Depuis 2019, Justin Trudeau fait la promotion de son plan consistant à utiliser les futurs revenus du pipeline Trans Mountain estimés à 3 milliards de dollars pour planter des arbres. Ce plan a été recyclé à l’occasion de la mise à jour économique de l’automne 2020. Il a aussi été présenté au public comme un grand pas en avant en matière d’action climatique, occultant totalement les conséquences désastreuses de la construction d’un nouvel oléoduc.

Sortons enfin des énergies fossiles et investissons dans la nature!

Soyons clair·es : planter des arbres avec les revenus des pipelines, ce n’est pas rebâtir en mieux. Séparons la réalité de la fiction en ce qui concerne la protection des forêts, la plantation d’arbres et la lutte contre les changements climatiques.

Ciel étoilé au-dessus de la vallée de la Broadback. La forêt de la Broadback, territoire ancestral de la nation crie de Waswanipi, est l’une des dernières forêts intactes du Québec. Les Waswanipi se battent pour protéger cette importante forêt de l’exploitation forestière.

1. Le Canada échoue à protéger la biodiversité et la nature

Le gouvernement de Justin Trudeau n’a pas respecté son engagement international de protéger 17 % des terres et des eaux douces du Canada. À la fin de 2019, le Canada n’avait que 12,1 % des terres et des eaux douces protégées, ce qui représente un progrès mineur par rapport à 2015, année où cet engagement a été pris et où le Canada se situait à 10,5 %.

Cette incapacité à protéger les forêts, les zones humides, les lacs et les rivières du Canada a un impact dévastateur sur la qualité de notre environnement naturel, de notre faune et de notre biodiversité. Les oiseaux, par exemple, sont en train de mourir massivement et une organisation a décrit cette situation comme une « urgence pour les oiseaux« . Selon le WWF, la perte d’espèces sauvages au Canada contribue à la crise mondiale de l’extinction du vivant.

Mais au lieu de reconnaître ce manque de progrès, le Premier ministre a pris un nouvel engagement de protéger 30 % des terres du Canada d’ici 2030. Et pour aggraver les choses, au lieu d’investir les ressources nécessaires, il nous distrait en ressuscitant une promesse non tenue. 

2. Protéger les forêts est la meilleure chose à faire pour le climat, et non planter des arbres

Le député libéral Paul Lefebvre a récemment écrit un article élogieux sur la plantation d’arbres entreprise par son gouvernement, affirmant que « la plantation d’arbres est l’un des moyens les plus efficaces de protéger l’environnement et d’atténuer les effets des changements climatiques ».

Voici ce que certains scientifiques ont à dire à ce sujet :

« L’hypothèse simpliste selon laquelle la plantation d’arbres peut immédiatement compenser le défrichage d’une forêt intacte n’est pas rare. Néanmoins, un grand nombre d’ouvrages montrent que même les projets de restauration les mieux planifiés compensent rarement entièrement la biodiversité d’une forêt intacte. » 
Professeur Karen Holl, Université de Californie, Santa Cruz

« …il y a une limite au carbone qui peut être stocké par les arbres nouvellement plantés – et ce carbone est en danger si les arbres sont récoltés ou s’ils meurent en raison d’un incendie, d’une sécheresse ou d’une maladie alors que le climat continue de se réchauffer. » 
Professeur Nathalie Seddon, Université d’Oxford

Greenpeace a également publié un rapport sur ce sujet. En tant que membre de la Climate Land Ambition and Rights Alliance (CLARA), nous avons écrit dans un rapport révolutionnaire Missing Pathways to 1,5% que :

Éviter la poursuite de la perte et de la dégradation des forêts primaires doit être la première priorité dans la lutte contre les crises du climat et de la biodiversité, non seulement parce que cela permet de maintenir les émissions dans l’atmosphère, mais aussi parce que cela maximise l’intégrité des écosystèmes et la protection de la biodiversité et donc la résilience face aux changements climatiques.”

