Le Sénégal a été le théâtre de nombreux naufrages en mer, emportant tragiquement la vie de nombreux jeunes en quête d’un avenir meilleur en Méditerranée. La lutte contre la pêche illégale et non réglementée dans le pays est intense et complexe, mais elle n’est pas sans espoir. Récemment, la coalition contre les usines de farine et d’huile de poisson a remis un mémorandum au gouvernement sénégalais, réclamant notamment la fermeture de certaines de ces usines dans des communautés locales. Ces actions pourraient ouvrir la voie à un avenir plus prometteur pour la jeunesse.
Amina, une adolescente sénégalaise de 16 ans, se retrouve cette année sans ses amis au lycée. La raison est simple : sa mère, qui porte seule le poids de son éducation, est épuisée. Depuis la mort de son mari, elle assume les frais de scolarité de ses enfants, au prix de sacrifices énormes. Avec son époux parti trop tôt, elle peine aujourd’hui à garantir un avenir stable à sa famille. Les usines de farine et d’huile de poisson, installées illégalement à Dakar, la privent de son gagne-pain: le poisson qu’elle vend tous les jours au marché.Par conséquent, l’avenir d’Amina et celui de ses frères et sœurs est plus que jamais incertain. C’est désolant… Bienvenue dans mon cauchemar.
Amina est bien sûr un personnage de fiction, mais ne vous réjouissez pas trop vite. De nombreux jeunes vivent des situations similaires, voire plus tragiques que celle d’Amina, à cause de la surpêche qui sévit de plus en plus dans les eaux sénégalaises, et gambiennes… Concentrons-nous d’abord sur le Sénégal. Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, je vous invite à consulter les dernières actualités. Récemment, près de 20 Sénégalais ont perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure. Cet événement ne doit pas être relégué aux oubliettes, même par notre génération, souvent qualifiée de “fast food”, car nous avons une “mémoire sélective des événements” disent nos aînés.
Soyons clairs: les jeunes cherchent avant tout de meilleures conditions de vie. Ce phénomène n’est pas récent, c’est un fait. L’émigration est aussi vieille que le monde. Cependant, devons-nous toujours succomber à la tentation de la prairie (apparemment) plus verte du voisin au péril de nos vies? Il est urgent d’agir! Arrêtons d’être des complices passifs et cessons de considérer ces drames comme inéluctables car nos vies de jeunes africains ne sont pas des tragédies grecques. Le secteur de la pêche, par exemple, a le potentiel d’employer des millions de Sénégalais et d’améliorer leurs conditions de vie. S’il est correctement développé, il pourrait faire du Sénégal un leader mondial en matière de pêche et de transformation des produits halieutiques, stimulant ainsi l’économie nationale. Oui, la pêche peut véritablement sauver des vies. Il suffit d’initier progressivement des actions modestes et constantes qui auront un impact significatif dans ce secteur crucial de l’économie sénégalaise.
Mais il faut apprendre à marcher avant de courir
La coalition opposée aux usines de farine et d’huile de poisson a récemment remis un mémorandum au gouvernement sénégalais, demandant notamment la fermeture de certaines installations dans des communautés du pays. Ces usines sont tristement connues pour leur contribution significative à l’insécurité alimentaire et au chômage au Sénégal, sans oublier leurs impacts négatifs sur l’environnement. La délégation était composée de représentants des acteurs du secteur de la pêche provenant de Kayar, Saint-Louis, Sandiara, Diamniadio, Joal et Dakar, tous membres de la coalition nationale contre les usines de farine de poisson.
Notre génération est impétueuse et a tendance à ne retenir du passé uniquement ce qui booste son ambition. Cependant et, comme la répétition est pédagogique, il faut rappeler qu’en 2024, au moins deux navires se sont échoués sur les côtes sénégalaises, entraînant la mort de plusieurs Sénégalais qui tentaient désespérément de rejoindre l’Europe via la Méditerranée.
Dans un récent communiqué de presse, Greenpeace Afrique avait souligné l’importance du secteur de la pêche dans la résolution de cette crise migratoire. Le Sénégal a le potentiel d’offrir des emplois décents à sa jeunesse, à condition que des mesures soient mises en place pour combattre la corruption et améliorer la transparence dans la gestion des ressources halieutiques.
Quels remèdes à la gangrène des usines de farine de poissons?
Les usines de farine et de poisson nuisent gravement à notre environnement, dépouillant les communautés de leur ressource essentielle. En permettant à ces usines de se développer, nous contribuons lentement à la destruction des ménages qui dépendent de la pêche pour leur survie. Il est impératif de mettre un terme à cette exploitation qui enrichit quelques-uns au détriment de tant d’autres. Lors de cette rencontre, la coalition a formulé plusieurs demandes au gouvernement sénégalais, dans l’espoir d’un avenir plus radieux. Parmi ces demandes, il est crucial d’appliquer les recommandations issues des discussions sur les usines de farine et d’huile de poisson, tenues le 23 octobre 2019, et de suspendre toute nouvelle implantation de ces usines au Sénégal par le biais d’un arrêté ministériel. Nos demandes sont simples et réalistes:
- Fermer toutes les usines de farine et d’huile de poisson ouvertes suite à ces concertations (usine de Cayar et usine de Sandiara)
- Mettre un terme à l’activité des usines de farine et d’huile de poisson responsables de la pollution de l’environnement
- Interdire le détournement du poisson frais propre à la consommation humaine pour la production de farine et d’huile de poisson
- Assurer la protection des métiers des femmes transformatrices en signant le décret de reconnaissance des métiers de la transformation artisanale des produits de la mer
- Adapter la capacité des usines de farine et d’huile de poisson en fonction des déchets et des rebuts de poissons générés
- Mettre en place des mesures de gestion durable des ressources halieutiques régionales, notamment pour l’exploitation des stocks partagés comme les petits pélagiques, au bénéfice des communautés de pêche, des populations sénégalaises et de la sous-région
- Soutenir les projets de valorisation des produits transformés pour faciliter leur accès au marché international
- Moderniser les zones de transformation artisanale avec des équipements et des systèmes de production appropriés
- Lutter contre toute forme de pêche illicite, non réglementée et non déclarée (INN).
Ces actions, dont la réalisation n’a rien d’insurmontable, auront un impact considérable sur la gestion du secteur de la pêche au Sénégal. Elles permettront surtout que l’histoire d’Amina reste ce qu’elle est censée être : un affreux cauchemar.
Luchelle Feukeng, Chargée de la Communication et du Storytelling, Afrique Centrale et de l’Ouest.