
Jamais la main de l’homme n’a autant pesé sur son milieu naturel et une catastrophe aussi facilement prédictible ne s’est signalée au Sénégal. En effet le bois de rose, encore appelé « l’ivoire de la forêt » qui joue un rôle primordial dans l’écosystème est en voie d’extinction du fait d’un trafic illicite et intense. Cette espèce légumineuse est importante dans son habitat, elle fixe l’azote atmosphérique et peut survivre aux feux de brousse.
Pourtant, après avoir littéralement pillé Madagascar de cette essence, les industries forestières en quête permanente de profit, ont jeté leur dévolu sur l’Afrique de l’ouest, en particulier le Sénégal. Son prix faramineux est sans doute le motif essentiel de toute cette mafia.
Le bois de rose, une espèce au cœur de toutes les convoitises.
En effet, Pterocarpus erinaceus, de son nom scientifique, Vène ou Palissandre du Sénégal plus communément appelé le bois de rose, est une espèce rare et précieuse, utilisée dans l’industrie de parfumerie et de l’aromathérapie. Il est également recherché pour la fabrication de mobiliers et divers objets de luxe dont les très prisés mobiliers de style traditionnel des dynasties Ming et Qing par la classe bourgeoise chinoise. D’où la ruée sans cesse croissante vers cette variété de bois.Cette forte demande accentue la pression sur l’exploitation de ce bois et suscite une inquiétude sur sa pérennité. Selon National Geographic, les importations de bois de rose vers Chine auraient été multipliées par quatorze, entre 2009 et 2014 !
Assurément des efforts sont faits, ici et là, mais est-ce suffisant pour endiguer la saignée que subissent les forêts de l’Afrique de l’ouest et celles du Sénégal en particulier ? Quand on sait que selon Interpol, les importations et les exportations de bois représentent un marché de 46 à 137 milliards d’euros au détriment de 15 à 30% des ressources extraites illégalement dans le monde.
Trafic de bois: instabilité géopolitique comme facteur favorable.
Vers les années 2010, apparaissent au Sénégal, les premiers indices de coupe illégale de bois de rose à grande échelle. Et depuis lors , il est manifeste que le pillage orchestré de ses forêts va de mal en pire. La rébellion en Casamance pourrait avoir une part de responsabilité dans ce trafic. Sa coupe, son exploitation et exportation seraient exclusivement contrôlées par des forces rebelles de la Casamance. Ce contrôle systématique lui a valu le nom de “bois de conflit” par les autorités sénégalaises. En plus des réseaux d’intermédiaires gambiens, l’ex dictateur déchu, Yahya Jammeh aurait joué un rôle primordial dans cette magouille. La Gambie? Vous avez bien lu, elle est inéluctablement un acteur majeur de cette catastrophe écologique qui décime les forêts du Sénégal.
Alors que la Gambie ne dispose plus de réserves de ce bois précieux, elle figure toujours parmi les cinq plus grands exportateurs mondiaux de bois de rose .
Cherchez l’erreur: il s’est tout bonnement servi dans les réserves forestières du Sénégal ! En chiffres, ses exportations vers la Chine correspondent à environ un demi-million d’arbres abattus et transformés en rondins de deux mètres de long, pour une valeur de 100 millions de dollars US. Ces trois dernières années, la Gambie, a elle seule a exporté environ 300000 tonnes de bois de rose vers la Chine.
Le militant et défenseur de la nature Haïdar El Ali, dans les colonnes du site Franceinfo Afrique du 11 mars 2020, dénonce ces pratiques mafieuses: « Ils tiennent de beaux discours et font de belles promesses. Ils disent qu’ils vont arrêter. Mais en réalité, ils ne le font pas. Tous les jours, nous voyons des trafiquants ».
Dans un reportage de BBC Africa Eye « Les arbres qui saignent », le journaliste Umaru Fofana met en lumière, l’ampleur des dégâts de ce trafic à trois têtes (Sénégal, Gambie, Chine) et précise que « le Sénégal est en train de perdre la bataille ». Il est difficile de lui donner tort car aucune action concrète n’a été jusqu’à lors posés par des autorités les sénégalais, pour endiguer ce fléau.

Trafic de bois de rose: Quid des missions de contrôle des Etats ouest-africains?
Tout porte à croire que ce trafic du bois de rose en Casamance (partie sud du Sénégal) aurait pu prospérer sans une –très longue- chaîne de complicités. A moins que les autorités et les forces de l’ordre aient tout simplement choisi de regarder…ailleurs.Et les populations, les premières concernées, comment réagissent-elles ? Elles sont en première ligne du…trafic ! Des coupeurs de bois clandestins interrogés dans un autre reportage de la BBC, affirment: “Habituellement, nous n’osons pas entrer dans cette forêt par peur des esprits qui y vivent. Mais après avoir vu des Gambiens le faire, nous y entrons aussi pour couper les arbres”.
Dans ces contrées qui manquent de tout, les candidats décidés à « se faire de l’argent de la manière la plus rapide » sont légion. Pour Umaru Fofana, « ce commerce corrompt les communautés et accélère la destruction de leurs forêts ». Ils sont peu nombreux à comprendre comme Mamadou Souaré, du village de Fafakoro en Casamance, soldat bénévole engagé contre la déforestation, que sa survie, et celle sa communauté, est étroitement liée à la protection de leurs forêts.
Pourtant, le bois de rose est une espèce protégée par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) ou Convention de Washington. Mieux, au Sénégal, l’export de P. erinaceus est strictement interdit en vertu de la législation en vigueur à savoir le code forestier (loi nº98-03 du 08 janvier 1998) et le décret nº98-164 du 20 février 1998, en son article 63.
Il urge que toutes les parties prenantes respectent ces dispositions légales afin que survive « l’ivoire de la forêt ».

Cheikh Bamba Ndao – French web and Social Media Content Developer – Greenpeace Africa
