Nos océans sont envahis par la pollution plastique, les produits chimiques servant à fabriquer les plastiques sont liés à de graves problèmes de santé tels que l’apparition de troubles reproductifs ou de cancers, et les scientifiques trouvent des microplastiques pratiquement partout – de la glace de mer arctique et des lacs éloignés à nos poumons et à notre système sanguin. En dépit de ce bilan préoccupant, l’industrie du plastique continue de s’opposer aux tentatives déployées par les gouvernements pour réglementer cette matière et, pire encore, redouble d’efforts pour nous maintenir dans une spirale de dépendance au plastique.
Oui, vous avez bien lu : malgré les preuves accablantes et toujours plus nombreuses que les plastiques nuisent à la vie humaine et à la planète, l’industrie du plastique se bat pour avoir le droit de continuer à les produire. Et elle ne ménage pas ses efforts.
Plusieurs grandes entreprises de plastique ont fait front commun afin d’intenter deux procès contre le gouvernement pour avoir tenté d’interdire les plastiques à usage unique. Cette coalition comprend des sociétés comme Imperial Oil, un producteur de sables bitumineux qui opère également dans la vallée de la chimie, où les activités de son usine pétrochimique sont à l’origine d’émissions nocives liées à des taux de cancer plus élevés chez la Première Nation avoisinante. D’autres acteurs de premier plan, tels que Dow Chemical, l’un des trois plus grands producteurs pétrochimiques au monde, et Nova Chemicals, le plus grand producteur pétrochimique au Canada, en font également partie. (Et voici un potin bien croustillant : Imperial Oil a retenu les mêmes avocat·es qui ont représenté le commentateur de droite Jordan Peterson, tandis que la Canadian Constitutional Foundation (CCF), qui intervient dans l’affaire pour soutenir la coalition, fait partie d’un réseau international financé par la Koch Family Foundation 👀).
Que conteste l’industrie du plastique?
Commençons par voir ce qu’il en est sur le plan juridique. En 2021, en réponse au danger écologique posé par la pollution plastique, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et la ministre de la Santé ont jugé que les articles manufacturés en plastique répondaient au critère écologique d’une substance toxique tel que défini dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999). Par conséquent, les deux ministres ont recommandé que les articles manufacturés en plastique soient inscrits à l’annexe 1 de la Loi, c’est-à-dire à la liste des substances toxiques. Leur ajout à cette liste a ainsi interdit la fabrication, l’importation et la vente de certains articles manufacturés en plastique tels que les sacs de plastique distribués en magasin, les ustensiles, les articles de restauration contenant ou fabriqués à partir de plastiques problématiques, les porte-boissons, les bâtonnets à café et les pailles. Ces articles ont été choisis car il a été démontré qu’ils se retrouvaient dans l’environnement, qu’ils n’étaient souvent pas recyclés et qu’il existait des solutions de rechange viables et aisément disponibles.
Peu de temps après l’annonce concernant le Décret d’inscription d’une substance toxique à l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, la coalition a contesté la décision du gouvernement en invoquant les raisons suivantes :
- La décision d’inscrire les articles manufacturés en plastique à la liste des substances toxiques n’était pas soutenue par les données scientifiques disponibles et aurait des conséquences importantes et imprévues;
- La plupart des plastiques ne sont pas toxiques et l’enjeu de la pollution plastique n’est pas une question de production, « mais réside plutôt dans le défi que représente la présence de plastique post-consommation dans l’environnement en raison du comportement humain et des lacunes systémiques en matière de gestion et de recyclage des déchets. » [traduction libre]
Pour résumer, les arguments juridiques avancés dans leur demande d’annulation du décret auprès de la Cour fédérale soutenaient que la décision d’interdire ces plastiques était :
- Déraisonnable, parce que la liste des articles manufacturés en plastique était trop large et que les évaluations de risques appropriées n’avaient pas été réalisées pour démontrer que l’ensemble des articles manufacturés en plastiques étaient toxiques;
- Inconstitutionnelle, car la décision ne relevait pas de la compétence fédérale en droit pénal.
