Messages de solidarité, de résistance et d’espoir des grandes forêts tropicales

En août, à l’occasion de la célébration du Mois des Peuples Autochtones, nous avons la chance d’entendre trois voix puissantes venues des trois grands poumons tropicaux de la planète. Trois voix de résistance et d’espoir, enracinées dans des siècles de savoirs et de luttes. Ces messages sont profonds en eux-mêmes, mais ensemble, ils représentent le mouvement transnational croissant de solidarité et de leadership autochtones, capable d’inspirer et de nous guider tous. Il s’agit d’un mouvement fondé sur les savoirs ancestraux et façonné par une vision qui dépasse largement l’instant présent.

Alors que le pessimisme assombrit notre vision collective, nous pouvons et devons nous tourner vers ces perspectives – celles qui s’enracinent dans une histoire plus longue et dans les valeurs profondes de parenté et de communauté. Face à l’absurdité d’un capitalisme et d’un colonialisme qui ne profitent qu’à une élite, il est urgent d’apprendre des visions autochtones : leurs manières de voir, de savoir, d’être et d’agir.

Bassin Congo

« Mon peuple, les Tshwa, vit en harmonie avec la forêt depuis des générations. Nous connaissons ses plantes, ses esprits, ses secrets. Et pourtant, dans l’esprit de nombreux décideurs, nous sommes encore considérés comme des “sous-citoyens”, des obstacles au développement, des ombres parmi les arbres. »

Ainsi s’exprime Valentin Engobo Mufia, patriarche de Lokolama dans la forêt tropicale en République démocratique du Congo. Mufia évoque l’importance de protéger la forêt.

« Les tourbières que nous protégeons depuis des siècles comptent parmi les puits de carbone les plus vitaux de la planète. Elles constituent une barrière naturelle contre le chaos climatique. Et pourtant, au lieu de nous écouter, nous sommes mis de côté. »

Mufia affirme qu’il est grand temps de dépasser les paroles et gestes vides. Les revendications de sa communautés sont claires  :

  • Reconnaissance légale claire et internationale de nos droits
  • Accès direct et structuré aux financements climatiques
  • Formation et éducation adaptées à notre contexte
  • Et surtout, inclusion totale dans toutes les politiques et décisions de développement

Papouasie Occidentale

Hand Over Customary Area Knasaimos in Southwest Papua. © Jurnasyanto Sukarno / Greenpeace
© Jurnasyanto Sukarno / Greenpeace

« Si vous me demandez quelle est ma vision pour la Papouasie occidentale, en particulier pour les terres appartenant au Peuple Autochtone Knasaimos, je vous dirai que la nature doit être préservée pour les générations à venir. Que dans des centaines d’années, les Peuples Autochtones doivent encore pouvoir profiter de nos forêts et de nos rivières, et respirer de l’air pur, tout comme nous le faisons aujourd’hui. »

Ce sont les paroles de Nabot Sreklefat, jeune leader de la jeunesse autochtone de Papouasie occidentale, foyer des dernières forêts tropicales encore debout en Indonésie.

Sreklefat parle avec passion de la manière dont son peuple s’est opposé à l’exploitation forestière illégale, à la transmigration et à l’expansion de l’huile de palme dans la région des Knasaimos. Mais ce combat se prépare depuis des années et se résume souvent à la nécessité d’obtenir la reconnaissance de leurs droits et de leur territoire traditionnels.

L’an dernier, « nous avons obtenu la reconnaissance de notre territoire coutumier de la part du régent de South Sorong, après 17 ans de lutte pour obtenir cette reconnaissance auprès des gouvernements régional et central. Lorsque nous avons reçu le décret, nous avons senti que l’État nous reconnaissait enfin en tant que Peuple Autochtone. Ce fut un événement véritablement remarquable. »

Ils cherchent désormais à obtenir la reconnaissance du gouvernement central.

Sreklefat parle également de l’importance d’apprendre des autres groupes autochtones, y compris du récent tout premier Congrès mondial des Peuples Autochtones et des communautés locales des bassins forestiers.

« Quand je suis revenu à Knasaimos, j’ai dit à notre communauté que notre lutte ne concerne pas seulement la Papouasie. Elle est mondiale. Nous devons être forts pour protéger nos forêts. Le Congrès mondial des Peuples Autochtones m’a convaincu : notre combat est crucial, pour nous et pour tous. »

Amazonie

« Les politiciens doivent respecter la Constitution. Elle ne s’est pas écrite du jour au lendemain. Elle est le fruit de notre lutte. Aujourd’hui, ils la démolissent avec des lois qui détruisent nos terres sacrées et ignorent l’avenir du Brésil. Je veux juste qu’ils respectent nos droits constitutionnels. C’est aussi simple que ça. »

Ces paroles appartiennent à Dineva Maria Kayabi, enseignante, mère et défenseure des Peuples Autochtones de la forêt amazonienne.

Kayabi décrit son village, situé sur les rives du Rio dos Peixes, où les familles cultivent leur propre nourriture (bananes, ignames, haricots) dans des jardins communautaires. Pourtant, ce foyer idyllique est marqué par une histoire de déplacements et de violences. Sa communauté a été contrainte de quitter sa terre natale à Batelão pour échapper aux attaques des éleveurs de bétail. Puis sa propre mère a été gravement maltraitée à Utiariti, un centre missionnaire religieux, avant d’être forcée de se marier.

À partir de ces souffrances profondes, Kayabi a forgé une vie de service et d’apprentissage, obtenant un Master en éducation pour devenir enseignante et réussir à apporter l’enseignement secondaire dans son territoire. Elle concentre désormais ses efforts sur la coordination avec la COIAB (Coordination des Organisations Autochtones de l’Amazonie brésilienne), la plus grande organisation autochtone d’Amazonie, tout en voyageant à travers le monde pour défendre les droits des Peuples Autochtones.

Un avenir enraciné dans le passé

Respect the Amazon Expedition: Roque Community. © Nilmar Lage / Greenpeace
© Nilmar Lage / Greenpeace

Chacun des leaders autochtones parle à la fois de ses luttes actuelles et de son espoir pour l’avenir. Un espoir enraciné dans la prophétie, les valeurs et les histoires anciennes. Kayabi partage une histoire particulièrement émouvante :

« C’est ce que j’ai appris d’Ita Mait, la pierre chamanique de mon peuple. Son foyer se trouve au sommet de la cascade Salto Sagrado. Mais un jour, on l’a volée. L’homme blanc qui l’a emportée a perdu ses cheveux, a souffert et est mort. Elle est tombée de l’avion, a traversé la mer, et mon beau-père, un chaman, chantait chaque jour : ‘Elle revient.’ Parce que, tout comme notre culture, la pierre retrouve toujours son chemin. »

Les Peuples Autochtones ont subi des siècles d’oppression, mais n’ont jamais accepté que leur voix soit réduite au silence. Leur résistance, loin de faiblir, s’amplifie. Et à travers leurs récits, nous trouvons la promesse d’un avenir guidé par les savoirs ancestraux et la défense du vivant.

Tsering Lama,
Responsable du storytelling, Greenpeace International