Awa Traoré, chargée de campagne océan Greenpeace basée à Dakar.

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), la pollution fait partie, avec le changement climatique et la perte de biodiversité, de la triple crise planétaire à laquelle le monde est aujourd’hui confronté. Chaque année, l’homme produit 300 millions de tonnes de déchets plastiques, dont 11 millions de tonnes finissent par se retrouver dans l’océan – une quantité qui devrait presque tripler d’ici à 2040 si aucune action urgente et à grande échelle n’est entreprise. 

99% (Quatre-vingt-dix-neuf pour cent) du plastique est le produit de substances chimiques dérivées de sources impropres et non renouvelables. La plupart des plastiques ne disparaissent jamais vraiment. Au contraire, elles se décomposent en micro-particules qui finissent par être avalées par les poissons ou les animaux d’élevage et finalement consommées par les humains à travers leur alimentation et l’eau du robinet. Néanmoins, le plastique continue de gagner en popularité, sa production ayant été multipliée par plus de 22 au cours des 50 dernières années. D’ici 2050, l’industrie du plastique pourrait représenter 20% de la consommation totale de pétrole dans le monde. La pollution plastique pourrait également représenter 13% du budget mondial total consacré au carbone. 

Les scientifiques ont également recensé 700 espèces marines affectées par la pollution du plastique au niveau de nos océans. 9 oiseaux de mer sur 10, 1 (une) tortue de mer sur 3 et plus de la moitié des espèces de baleines et de dauphins ont ingéré du plastique. Dans le contexte africain, nous enregistrons près de 120 000 tonnes de plastique que les fleuves Nil et Niger transportent jusqu’aux profondeurs des océans; ce qui fait d’eux des contributeurs majeurs à la pollution des océans par le plastique (Nil 84 792 tonnes / Niger 35 196 tonnes).

Autant de chiffres clés parmi d’autres pour montrer l’ampleur de la crise du plastique dont nous devons nous éloigner.

La pollution plastique pourrait également représenter 13% du budget mondial total consacré au carbone

Comment le plastique se retrouve dans les océans. 

Environ 80% des débris proviennent d’activités terrestres. Les 20% restants proviennent des plates-formes pétrolières en mer et des grands navires qui déversent directement ou perdent des débris dans l’eau. 

Les plastiques constituent la majorité des débris marins pour deux raisons. Premièrement, la durabilité, le faible coût et la malléabilité du plastique font qu’il est utilisé de plus en plus, dans des produits de consommation et des produits industriels. Deuxièmement, les produits en plastique ne sont pas biodégradables, mais se décomposent en petits morceaux (micro-particules). La plupart de ces débris proviennent des sacs en plastique, des bouchons de bouteilles, des bouteilles d’eau en plastique et des gobelets en polystyrène.

La pollution plastique menace la sécurité alimentaire, les moyens de subsistance et l’emploi des communautés de pêcheurs côtiers des pays en développement.

L’océan rend la vie possible sur terre, en contribuant à réguler notre climat, en fournissant la principale source de protéines pour plus d’un milliard de personnes et en produisant une grande partie de l’oxygène que nous respirons. Les déchets marins et la pollution plastique constituent une menace existentielle pour la santé des océans. Par conséquent, la perte d’habitats et de biodiversité affecte de plus en plus la capacité de l’océan à fournir de la nourriture et d’autres services.

Le long de la côte ouest-africaine, nous souffrons déjà de la surpêche, de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), de la surexploitation des stocks de petits pélagiques, de la fraude au tonnage, du problème des usines de farine de poisson, etc. Il est impensable de laisser la question de la pollution plastique continuer à prendre des proportions démesurées.

Cette situation menace déjà les moyens de subsistance de millions de personnes en Afrique de l’Ouest et la sécurité de l’emploi des travailleurs issus du secteur de la pêche artisanale, composés de pêcheurs et de braves femmes transformatrices de poisson, qui vivent des revenus générés par l’activité de pêche ou de transformation. 

Pour un pays comme le Sénégal dont le premier secteur pourvoyeur de devises est celui de la pêche, il est impératif de s’attaquer au problème de la pollution marine par ces déchets plastiques, d’autant que le poisson couvre environ 70% des besoins en protéines animales de la population sénégalaise, soit une consommation annuelle de poisson par habitant de 29,9 kilogrammes.

Il est vraiment temps de renverser la tendance. 

