Le premier ministre Carney tente actuellement de mettre en œuvre un programme politique très ambitieux, qui regroupe un grand nombre de projets de loi qu’il doit convaincre les autres partis de soutenir. Bon nombre de ces textes législatifs ont des noms qui, à première vue, ne semblent pas trop préoccuper la population :

Projet de loi C-5 : Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada

Projet de loi C-2 : Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière

Projet de loi C-12 : Loi visant à renforcer le système d’immigration et la frontière du Canada

Projet de loi C-8 : Loi concernant la cybersécurité

Projet de loi C-9 : Loi visant à lutter contre la haine

Cependant, il y a effectivement lieu de s’inquiéter : tous ces projets de loi confèrent de nouveaux pouvoirs très étendus à notre gouvernement fédéral. Si ces pouvoirs suffisent à empiéter sur nos libertés lorsqu’ils sont considérés individuellement, leur regroupement pourrait créer une machine répressive destinée à protéger les profits des entreprises et des individus influents au détriment des libertés et des intérêts du reste de la population. Il suffirait que le fédéral soit motivé à utiliser ces pouvoirs à mauvais escient. Un gouvernement soumis à une pression considérable de la part d’une personnalité politique telle que le président Trump, par exemple.

Comment cette machine répressive mise en place par ces projets de loi fonctionnerait-elle?

Le projet de loi C-5 a déjà été adopté et est devenu loi. Il est censé accélérer l’approbation des projets considérés comme étant d’« intérêt national » en leur permettant de contourner des lois et des processus afin d’être mis en œuvre plus rapidement. Les projets envisagés jusqu’à présent sont exclusivement industriels : mines, ports, installations d’exportation de gaz naturel liquéfié, etc. Ces projets font souvent l’objet d’une opposition de la part des communautés locales, des groupes environnementaux et des peuples autochtones en raison de leurs impacts sur l’environnement, la culture et la santé. Le projet de loi C-5 risque d’exacerber le risque de conflits, car il permet à ces projets de se soustraire aux normes et aux processus existants, tels que les évaluations d’impact environnemental, qui permettent aux communautés de prendre connaissance des projets et de faire part de leurs préoccupations.

Ce n’est pas parce que le processus est contourné que les gens ne s’opposeront pas aux projets qu’ils ne jugent pas bénéfiques pour leurs communautés. En fait, en contournant les consultations publiques et les évaluations environnementales, le gouvernement fédéral donne encore plus de raisons aux gens d’être mécontents et de se mobiliser contre ces projets.

Et c’est là que le projet de loi C-9 prend tout son sens.

Statut : Le projet de loi C-9 (Loi visant à lutter contre la haine) n’a pas été adopté.

Quels sont les risques potentiels? Ce projet de loi est présentement en train d’être examiné par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Il pourrait compromettre notre droit de manifester pacifiquement en autorisant les forces de l’ordre à procéder à des arrestations avant de poser toute question lors de manifestations publiques. Il confère au gouvernement et à la police des pouvoirs décisionnels considérables quant au lieu et aux modalités des rassemblements, sous prétexte de lutter contre la haine. Même en ne contrevenant pas aux « règles relatives aux manifestations » établies dans le projet de loi C-9, vous pourriez tout de même faire l’objet d’une surveillance de la part de la police et des services de sécurité en raison des projets de loi C-2 et C-8.

Statut : Le projet de loi C-2 (Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière) n’a pas été adopté. 

Pourquoi est-ce préoccupant? Ce projet de loi prétend concerner les frontières, mais il confère également de nouveaux pouvoirs de surveillance étendus à la police et aux services de sécurité. Dans sa version initiale, le projet de loi C-2 permettrait aux autorités de collecter vos renseignements personnels sans avoir besoin d’un mandat, et ce, dès qu’elles soupçonnent que vous pourriez potentiellement commettre un crime fédéral ou qu’elles estiment que vos informations pourraient les aider dans une enquête criminelle. 

Une personne qui s’oppose ouvertement à un « projet d’intérêt national » dans sa région pourrait, en théorie, être ciblée parce qu’elle « pourrait » commettre un acte illégal afin d’entraver sa mise en œuvre. Les autorités pourraient exiger qu’un éventail de fournisseurs de services leur communique les informations personnelles de cette personne, y compris les services numériques auxquels elle est abonnée, les services de santé qu’elle a obtenus, voire des informations telles que les locations de voiture et les séjours à l’hôtel, etc. Cela leur permettrait effectivement de faire intrusion dans la vie privée de cette personne à la recherche de comportements potentiellement criminels, sans avoir à prouver qu’un crime est réellement en train d’être commis.

Le projet de loi C-2 prévoit également la création d’un nouvel accord de partage de données avec les États-Unis. Ainsi, toute information personnelle recueillie sur des individus ici pourrait être transmise aux autorités américaines.

Statut : Le projet de loi C-8 (Loi concernant la cybersécurité) n’a pas été adopté.

