Alors que les pays du monde entier commençaient à prendre en compte les conséquences mortelles du coronavirus et que les citoyens camerounais s’efforçaient à s’en protéger, le Ministère de la Forêt et de la Faune s’est empressé de créer les unités forestières d’aménagement   07 006 et 07 005. Environ 130000 hectares de forêt tropicale – une superficie de plus deux fois la taille de Nairobi – ont été désignés pour l’exploitation pendant la nuit.

Environ 40 communautés Banen vivent dans la forêt d’Ebo et ses alentours depuis de nombreuses générations. C’est l’épine dorsale de leur culture, le lieu de sépulture de leurs ancêtres, mais aussi la source des moyens de subsistance des générations à venir. Les dirigeants Banen ont appelé l’État à reconnaître officiellement    leurs droits coutumiers sur leur terre au lendemain de l’indépendance du Cameroun. Au lieu de cela, ils ont été invités à une brève réunion en mars dernier, au cours de laquelle ils ont été mis au courant de l’intention du gouvernement de détruire cette forêt.

C’était une réunion brève et déclarative, ne laissant aucune place à la discussion ou la consultation. Après 60 ans d’indépendance, les Camerounais méritent de participer à tout projet de réaffectation de leurs terres. N’est-il pas important qu’une communauté soit déplacée et dépossédée par un fonctionnaire français ou camerounais? La notion substantielle de justice implique l’autonomie des communautés et des individus et leur participation aux décisions qui affectent leur vie. La justice ne saurait prendre la forme d’ une décision unilatérale, prise sur la base d’une approche‘’top down’’ contre un groupe de personnes.

Dans le cas d’espèce, la décision de création des unités forestières d’aménagement non seulement viole de façon flagrante les droits de Banen, mais menace également la biodiversité unique de la forêt d’Ebo. Les Camerounais ont la chance d’avoir une forêt qui est un trésor unique et un écosystème précieux pour la planète entière. Lorsque la forêt est préservée, elle stabilise le climat mondial. Lorsque nous en abusons avec une exploitation forestière irresponsable, nous nous comportons comme un gros fumeur qui condamne son propre destin.

Nos ancêtres ont toujours traité la forêt avec respect, tout comme nous nous traitons nous-mêmes. Lorsque la forêt est protégée, elle fournit des médicaments essentiels, qui maintiennent en bonne santé les communautés les plus reculées. La forêt est aussi essentielle pour les pratiques culturelles et fournit la nourriture quotidienne. Lorsque nous la détruisons, la science nous dit que nous augmentons les risques de propagation de maladies d’origine animale. Certaines des pandémies les plus redoutées de notre époque, comme Ebola et Covid -19, appartiennent vraisemblablement à cette catégorie.

Une coalition large et déterminée s’est soulevée contre la décision d’exploiter la forêt d’Ebo. Les dirigeants de la communauté Banen ont organisé des manifestations et ont plaidé comme si leur vie dépendait pour l’annulation de ces plans d’exploitation forestière. À bien des égards, leur vie dépendait de leur succès. Les ONG environnementales ont rejoint la campagne par le biais d’une coalition ad hoc, à laquelle Greenpeace Afrique est fière d’avoir contribué.

Par conséquent, la décision de suspendre les plans d’exploitation forestière dans la forêt d’Ebo, annoncée il y a un peu plus de trois mois, a été saluée par les communautés Banen, par Greenpeace Afrique et Rainforest Rescue, Global Wildlife Conservation et d’autres ONG, ainsi que par la communauté scientifique, notamment par le Dr. Ekwoge Abwe, expert camerounais dont la vie est consacrée à l’étude et à la protection de cette forêt spéciale.

Tous ceux qui font campagne pour sauver la forêt d’Ebo s’entendent pour dire que garantir les droits du peuple Banen et lui assurer l’accès à ses terres ancestrales est le seul moyen viable et moral de la protéger.

Leur territoire ne peut pas être défendu avec des tronçonneuses qui traitent la forêt comme une ressource à usage unique. Ni par des éco-gardes armés qui traitent toute activité humaine comme une menace. Plus de trois mois après la décision bienvenue de suspendre les plans d’exploitation de la forêt d’Ebo, la voie à suivre reste incertaine.

Nous restons catégoriques sur le fait que cette décision doit être le premier pas vers la reconnaissance des droits de la communauté Banen et la protection de la forêt.

Nous appelons le gouvernement du Cameroun à rendre justice aux communautés Banen autour de la forêt d’Ebo – pas simplement à suspendre l’injustice. Rendre justice de façon authentique implique de promouvoir la cartographie participative et la planification de l’utilisation des terres avec les communautés locales. Nous demandons au président Biya d’intervenir et de sauver à jamais la forêt d’Ebo de l’exploitation forestière industrielle. Il peut faire de la forêt d’Ebo un exemple éclatant de forêt autogérée et protégée par les communautés.

Les réformes des régimes foncier et forestier doivent avoir en leur cœur la pleine reconnaissance des droits fonciers coutumiers des communautés. Les bailleurs internationaux et les ONG devront soutenir ces processus avec une expertise technique et des ressources – dans la forêt d’Ebo et dans la forêt tropicale du bassin du Congo. Ce soutien ne sera pertinent que si la dignité et les droits fondamentaux des communautés sont respectés.

Ranèce Jovial Ndjeudja est le Responsable de campagne de Greenpeace Afrique au Cameroun