans un règlement futur. L’exception ainsi prévue ne constituera donc probablement pas une protection efficace contre les atteintes à la vie privée. Autre fait préoccupant, un fournisseur de services électroniques ne peut révéler les informations contenues dans un ordre, les informations sur lesquelles le ministre de la Sécurité publique s’est appuyé pour rendre l’ordre, ni même le fait qu’il fait l’objet d’un ordre. S’ils divulguent ces renseignements, ils s’exposent alors à une amende importante.

Ce ne sont là que deux exemples des nombreux moyens par lesquels le gouvernement fédéral cherche à accroître ses pouvoirs de surveillance par le biais du projet de loi C-2. Nous exhortons donc vivement le gouvernement fédéral à renoncer au projet de loi C-2 afin de protéger le droit constitutionnel des Canadien·nes à la vie privée.

Projet de loi C-8

Loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois

S’il est adopté, le projet de loi C-8 aurait pour effet de :

  • Modifier la Loi sur les télécommunications afin d’étendre la surveillance fédérale des réseaux de télécommunications pour des raisons de sécurité nationale; et
  • Adopter la Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels (LPCE), qui introduit des obligations en matière de cybersécurité pour les exploitants de services et de systèmes essentiels.

Cette loi donnerait au ministre le pouvoir de contourner les mesures de sécurité cryptographique en place et d’installer des portes dérobées dans les réseaux canadiens à des fins de surveillance. Cela signifie que le gouvernement pourrait surveiller toutes vos activités en ligne, des transactions bancaires aux communications personnelles. Les organismes canadiens de protection de la vie privée et du renseignement ont averti que, s’il était adopté, le projet de loi autoriserait la saisie sans mandat d’informations privées sensibles, ainsi que la collecte et le partage de communications, de métadonnées, de données de localisation et de données financières.

En l’absence de garanties en matière de protection de la vie privée, la société civile exhorte le gouvernement fédéral à modifier le projet de loi afin d’interdire au gouvernement de prendre des mesures susceptibles de compromettre la sécurité des installations et des services de télécommunications. Cet appel fait suite à une série d’avertissements lancés par des spécialistes en cybersécurité au Canada et aux États-Unis concernant les risques qu’un manque d’action en la matière ferait peser sur l’économie canadienne et sur le droit fondamental à la vie privée de la population.

Projet de loi C-9

Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse, crime haineux et accès à des lieux religieux ou culturels)

Bien que Greenpeace Canada convienne que les gens doivent être protégés contre les incidents haineux, le projet de loi C-9 criminalise la protestation, la dissidence, la liberté d’expression et le droit de réunion, ce qui contrevient clairement aux droits garantis par la Charte.

Les nouvelles dispositions du projet de loi interdisent l’affichage de certains symboles, accordant aux forces de l’ordre et au gouvernement un large pouvoir discrétionnaire quant à la définition de ces symboles. Ces dispositions permettraient à la police de procéder d’abord à des arrestations lors de manifestations et autres rassemblements, puis de poser des questions par la suite, ce qui porterait davantage atteinte à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, tout en conférant un pouvoir discrétionnaire accru aux forces de l’ordre. Elles incluraient également la création de « zones bulles » interdisant les manifestations à proximité de certains lieux déjà protégés par la loi et permettant à la police d’intervenir en cas de méfait, d’intimidation, de harcèlement ou de menaces. Les infractions d’intimidation et d’entrave prévues par le projet de loi C-9 sont définies en des termes trop généraux et vagues, et risquent de criminaliser les manifestations pacifiques.

Selon l’ICLMG, les nouvelles infractions proposées seraient passibles de sanctions importantes, y compris des peines d’emprisonnement. Ainsi, des personnes ayant l’habitude de s’exprimer sur des enjeux sociaux importants s’abstiendront de le faire par crainte de se retrouver dans le collimateur de pouvoirs discrétionnaires supplémentaires et mal définis. Si cela n’est pas l’intention du gouvernement, nous l’exhortons à retirer ce projet de loi afin de privilégier des approches qui protégeraient les communautés vulnérables tout en garantissant la protection des droits et des libertés civiles.

Qu’est-ce que cela implique et que pouvez-vous faire?

Ces projets de loi constituent une sérieuse menace. Ils mettent en péril les droits, la vie privée et les moyens de subsistance de l’ensemble des personnes au Canada, qu’elles soient citoyennes ou non, et portent gravement atteinte à nos droits garantis par la Constitution. Ces lois restrictives sont le reflet d’un gouvernement plus autoritaire et doivent être remises en question, contestées et rejetées. Alors que de nombreux groupes de la société civile tirent la sonnette d’alarme sur ces nouvelles lois troublantes, voici une liste de gestes que vous pouvez poser :

  • Écrivez à votre député·e, à votre fournisseur d’accès Internet, au Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et au Bureau du commissaire au renseignement du Canada;
  • Signez notre pétition;
  • Agissez avec des groupes de défense des libertés civiles tels que l’ICLMG ou Citizen Lab;
  • Agissez avec des groupes de défense des droits des personnes migrantes tels que le Migrant Rights Network ou le Conseil canadien pour les réfugiés.