The Margiris KL749 Super Trawler near Mauritania. © Pierre Gleizes / Greenpeace
The MARGIRIS KL749, a Lithuanian super trawler, 30 miles off the coast of Mauritania. Greenpeace is campaigning in West Africa for the establishment of a sustainable, low impact fisheries policy that takes into account the needs and interests of small-scale fishermen and the local communities that depend on healthy oceans. UPDATE: In late 2012, the Margiris was renamed ‘Abel Tasman.’
© Pierre Gleizes / Greenpeace

Au Sénégal, l’importance du secteur de la pêche n’est plus à démontrer. Avec 350 000 à 400 000 tonnes de poissons pêchées par an, ce secteur emploie environ 600 à 700 000 personnes et assure 75% de l’apport  en protéines animales de plus d’un millier. Pourtant, en Afrique de l’ouest, la pêche est agonisante et ce  secteur est en train de s’effondrer. Comment en est-on arrivé là?  Qu’est ce qui est à l’origine de la raréfaction des ressources et du marasme économique que vivent les acteurs? Comment est-on arrivé à subir les affres de l’émmigration clandestine des pêcheurs ? Les coupables semblent tout désignés : la surpêche, les défis de la surveillance, la pêche illicite !

Etat des stocks de poissons: quel diagnostic?

Hamet Diaw Diadhiou, chef du Centre de Recherches Océanographiques Dakar-Thiaroye (CRODT), dans les pages du site ”Lorient Le Jour” dans son édition du 14 mai 2012 : «  Certaines espèces sont victimes de la surpêche. Aujourd’hui, les stocks de mérous connaissent une dégradation très importante. La pêche intensive de ce poisson, très populaire auprès du public sénégalais et souvent destiné à l’exportation, le pousse quasiment à la limite de l’extinction. Sans compter la pêche illégale pratiquée par des bateaux étrangers en haute mer ». Le mérou, communément appelé “thiof” au Sénégal,  jadis disponible à toutes les bourses, et prisé pour le plat national “thiebou djeun”, n’ est désormais accessible qu’aux “thiof” (les plus riches). Cet exemple illustre parfaitement la situation des stocks de poisson au Sénégal.

En effet, la dégradation des stocks de poissons comme le pageot ou le capitaine s’intensifient également. Une situation alarmante qui pousse les pêcheurs à se ruer sur la pépinière, la nurserie et vont jusqu’à pêcher les poissons en germination/maturation. Selon M. Diadhiou, « l’indice le plus inquiétant est celui de la taille des poissons pêchés, de plus en plus petits…Ils sont trop souvent pris dans les filets avant d’avoir atteint leur maturité sexuelle, donc avant d’être en âge de se reproduire. Ces populations ne sont plus en mesure de se régénérer ».

Surveillance des côtes: l’ Etat a-t-il les moyens de sa  politique?

Il faut savoir que le CRODT a pour mission de « surveiller la situation de la pêche et de s’assurer de sa durabilité ». Le CRODT a-t-il les moyens de sa politique ? Pas tout à fait, puisqu’après avoir préconisé aux autorités l’interdiction totale de la pêche des mérous, le CRODT a dû se rabattre face aux enjeux, sur une mesure plus modeste, visant à « imposer une certaine taille des mailles des filets, variable selon les espèces pêchées, afin de permettre aux poissons d’atteindre leur maturité sexuelle avant d’être pêchés ».   

De mars à avril 2017 quatre États de la sous région dont le Sénégal  ont participé à la mission de surveillance conjointe menée à bord de l’Esperanza (navire de Greenpeace) dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest. Après deux mois de surveillance conjointe, Greenpeace et les représentants des pays de la zone ont inspecté 37 bateaux de pêche suspects et relevé 11 infractions. Un rapport de Frontiers Marine Science de mars 2017, estime la pêche illégale étrangère dans les eaux sénégalaises, à 261 000 tonnes de poissons par an entre 2010 et 2015 (690 000 tonnes pour l’ensemble de la zone). Représentant un manque à gagner de l’ordre de 2,3 milliards de dollars par an, pour l’ensemble des pays de la zone !

Mais des activités ponctuelles comme celle-ci suffisent-elles à garantir des océans sains  et un état de stock suffisant pour une population galopante?« Les poissons ne reconnaissent pas les frontières, ils migrent au-delà des eaux nationales d’un État. La sardinelle, par exemple, suit des routes migratoires du Sénégal à la Mauritanie. Les stocks de poissons doivent être envisagés de manière globale pour la zone et non par pays. L’instauration de quotas concertés entre les Etats de la sous-région est une mesure essentielle pour maintenir les stocks, explique Ibrahima Cissé. Si la capacité de pêche est de 2 tonnes mais que chacun des six pays décide d’en pêcher plus chacun de son côté en ignorant ce que les pays voisins prélèvent, on aboutit à une surpêche alors que chacun pense respecter les limitations imposées », a poursuivi M. Cissé.