Nettoyage de pastilles de plastique après un déversement

L’impact des microplastiques sur la santé humaine 

Les recherches précédentes n’ont pas permis de déterminer l’effet exact de la consommation de microplastiques. Il est, néanmoins, important de rappeler que le domaine de la recherche sur les microplastiques n’en est qu’à ses débuts. 

En raison des incertitudes et des limites sur le plan de la recherche et des connaissances, il est difficile d’être catégorique quant à l’impact que les microplastiques peuvent avoir sur les produits de la mer, sur l’environnement marin ou sur la santé humaine. 

Tant que nous n’aurons pas de réponses définitives quant à l’impact des microplastiques, il est prudent d’appliquer le principe de précaution. 

Toutefois, d’après une étude conjointe menée sur des marques commerciales de sel par la National Research Foundation of Korea (NRF) et Greenpeace, les adultes pourraient absorber jusqu’à environ 32 000 microplastiques par an par inhalation d’air, consommation d’eau du robinet et ingestion de bivalves, et cette quantité n’est pas négligeable. 

Bien qu’il soit conclu que les microplastiques présents dans les produits de la mer ne représentent pas actuellement un risque pour la santé humaine, un rapport publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en 2016 a mis en évidence des lacunes importantes dans la compréhension du devenir et de la toxicité des microplastiques, tout en notant le potentiel des microplastiques à agir comme des surfaces pour le transport et la dispersion d’agents pathogènes. Un facteur qui peut clairement constituer une menace pour la santé humaine.

La nécessité de se départir du colonialisme des déchets pour promouvoir une justice environnementale dans les pays du Sud.

Un récent rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement révèle que la pollution plastique touche de manière disproportionnée les groupes marginalisés. Selon ledit rapport, les impacts de la pollution plastique sur les populations marginalisées sont graves et se manifestent à tous les niveaux du cycle de production du plastique, de l’extraction des matières premières, de la fabrication, au consommateur final.

Les déchets plastiques ne mettent pas seulement en péril les moyens de subsistance de ceux qui dépendent des ressources marines, ils provoquent également toute une série de problèmes de santé chez les personnes qui consomment des fruits de mer infestés de micro et nano plastiques toxiques, du moins c’est ce que des recherches plus récentes commencent à révéler.

Récemment, le géant allemand du transport maritime Hapag-Lloyd a été pris en flagrant délit de fraude par les douanes sénégalaises, car ce cinquième armateur mondial tentait frauduleusement de faire entrer au Sénégal 25 conteneurs de déchets plastiques.

C’est un scandale, c’est inacceptable et irresponsable de voir des entreprises occidentales faire de l’Afrique un dépotoir de déchets plastiques. L’Afrique n’est pas un dépotoir, encore moins de déchets plastiques, le Sénégal n’est pas non plus un dépotoir.

Les relations entre les pays occidentaux et africains doivent être basées sur le respect mutuel de la dignité humaine. Il est grand temps de sortir de ce colonialisme des déchets qui étouffe toutes les initiatives de développement durable des pays africains et plus particulièrement ralentit les efforts réalisés jusqu’à présent par le Sénégal et d’autres pays africains en matière de lutte contre la pollution plastique et la gestion des déchets plastiques.

Cela va vraiment à l’encontre des efforts que les pays de l’Union Européenne  disent souvent défendre lorsqu’ils essaient de faire pression pour des accords mondiaux favorables au climat. En effet, ces pays de l’UE ne sont pas cohérents avec les politiques qu’ils mettent en place. Ils ne peuvent pas prétendre promouvoir des accords mondiaux respectueux du climat tout en déversant leurs déchets plastiques dans les pays en développement. 

Le Sénégal et les autres pays en développement sont des pays souverains régis par des lois et des législations qui doivent être respectées.

Ils ne peuvent plus se laisser intimider par les anciennes puissances coloniales, et leurs populations doivent donc être traitées avec respect et dignité.

Lors des grèves mondiales sur le climat, le réseau kényan des activistes environnementaux (KEAN) s’est joint à d’autres jeunes de Nairobi et a organisé une manifestation silencieuse sous le thème #AfricaIsNotADumpster.

Les efforts des pays africains pour lutter contre la pollution plastique ne doivent pas être réduits au néant.