Donc, si la protection des forêts naturelles en partenariat avec les peuples autochtones et les communautés locales donne les meilleurs résultats pour la planète, alors pourquoi le gouvernement fédéral investit-il dans la plantation d’arbres et autorise-t-il la construction d’un nouveau pipeline? Cela n’a tout simplement pas de sens.

manifestation contre Kinder Morgan, maintenant Trans Mountain

3. Planter des arbres pour compenser un pipeline?

Malgré les encouragements du Premier ministre, planter des arbres ne peut remplacer une réduction rapide des émissions liées aux énergies fossiles. Les grandes compagnies pétrolières du Canada (comme Shell) se sont tournées vers les arbres comme argument marketing et d’autres solutions « naturelles ». Elles tentent ainsi de prolonger la combustion des énergies fossiles et de maintenir leur contrôle sur notre système énergétique. 

Comme l’a écrit un citoyen inquiet dans le journal Guelph Mercury pour interpeller son député Lloyd Longfied : « Planter des arbres pour stopper le réchauffement climatique est à peu près aussi désespéré que de boire de la bière pour arrêter la montée du niveau de la mer. » Bien dit !

Les Amis de la Terre ont examiné cette question plus en détail dans un nouveau rapport fantastique intitulé Chasing Carbon Unicorns que je vous encourage à consulter. Ce rapport explique que même la plantation d’un trillion de nouveaux arbres ne peut tout simplement pas compenser les émissions des énergies fossiles en cours et encore moins celles à venir. Autrement dit, nous ne pouvons pas simplement rejeter dans la terre tout le carbone issu de la combustion des énergies fossiles. La capacité d’absorption de nos arbres et de nos forêts est limitée, surtout sous la pression du réchauffement climatique.

Malgré les nobles prétentions de Justin Trudeau, planter plus d’arbres et construire plus de pipelines ne nous permetteront pas d’atteindre nos cibles climatiques.

coupe à blanc

4. L’inaction en matière de protection des forêts – un problème politique systémique 

Faire de belles promesses tout en omettant de protéger nos forêts perpétue un problème politique systémique. Soutenir publiquement la conservation est une chose mais octroyer des fonds fédéraux et des ressources adéquates en est une autre. Cette inaction fédérale conduit à l’inaction au niveau provincial, où les industries dominantes comme le pétrole ou l’exploitation forestière considèrent la protection de la nature comme une menace pour l’emploi.

En Colombie-Britannique, les forêts anciennes ont presque disparu selon une nouvelle cartographie. Et malgré les promesses passées du premier ministre Horgan, les discussions et les coupes se poursuivent alors que les forêts anciennes disparaissent.

Au Québec, une enquête stupéfiante de l’émission Enquête de Radio Canada vient de révéler l’ampleur de la mauvaise gestion des forêts de la province et la forte influence de l’industrie forestière.

En Ontario, les conservateurs de Doug Ford empirent les politiques du précédent gouvernement libéral visant à exempter l’industrie forestière des lois sur les espèces en voie de disparition. 

La liste est longue. Telle est la réalité sur le terrain alors que le gouvernement fédéral prononce de belles paroles mais ne parvient pas à assurer un véritable leadership ou à coordonner efficacement les actions nécessaires pour atteindre les objectifs de biodiversité du Canada en 2020, comme l’a conclu le commissaire à l’environnement en 2018.

5. Quelles solutions pour protéger la forêt canadienne?

Tout d’abord nous avons besoin d’investissements massifs dans la protection de la nature, la conservation menée par les autochtones et le développement de l’économie locale.

Le coût de l’investissement du gouvernement fédéral dans le pipeline Trans Mountain s’élève à plus de 16 milliards de dollars. C’est une énorme somme d’argent qui pourrait être mieux dépensé dans une relance verte et juste. Gaspiller ces fonds publics signifie-t-il que le gouvernement ne pourra pas investir dans la protection des forêts ? Nous sommes sur le point de le découvrir.

Greenpeace et d’autres organisations demandent au gouvernement fédéral d’investir de toute urgence 4,8 milliards de dollars dans la protection de la nature, en mettant l’accent sur le leadership autochtone et le développement économique local. Cela pourrait commencer à desserrer l’emprise de l’industrie sur nos forêts et donner le coup d’envoi d’une nouvelle économie en harmonie avec la nature.

Sortons enfin des énergies fossiles et investissons dans la nature!

cueillette de champignons dans la forêt boréale