Par Marília Monteiro Silva (Experte Finance, campagne Forêts et Alimentation, pour Greenpeace International)
Le principe de « positif pour la nature » (Nature Positive) cherche plus à sauver un modèle économique en perdition qu’à protéger la biodiversité.
Les amoureux de la biodiversité et toutes celles et ceux qui suivent la COP15 sur la biodiversité qui a débuté à Montréal ce mois-ci ont peut-être remarqué le terme « Nature Positive » circuler ici et là. Il est présent dans l’actualité, sur les médias sociaux, dans les promesses de financement, dans les publicités des entreprises et, plus récemment, il est apparu dans le projet de texte d’accord de la COP15.
Mais que signifie « positif pour la nature » ?
C’est une bonne question – personne ne le sait vraiment. Et c’est ça, le problème.
Décortiquons : dans « Nature Positive », il y a « nature ». Qu’est-ce que la nature ?
Il n’existe pas de réponse simple à cette question. Dans le cadre des négociations officielles des Nations unies sur la biodiversité à la COP15, la « biodiversité » est un terme technique, avec des définitions claires de ce que sont les écosystèmes, les habitats et les espèces. Pas la nature.
La définition proposée par ceux qui vendent le concept de « Nature Positive » inclut quant à elle des choses dites « naturelles » mais qui n’ont rien à voir avec la biodiversité, comme la géologie et les plantations mono-culturelles.
Si l’expression « Nature Positive » est incorporée au texte final de la COP15, alors les différentes parties prenantes pourraient utiliser le mot« nature » pour lui faire signifier n’importe quoi. L’absence de différenciation des termes est importante pour les textes techniques. Tout n’a pas le même impact sur la biodiversité : une centaine d’arbres alignés dans une plantation d’huile de palme est naturelle, certes, mais elle ne porte pas le même réseau de biodiversité qu’une forêt à croissance naturelle, riche en écosystèmes qui s’imbriquent, s’épaulent mutuellement et nous soutiennent.
Donc, « nature » n’est pas clair. Et « positif » ?
C’est là que les choses se corsent vraiment. Le terme « positif » est ici très incertain.
L’idée que quelque chose soit « positif pour la nature », dans un sens mesurable, suppose qu’il est possible de calculer de manière fiable le déficit et l’excédent de biodiversité entre deux écosystèmes différents, et que l’on peut échanger un déficit ici et un excédent là comme s’il s’agissait de simples variables.
De même, le terme « Positive » dans « Nature Positive » implique un résultat net positif par le biais de tous ces calculs douteux – qu’une certaine destruction de la biodiversité est inévitable, mais peut être compensée par une restauration écologique ailleurs.
Essayer de mieux quantifier et comprendre la biodiversité est une bonne idée – mais commencer à faire l’inventaire des écosystèmes alors que nous ne savons même pas si nous sommes capables de mesurer leur valeur pour la biodiversité est hasardeux.
Pourquoi quiconque plaiderait pour le « Nature Positive » dans ce cas ?
Les partisans et partisanes du « positif pour la nature » mettent en avant trois mesures clés : aucune perte nette de nature selon le seuil de référence de 2020, des améliorations nettes positives de la nature dès 2030 et une récupération totale de la nature d’ici 2050.
C’est très vague. De plus amples recherches montrent également que ces mesures manquent à la fois d’indicateurs concrets pour les mesurer et d’une base scientifique pour les étayer. Les indicateurs proposés pour ces mesures – le carbone stocké dans la nature et l’étendue des habitats existants – ne couvrent pas exactement la complexité de la biodiversité telle qu’elle existe dans les écosystèmes.
L’utilisation du mot « net » dans ces objectifs suppose un principe de « gain net », qui permettrait de compenser la biodiversité. Par exemple, une exploitation minière pourrait dire que la destruction d’une forêt équivaut à la destruction d’une autre, et qu’il est possible de compenser le préjudice de la destruction de l’une en protégeant l’autre (c’est faux !).
Quelles sont les répercussions potentielles du « positif pour la nature » ?
Le concept de « Nature Positive » promeut la financiarisation de la nature et l’idée qu’il existerait une valeur monétaire à la nature. Ce chiffre en dollars pourrait alors définir tout ce que la nature signifie pour nous, et que nous pourrions commencer à échanger des parcelles de nature comme des jetons et alimenter un service écosystémique qui ne profiterait qu’à certaines personnes, dans des contextes économiques particuliers.
L’imprécision du « positif pour la nature » ne cadre pas avec les grandes promesses des gouvernements, puisque ses adeptes le présentent comme l’équivalent pour la biodiversité de l’objectif de 1,5°C pour le climat. L’idée est facile à vendre, mais l’enjeu est bien trop grand pour des mesures confuses et un manque de méthodologie mesurable.
Que devraient faire les gouvernements à la COP15 ?
Les gouvernements devraient retirer complètement la notion de « Nature Positive » des discussions. Inclure une terminologie mal définie et non-mesurable dans le texte final de l’accord, surtout si la question de l’argent entre en jeu, est risqué. Au lieu de donner encore plus de pouvoir aux lobbies privés et aux marchés financiers, les gouvernements devraient prendre les devants, créer des politiques de conservation appropriées avec une reconnaissance explicite des droits et du rôle des peuples autochtones, et faire leur travail pour freiner le déclin de la biodiversité.
Les responsables de tout cela sont exactement les mêmes qui détruisent actuellement la nature pour le profit. Le « Positif pour la nature » ne serait pour eux rien d’autres qu’un voile à jeter sur leurs activités tromper le grand public, différer les mesures de protection, et dissimuler leur impact dévastateur sur l’environnement : « nous pouvons détruire votre forêt, ce n’est pas grave, puisque nous ne détruisons pas celle d’à-côté». Ce n’est plus seulement du greenwashing, c’est dangereux et immoral.