De Standing Rock aux tribunaux : un précédent dangereux
En 2016, le monde a braqué ses projecteurs sur Standing Rock, aux États-Unis, où des milliers de personnes – peuples autochtones, militants écologistes, citoyens, religieux – se sont dressés contre le projet d’oléoduc Dakota Access. Leur message était clair : respecter les droits des peuples autochtones, protéger les terres sacrées et préserver les sources d’eau.
Une plainte de 900 millions de dollars : quand la justice devient une arme
La réponse d’Energy Transfer a pris la forme d’une offensive juridique aussi abusive qu’indigne. En 2017, la multinationale a intenté une plainte faramineuse de 900 millions de dollars contre Greenpeace International, ses bureaux aux États-Unis, ainsi que d’autres organisations environnementales. Les accusations étaient aussi graves qu’infondées : crime organisé, conspiration, diffamation. L’objectif n’était pas de rendre justice, mais de criminaliser un mouvement citoyen pacifique et de semer la peur parmi les défenseurs de l’environnement. Bien que cette plainte ait été rejetée par la justice fédérale, l’entreprise a relancé l’attaque dans un autre État. En 2025, elle a obtenu gain de cause : Greenpeace est condamné à verser 660 millions de dollars. Une décision aussi inquiétante qu’injuste.
Faire taire la dissidence : le nouveau plan des multinationales
Ce verdict marque un tournant inquiétant. Il symbolise l’instrumentalisation croissante du droit pour démanteler la contestation citoyenne. Il ne s’agit plus de justice, mais de stratégie. Et ce scénario est en passe de se répéter ailleurs — notamment en Afrique.
À peine la décision rendue, la Chambre africaine de l’énergie (AEC) a applaudi le verdict et appelé à sa replication sur le continent. Leur posture est claire : faire taire toute opposition aux projets extractifs en brandissant la menace judiciaire. Pas pour rendre justice, mais pour museler les activistes.
Il ne s’agit pas de justice mais une tactique d’intimidation
Ces actions sont des SLAPPs – Strategic Lawsuits Against Public Participation, ou procès-bâillons. Leur but ? Asphyxier les militants, les acculer financièrement, les épuiser moralement. Ce ne sont pas des procédures pour réparer un préjudice, mais pour envoyer un message : “Opposez-vous à nos projets, et vous serez broyés.”
L’Afrique, prochain terrain d’expérimentation ?
Le soutien de l’AEC à cette stratégie doit nous alerter. Derrière les discours sur la « pauvreté énergétique » ou le « développement », il s’agit en réalité de justifier une exploitation effrénée, sans garde-fous. Une exploitation qui sacrifie les droits humains, l’environnement, et la démocratie.
Si cette tendance se généralise sur le continent, les conséquences seront dramatiques :
- Les communautés locales seront réduites au silence.
- Les médias n’oseront plus dénoncer les abus.
- Les ONG devront consacrer leurs forces et ressources à se défendre au lieu d’agir.
- Les multinationales opéreront sans opposition ni transparence.
Et cela a déjà commencé. Du Nigeria au Sénégal, en passant par le Mozambique ou l’Ouganda, la société civile dénonce la répression, la surveillance et la fermeture de l’espace démocratique autour des projets extractifs.
L’Afrique mérite un développement équitable, pas une mascarade judiciaire au service du profit.
Le continent n’a pas à choisir entre croissance économique et liberté d’expression. Il a besoin d’un développement juste, durable, équitable, qui profite aux populations, pas seulement aux actionnaires. Un développement qui respecte les droits fonciers, les écosystèmes, et les voix citoyennes.
Pour cela, nous avons besoin de voix libres. De journalistes, chercheurs, juristes, leaders communautaires, femmes, jeunes, capables de parler haut et fort, sans crainte de représailles judiciaires.
L’Afrique peut montrer la voie
En 2022, un arrêt historique de la Cour constitutionnelle sud-africaine a marqué un tournant : la justice a donné raison à six militants – dont deux avocats – poursuivis par une entreprise minière australienne pour avoir exprimé des inquiétudes sur l’impact environnemental d’un projet minier qui affectait la vie des communautés locales. En réaction, trois actions en diffamation ont été intentées contre eux, dont l’objectif évident n’était pas la justice, mais l’intimidation — une définition claire d’un procès-bâillon
Le juge Majiedt a rappelé une vérité essentielle : la justice ne doit jamais servir à étouffer la contestation. Ces procès visent tout simplement à décourager la participation citoyenne.
Cette décision crée un précédent puissant en Afrique. Elle montre que le droit peut être un rempart, pas une arme. Elle offre un cadre pour protéger les voix citoyennes contre les abus de pouvoir économique. C’est aussi un signal d’espoir : l’Afrique peut non seulement se défendre, mais inspirer le monde.
L’heure est à l’union, la résistance et aux réformes
- Les États africains doivent adopter des lois anti-SLAPP, s’inspirant des meilleures pratiques internationales.
- Les juges doivent être formés à reconnaître ces dérives et à rejeter les poursuites abusives.
- Les médias doivent continuer à faire leur travail, malgré la pression.
- La solidarité internationale doit se renforcer. Les attaques judiciaires ne connaissent pas de frontières : notre riposte non plus.
Le verdict contre Greenpeace est un test mondial
Ce n’est pas un fait isolé. C’est une tentative délibérée d’affaiblir les mouvements pour la justice climatique. Face à cette offensive, la question est simple : allons-nous laisser les entreprises nous réduire en silence, ou allons-nous défendre nos libertés fondamentales ?
Celles et ceux qui protègent la terre, l’eau et le climat ne sont pas les ennemis du développement. Ils sont ses véritables gardiens.
L’avenir de l’Afrique en dépend.
Par Ferdinand Omondi
Responsable Communication & Storytelling – Greenpeace Afrique