En 2020, une décision importante a été prise par le ministère sénégalais de l’Environnement et du Développement durable avec l’interdiction de tous les sachets d’eau et gobelets en plastique dans le pays. Cette législation actualisée faisait suite à la loi sur l’interdiction des sacs en plastique adoptée en 2015 qui ne montrait pas un réel engagement des autorités locales quant à son application et sa mise en œuvre effective.

S’appuyant sur la grande décision du gouvernement sénégalais, les ministres de la protection de l’environnement des 15 pays membres de l’organisme régional CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) ont également décidé de mettre en place une interdiction de l’importation, de la production et de la commercialisation des emballages plastiques dans la région d’ici 2025. Il en est de même pour l’interdiction d’installer de nouvelles unités de production d’emballages plastiques dans les pays de la CEDEAO.

Parmi les autres pays champions, citons le Kenya, dont l’interdiction des emballages plastiques a suivi les traces du Rwanda et du Maroc. Ces initiatives ont conduit d’autres pays d’Afrique de l’Est, comme la Tanzanie, à instaurer également une interdiction totale des sacs plastiques légers. Au total, selon un rapport des Nations unies de décembre 2018, il existe 34 interdictions ou taxes sur les sacs à travers le continent africain. 

Un grand merci au mouvement croissant de personnes réclamant une Afrique sans plastique et au nombre croissant de pays champions sur le continent. Nous sommes ravis de constater des avancées positives dans le cadre de cette lutte contre le péril plastique. Il est également réconfortant de noter les efforts consentis par les gouvernements africains qui commencent à voir l’impact positif que les interdictions peuvent avoir sur l’environnement.

Ces efforts ne doivent pas être compromis par les entreprises et les gouvernements occidentaux qui utilisent jusqu’ici les pays africains comme dépotoirs de déchets plastiques.

Des bouteilles de Coca-Cola en verre réutilisées et des bouteilles en plastique se côtoient dans un magasin en Afrique du Sud.

Les fausses solutions au plastique ou les pratiques d’éco-blanchiment des entreprises.

Les fausses solutions au problème du plastique sont les solutions proposées qui ne favorisent, non seulement pas, le passage des systèmes de distribution de produits à usage unique à des systèmes basés sur la réutilisation, mais aussi la réduction de la quantité de plastique produite. Ces fausses solutions ne s’attaquent pas véritablement aux causes profondes de la crise de la pollution plastique. En fait, dans la plupart des cas, ces fausses solutions permettent ou justifient la production continue de plastiques à usage unique.

Les grandes entreprises pollueuses investissent dans de nombreuses solutions non durables au lieu de s’atteler au développement de systèmes de distribution basés sur la réutilisation. Cela va de la promotion de technologies non testées à grande échelle, de faux discours, de l’absence d’actions concrètes, aux stratégies mises en place pour mettre fin aux fausses solutions.

Modou Fall, président de l’association “Sénégal propre” qui lutte contre l’utilisation du plastique, porte un costume fait de sacs et de produits en plastique usagés et tient une pancarte indiquant “Non aux sachets plastiques”.

La voie vers un monde sans plastique

La véritable solution pour mettre fin à la crise du plastique est d’arrêter la production de masse de ce produit chimique et toxique fabriqué à partir de sources d’énergie impropre comme les combustibles fossiles.

Les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités en renforçant l’interdiction des plastiques à usage unique et en encourageant leur réduction et leur réutilisation par le biais des législations existantes. Ils doivent également veiller à la mise en œuvre complète, effective et efficace de ces législations.

Les entreprises et les industries doivent, quant à elles, reconnaître leur lourde responsabilité dans ce péril plastique et fournir des solutions durables. Ce sont elles qui produisent à grande échelle et de manière extensive. Il leur incombe donc de gérer le cycle de vie du plastique, de la production au consommateur final.

Enfin, la nécessité de sensibiliser les populations, les acteurs de la société civile, et de promouvoir un changement de mentalité qui poussera les citoyens ordinaires à adopter des comportements éco-responsables. Greenpeace, avec l’aide de ses bénévoles exceptionnels, fait un travail considérable dans ce sens.

S’il y a un appel mondial à lancer pour favoriser la restauration des écosystèmes marins, ce serait certainement de plaider pour un traité mondial sur le plastique. 

Veuillez visiter notre site web pour vous impliquer et faire partie des agents du changement de la prochaine génération qui co-créeront des solutions durables pour la Terre Mère.

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