En novembre 2023, la Cour fédérale a malheureusement donné raison à l’industrie du plastique, estimant que la liste des articles manufacturés en plastique était trop large et que le décret d’inscription (décision du gouvernement de les ajouter à la liste des substances toxiques) outrepassait la compétence du gouvernement fédéral à réglementer l’environnement par le biais de son pouvoir en matière de droit pénal. La Cour a donc déclaré que la décision d’interdire les articles manufacturés en plastique était invalide et illégale.
Bien entendu, Greenpeace, les groupes de première ligne, les communautés situées à proximité des installations polluantes et diverses organisations ayant plaidé en faveur de l’interdiction – sans oublier le gouvernement! – n’étaient pas d’accord avec ce jugement.
Où en sommes-nous donc aujourd’hui?
Le gouvernement fédéral fait appel de la décision auprès de la Cour d’appel fédérale, et nous nous joignons à lui! Représentée par les avocat·es d’Ecojustice, la coalition réunissant l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, la Fondation David Suzuki, Environmental Defence Canada, Greenpeace Canada et Oceana Canada intervient dans la procédure d’appel en faisant valoir que le gouvernement fédéral est tout à fait habilité à inscrire les articles manufacturés en plastique sur la liste des substances toxiques de la LCPE et en soulignant l’importance de respecter le principe de précaution. Vous pouvez consulter notre mémoire ici.
Pourquoi cette affaire est-elle importante?
Il est profondément troublant que l’industrie du plastique tente de convaincre les tribunaux et le public que les articles manufacturés en plastique que le gouvernement cherche à interdire ne sont pas nocifs ou toxiques ET que le problème n’est pas la production de plastique, mais son recyclage. Mais nous ne sommes pas dupes; en plus de reconnaître que le plastique est nocif, nous savons désormais que le recyclage du plastique constitue une approche inadéquate face au désastre grandissant des déchets et de la pollution auquel sont confrontées nos communautés et les écosystèmes adjacents.
Une décision judiciaire annulant l’interdiction des plastiques pourrait réduire à néant tous les efforts déployés pour enrayer la pollution plastique. Cela pourrait signifier que le gouvernement fédéral devra fournir encore plus de preuves de la nocivité des plastiques avant de pouvoir les réglementer. Elle pourrait même compliquer à l’avenir la tâche du gouvernement fédéral en matière de réglementation de la production et de la pollution du plastique, laissant aux provinces et aux territoires le soin de réglementer le plastique de manière disparate.
Une mauvaise décision signifie non seulement plus d’années passées à militer pour une réglementation du plastique et plus d’argent dépensé par nos gouvernements, mais aussi plus de dommages causés à l’environnement et à la population par la pollution plastique. Et à long terme, cela veut dire que l’industrie devra dépenser plus d’argent pour passer à un avenir sans plastique, zéro déchet et basé sur la réutilisation.
Comme l’a déclaré Sarah King, responsable de la campagne Océans et Plastiques chez Greenpeace Canada, « Les grandes entreprises du plastique pensent qu’elles opèrent en vase clos et qu’elles peuvent continuer à produire et à engranger des bénéfices malgré la pollution et les crises climatiques qu’elles alimentent. L’industrie s’attend à ce que le public et la planète continuent à subir les conséquences de son impact toxique tout en n’assumant pas ses responsabilités. Mais les grandes sociétés de plastique tentent désespérément de s’accrocher avec cette action en justice, car elles savent qu’un mouvement mondial de personnes, d’entreprises et de gouvernements est en train de tracer la voie vers un avenir qui ne dépend pas des combustibles fossiles et qui n’est pas basé sur une économie du jetable. »
Comment manifester votre soutien!
Il y a beaucoup de choses que vous pouvez faire pour partager vos préoccupations et afficher votre soutien :
- Signez notre pétition demandant au Canada d’élargir l’interdiction des plastiques à usage unique;
- Partagez ce blogue pour dénoncer les agissements de l’industrie du plastique et contribuer à élargir le mouvement des personnes qui réclament un avenir sans plastique;
- Demandez des solutions globales à la crise mondiale du plastique en appelant à un traité mondial fort sur les plastiques!