Pourquoi est-ce préoccupant? Ce projet de loi permettrait un accès sans mandat à des informations numériques privées, obligeant les fournisseurs de télécommunications à autoriser un accès détourné à la police et aux services de sécurité, y compris l’accès à vos données et messages cryptés. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a averti que cela pourrait permettre « la collecte et le partage inappropriés de renseignements sur les données de communication, les visites de sites Web, les métadonnées, les données de localisation, les données financières et les comptes des personnes ».

Ces pouvoirs intrusifs en matière de surveillance et de collecte de données ont été employés pour traiter des gens innocents comme des criminels. Ils ont notamment été utilisés pour cibler les personnes racisées et autochtones. Les projets de loi C-2 et C-8 renforceront le pouvoir des autorités en matière de surveillance et de collecte d’informations privées, leur permettant de traiter les personnes en criminelles sans aucune preuve d’infraction et sans devoir rendre de comptes.

Et que se passe-t-il si une personne qui choisit de manifester son opposition à un « projet national » ayant un impact sur sa communauté n’a pas la citoyenneté canadienne, mais plutôt la résidence permanente ou un permis d’études? Le projet de loi C-12 répond à cette question.

Statut : Le projet de loi C-12 (Loi visant à renforcer le système d’immigration et la frontière du Canada) n’a pas été adopté, mais fait actuellement l’objet d’un examen par le Parlement.

Cette législation donnerait au gouvernement fédéral des pouvoirs étendus pour révoquer le statut juridique des personnes immigrantes, migrantes et demandeuses d’asile s’il était jugé « dans l’intérêt national » de le faire. Un gouvernement désireux de sanctionner les personnes qui s’opposent à son programme pourrait tenter d’utiliser ces pouvoirs pour expulser les non-citoyen·nes et créer un effet dissuasif. Nous avons déjà assisté à un scénario similaire aux États-Unis, lorsque des étudiantes et des étudiants internationaux qui protestaient contre le génocide en Palestine ont été pris pour cible et se sont fait retirer leur permis d’études.

Bien que ce type d’abus de la part de notre gouvernement puisse être contesté devant les tribunaux et le serait sans aucun doute, une action en justice risque de survenir trop tard pour empêcher la détention de personnes, le lancement de procédures d’expulsion, ou le préjudice découlant de ces mesures. Comme le montre une fois de plus ce qui se passe actuellement aux États-Unis, si certaines expulsions ont été jugées illégales par les tribunaux, les décisions ont été rendues bien après que certaines personnes aient été expulsées, envoyées en prison dans d’autres pays ou détenues pendant de longues périodes, et après que leurs familles et leurs communautés aient été terrorisées par les raids du Service de l’immigration et des douanes (ICE).

Comment cette machine répressive protégerait-elle les intérêts et les profits des personnes influentes?

Nul besoin d’imaginer un avenir dystopique pour constater que notre gouvernement et les services de sécurité financés par nos impôts agissent déjà pour protéger les profits privés, souvent au détriment des intérêts et des libertés de la population. Nous savons déjà que la GRC a mené une campagne de criminalisation, de harcèlement et de descentes violentes contre les Wet’suwet’en afin de protéger les intérêts de Coastal GasLink et de TC Energy, deux entreprises d’énergies fossiles. Nous avons également récemment appris, grâce à un article publié dans The Narwhal et à des documents obtenus dans le cadre d’une demande d’accès à l’information effectuée par Greenpeace Canada, que le SCRS et TC Energy ont activement collaboré pour accroître le partage de renseignements classifiés du SCRS avec les entreprises. Cela signifie que nos services de sécurité, dont le financement est assuré par les contribuables, partagent directement des renseignements classifiés avec une entreprise pétrolière pour l’aider à protéger ses intérêts.

Si un mouvement de protestation concerté se développait en réponse à l’un des projets dits « d’intérêt national » du projet de loi C-5, il est facile d’imaginer les mesures que notre gouvernement et nos services de sécurité pourraient prendre pour protéger les investissements et les intérêts des entreprises privées, même si cela implique de bafouer les droits des personnes et des communautés qui ont des raisons légitimes de s’y opposer. Ils le font déjà.

Cela ne concerne pas uniquement les personnes qui manifestent pour défendre les causes environnementales et les droits de la personne, car n’importe quel groupe ou individu pourrait se retrouver dans le collimateur de cette machine répressive.

Si nous voulons un exemple de ce qui peut arriver lorsqu’un gouvernement décide de tout mettre en œuvre pour promouvoir son programme et neutraliser l’opposition, nous n’avons pas besoin de chercher bien loin. La population du Canada a clairement indiqué qu’elle ne souhaite pas suivre l’exemple des États-Unis de Trump, mais le programme du premier ministre Carney nous place sur cette voie en accordant au gouvernement un pouvoir excessif en matière de contrôle, de surveillance et de sanctions.

Que pouvons-nous faire?

Nous devons adresser un message clair et fort à nos représentant·es au Parlement pour leur rappeler que la création d’un État de surveillance répressif n’est PAS ce pour quoi nous avons voté. Comme la majorité de ces projets de loi sont encore à l’étude, il est encore possible de les modifier ou de faire table rase et tout recommencer.