Le 10 août 2025, Anas al-Sharif, célèbre correspondant d’Al Jazeera, a été assassiné lors d’une frappe aérienne délibérée d’Israël sur une tente de presse située à l’extérieur de l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza. L’attaque a également causé la mort de quatre de ses collègues et de deux civils, dont son neveu.

Dans le sillage de la frappe, des efforts ont été déployés afin de faire passer al-Sharif pour une cible légitime. Des groupes de défense de la liberté de la presse, des organisations internationales et ses collègues d’Al Jazeera ont rejeté catégoriquement ces accusations, les qualifiant d’efforts apparents pour justifier l’assassinat d’un journaliste dont les reportages étaient devenus indispensables pour raconter ce qui se passe dans la bande de Gaza.
Juste avant sa mort, Anas al-Sharif a publié une vidéo du bombardement intense autour d’Al-Shifa. Après la frappe, ses derniers mots ont circulé sur les réseaux sociaux :
« Si ces mots vous parviennent, sachez qu’Israël a réussi à me tuer et à faire taire ma voix. […] N’oubliez pas Gaza. »
Son assassinat nous rappelle brutalement que les journalistes qui travaillent sur le terrain sont souvent les derniers yeux et les dernières oreilles dans les régions où les médias internationaux sont interdits d’accès.
Chez Greenpeace, témoigner n’est pas un simple verbe, mais une action au cœur de notre travail. Depuis notre fondation, nous avons adopté le concept du témoignage popularisé par la communauté des quakers : une forme de résistance active et non violente qui consiste à assurer une présence là où l’injustice ou la destruction environnementale ont lieu, à les documenter avec rigueur et humanité, et à partager ces vérités pour qu’elles ne puissent être ignorées.
Comme l’ont dit nos fondateur·rices :
« Témoigner… était une sorte de résistance passive : se rendre sur les lieux d’une activité répréhensible pour manifester votre opposition par votre présence. »
Anas al-Sharif a incarné ce principe dans un des environnements les plus dangereux de la planète. Il a continué à faire tourner sa caméra alors qu’il aurait été plus facile et bien plus sûr de détourner le regard. Cette même attitude guide notre travail aujourd’hui : de la lutte contre la pêche illégale à la dénonciation des déversements de pétrole et des fuites pipelinières. Notre navire Oceania, par exemple, a été déployé pour « témoigner, collaborer avec les communautés et mener des actions directes pacifiques contre les grands pollueurs ».

Tuer un journaliste ne revient pas seulement à faire taire une voix. C’est une attaque contre le droit de savoir du public, et une tentative de briser la chaîne de témoignage qui relie les victimes d’injustices aux personnes qui ont le pouvoir d’y mettre fin. Chaque fois qu’une personne qui travaille comme journaliste – comme Anas – est prise pour cible, le monde perd une lentille qui nous permet de comprendre notre réalité commune.
Les journalistes du Canada qui couvrent les catastrophes climatiques, les efforts autochtones de défense des terres ou les conflits internationaux savent que le fait de témoigner est avant tout une question de confiance. Cette confiance est menacée lorsque les gouvernements ou les forces armées traitent les diseur·ses de vérité comme des menaces. Nous demandons aux associations journalistiques du Canada, y compris l’Association canadienne des journalistes (ACJ), de condamner publiquement l’assassinat continu de journalistes par Israël et de dénoncer la diffusion de fausses déclarations qui mettent la vie des journalistes de la Palestine en danger. Cette solidarité doit être forte, visible et soutenue, non seulement par des expressions de sympathie, mais aussi par des appels à la responsabilité, à la protection et à la justice.
La mort d’Anas al-Sharif est un (r)appel poignant pour celles et ceux qui défendent la vérité. Pour nos journalistes, c’est une invitation à être solidaires non seulement lorsque l’un·e des leurs est pris pour cible, mais aussi chaque fois qu’un ou une journaliste risque sa vie pour témoigner en notre nom collectif.