Fishery Inspectors on Esperanza in Guinea. © Pierre Gleizes / Greenpeace
© Pierre Gleizes / Greenpeace

Mal en mer: cri de détresse des acteurs

En 2016 lors d’une rencontre entre l’Ong Greenpeace Afrique  et les acteurs de  la pêche artisanale, le cri de détresse était unanime. A Joal, les membres de la Plateforme des Acteurs de la Pêche Artisanale au Sénégal (PAPAS) s’inquiétaient de l’état des stocks. Gnagna Seck, femme transformatrice à Saint Louis : « Je suis femme transformatrice, j’habite à St Louis au Nord du Sénégal. Je suis dans la pêche depuis mon enfance. Mais je constate qu’avec le temps beaucoup de choses ont changé dans ce secteur. Il n’y a plus de poissons comme avant. Depuis que l’Etat du Sénégal a commencé à signer des accords de pêche avec les compagnies de pêche étrangères, le poisson se fait de plus en plus rare… /…Nous invitons le gouvernement du Sénégal à trouver des solutions à la surpêche et aux pratiques de pêche illégale afin de permettre aux générations futures de bénéficier de la ressource ».

Gnagna Seck n’est hélas pas la seule à en appeler à l’Etat. En 2017, dans un communiqué , Greenpeace marquait sa surprise, suite à la sortie de la ministre de la Pêche d’alors, Mme Aminata Mbengue Ndiaye, sur les disparitions en mer de pêcheurs, qui arguait que « certains pêcheurs ne prennent pas en compte les mesures de sécurité établies ». En réponse, Greenpeace a dit “s’inquiéter de la disparition des pêcheurs sénégalais en mer qui, ces dernières années, a atteint un niveau très inquiétant au regard du nombre de pertes en vies humaines. Même si les responsabilités sont partagées entre les acteurs et l’Etat, toujours est-il que c’est à ce dernier de mettre en place les conditions nécessaires pour assurer la sécurité des pêcheurs en mer”.

Rien qu’en 2017, il a été enregistré 141 morts ou disparus dans 92 accidents en mer, selon le rapport de la Direction de la Protection et de la Surveillance des Pêches (DPSP). «La surpêche, conjuguée à l’accroissement démographique et aux changements climatiques, met donc en péril la sécurité alimentaire des pays de la zone», a affirmé Ibrahima Cissé, responsable de la campagne océan de Greenpeace à Liberation.fr dans son édition du 17 mai 2017.

'Fish Fairly' Global Week of Action in Senegal. © Guillaume Bassinet / Greenpeace
© Guillaume Bassinet / Greenpeace

Pêche illicite: Une autre gangrène qui mine nos Océans.

L’absence de politique harmonisée et commune, de la gestion des stocks de poisson entre les Etats ouest africains  favorise également la pêche illicite.

Le manque de politique commune des Etats, qui accordent le droit de pêche à certains pays étrangers alors que d’autres le refusent, augmente le taux de pêche illégale. Par exemple, la pêche non autorisée de la flotte russe dans les eaux sénégalaises a augmenté de 20% en 2014-2015, suite au droit de pêche accordé par la Guinée-Bissau et la Mauritanie.

Open Boat Day on the Esperanza in Nouakchott. © Pierre Gleizes / Greenpeace
© Pierre Gleizes / Greenpeace

Mal de mer: Quand l’immigration clandestine s’impose à la jeunesse.

« Depuis plus de 15 ans, Greenpeace dénonce, aux côtés d’autres ONG, la surexploitation des stocks de poissons dans les eaux ouest-africaines et ses graves impacts sur les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et l’emploi de millions de personnes dans cette région. » En rappel,  Greenpeace atteste dans son rapport « Le coût de la destruction des océans » publié en 2017 que « les navires qui avaient été arraisonnés pour pêche illégale dans les eaux ouest-africaines, ont repris leurs activités comme si de rien n’était ». Cette situation précaire force également de nombreux jeunes à prendre la route de l’aventure à la recherche d’une meilleure vie, de l’eldorado.  La mer, qui s’est vidée de ses ressources, ne leur a pas laissé le choix. A côté de la gestion opaque des licences, de la pêche illicite, des mauvaises pratiques de pêche, de l’absence d’un cadre harmonisé de gestion des ressources halieutiques inter-Etats, se greffe aujourd’hui la problématique de ces pêcheurs qui prennent la mer pour…émigrer clandestinement. Parfois, au prix de leurs vies. Le coût de la surpêche se fait aujourd’hui, de plus en plus lourd,  en mer et sur terre ! Le mal de mer est vraiment profond!

Fathers of Lost Fishermen in Senegal. © Clément  Tardif / Greenpeace
© Clément Tardif / Greenpeace