En lisant entre les lignes des nouvelles mesures de financement de transition accordées par le gouvernement fédéral aux grandes entreprises, on a l’impression que le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau (sous la pression du NPD, des Verts et du Bloc) commence à reconnaître qu’un simple « retour à la normale » n’est pas envisageable.

Ceci donne espoir. La normalité telle que nous la connaissions jusqu’à présent était un monde fait d’inégalités croissantes et une planète en surchauffe. Le parlement a peut-être déclaré l’état d’urgence climatique l’an dernier, mais c’est la réponse à cette pandémie qui nous montre réellement comment une crise doit être traitée.

Cela commence par imposer aux entreprises affectées par la crise de la COVID-19 demandant un soutien public, des conditions qui contribueront à amorcer une relance s’appuyant sur plus de justice et de résilience face aux changements climatiques.

La bonne nouvelle

Contrairement aux plans de relance mis en œuvre suite au krach boursier de 2008, le gouvernement fédéral a déclaré que le soutien public qu’il offrirait aux entreprises serait soumis à des conditions d’ordres social et environnemental.

Greenpeace a formulé une série de recommandations sur la manière de protéger les travailleuses et travailleurs tout en accélérant la transition vers une économie sobre en carbone, et un grand nombre de ces recommandations se trouve dans l’annonce du gouvernement fédéral. Voici ce qu’elles comprennent :

  • Exiger que les travailleuses et travailleurs soient protégé·es par le biais d’engagements visant à conserver leur niveau d’emploi, à respecter les accords passés avec les syndicats et à protéger leurs retraites.
  • Imposer des « limites fermes » sur la rémunération, les dividendes et les rachats d’actions des dirigeant·es d’entreprise pour faire en sorte que l’argent public ne soit pas simplement redirigé vers de riches actionnaires et dirigeant·es d’entreprises.
  • Laisser entendre que des mesures répressives seront adoptées contre l’utilisation de paradis fiscaux qui permettent aux entreprises de ne pas payer leur juste part d’impôts. 
  • Exiger que les entreprises bénéficiaires d’aide publique produisent des rapports annuels indiquant leur impact environnemental, en précisant comment leurs futures opérations contribueront à la durabilité environnementale et aux objectifs nationaux en matière de climat.

Il n’y a pas si longtemps, ce genre de conditions aurait été impensable.

Si nous en sommes arrivé·es là, c’est grâce à la pression exercée par la population et au changement de l’opinion publique. Un sondage d’opinion a notamment révélé que la majorité des Canadien·nes souhaitaient voir, après la pandémie, une transformation drastique dans la société mettant davantage l’accent sur la santé et le bien-être.

Énoncer des conditions est la partie la plus facile pour le gouvernement. Ce qui sera plus difficile sera de les faire appliquer face à la résistance concertée des entreprises, et c’est pourquoi nous devons maintenir la pression. 

La mauvaise nouvelle

Nous pourrions voir émerger un plan de relance qui profite aux entreprises pétrolières et aux compagnies aériennes qui exposent collectivement à davantage de risques en accélérant les changements climatiques, la pollution et la perte de biodiversité.

Nous devons bien sûr soutenir les travailleuses et travailleurs engagé·es dans ces industries en mettant également en place un plan de transition juste à plus long terme. Mais nous ne devons en aucun cas cautionner la destruction de l’environnement avec les deniers publics, en particulier par les entreprises (tous les membres de l’Association canadienne des producteurs pétroliers) qui financent des campagnes visant à saper les mesures climatiques ou qui tentent d’utiliser la pandémie comme prétexte pour affaiblir les réglementations environnementales.

C’est là que la question de la mise en application devient primordiale: ces conditions auront-elles une efficacité réelle et seront-elles appliquées avec rigueur? Ou s’agira-t-il simplement d’un magnifique exercice de relations publiques?

Ce qu’il reste à déterminer

Les nouvelles mesures de financement accordées aux grandes entreprises  ont été déployées en un temps record et cette annonce s’est faite sans qu’aucune précision ne soit donnée quant à leur application. Quelles seront les limites acceptables de rémunérations des dirigeant·es? D’évasion fiscale? Si les entreprises reçoivent cette aide puis décident de licencier leurs employé·es, devront-elles rembourser ces sommes?

La condition la plus difficile à faire appliquer sera celle liée au climat. Le gouvernement fédéral a déclaré que les entreprises « devront s’engager à publier annuellement des rapports de divulgation de l’information liée au climat conformément aux exigences du Groupe de travail sur la divulgation de l’information financière relative aux changements climatiques du Conseil de stabilité financière ».

Jusque-là tout va bien. Cependant, Greenpeace  demande que toutes les grandes entreprises soient être forcés  de publier ces rapports, comprenant notamment une étude démontrant que leurs plans d’affaires tiennent compte des objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat. Tromper la population en redorant son blason écologique relève de la publicité mensongère, mais tromper les investisseurs sur des questions de grande importance relève de la fraude. Il serait donc utile d’avoir ces rapports à disposition afin de les comparer et d’exposer les différences entre les entreprises d’un même secteur.

Le gouvernement fédéral a également indiqué vouloir intégrer une évaluation sur la façon dont les opérations futures des entreprises « appuieront la durabilité environnementale et les objectifs nationaux en matière de climat ». Pendant cette conférence de presse, le Premier ministre a déclaré que les « objectifs nationaux en matière de climat » visaient à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Nous ne pouvons pas nous en remettre aux entreprises pour décider de la manière dont elles souhaitent répondre à ces objectifs climatiques. Certaines compagnies pétrolières ont annoncé viser la neutralité carbone, toutefois un groupe d’investisseurs ayant examiné ces promesses ont révélé qu’il ne s’agissait que de paroles en l’air.

Concernant les conditions liées aux mesures climatiques dans cette annonce, le ministre des Finances, Bill Morneau, a fait référence à Suncor comme étant un chef de file dans la lutte contre les changements climatiques. Cependant, si l’on étudie de plus près le rapport de Suncor sur le climat, la compagnie elle-même admet que si ses activités devaient s’inscrire dans un système à faibles émissions de carbone, elle cesserait d’investir dans les sables bitumineux et n’aurait pas besoin de nouveaux pipelines.

Les investisseurs ne se laissent pas tromper. Le 12 mai, Suncor de même que d’autres géants de l’industrie des sables bitumineux (comme Canadian Natural Resources (CNRL), Cenovus Energy et Imperial Oil) ont été les premières entreprises à être placées sur la liste noire du fonds pétrolier de la Norvège (le plus gros fonds souverain au monde), pour des raisons éthiques, parce que  leurs émissions de gaz à effet de serre sont inacceptables. En voici les raisons :

« Suncor Énergie est une compagnie canadienne qui a une production substantielle de pétrole provenant des ressources de sables bitumineux en Alberta, au Canada. Ce type de production pétrolière entraîne des émissions de gaz à effet de serre (GES) bien plus élevées que la moyenne mondiale. De plus, la compagnie n’a pas de plans spécifiques pour réduire les émissions à un niveau acceptable dans un délai raisonnable. Les émissions de GES de cette compagnie ne sont pas soumises à un régime réglementaire aussi strict que le système d’échange de droits d’émission de GES de l’Union européenne. En outre, elle est soumise à des droits imposés par le gouvernement qui sont nettement inférieurs aux droits imposés sur les émissions dans l’Union européenne.” – Fonds souverain norvégien

Pour être crédibles, ces entreprises doivent élaborer un vrai plan de transition vers les énergies renouvelables en délaissant les énergies fossiles. Tout le reste n’est que de l’écoblanchiment.

Continuons à maintenir la pression.