La deuxième plus grande forêt tropicale au monde pourrait être la prochaine frontière dans l’exploitation forestière internationale et le commerce d’huile de palme, selon les géographes et les écologistes les plus en pointe sur la question.

La forêt tropicale du Bassin du Congo s’étend sur plus de 3,6 millions de kilomètres carrés et six pays, du Cameroun à l’ouest à la République Démocratique du Congo en Afrique centrale.

Pendant des années, l’instabilité politique et les efforts de conservation ont permis de relativement protéger cette région, où prospèrent des gorilles, des éléphants de forêt, des okapis et des bonobos.
Mais au cours de la dernière décennie, la déforestation a augmenté, menaçant la faune et le climat à une plus grande échelle.
La forêt pourra-t-elle survivre à l’arrivée et à la multiplication des entreprises internationales qui considèrent cette région comme la prochaine zone sensible pour l’agriculture industrielle et l’huile de palme?

forêt du bassin du Congo

Climat

Regardez n’importe quelle carte de l’Afrique  et vous remarquerez qu’une vaste étendue verte couvre le milieu du continent. C’est la forêt tropicale du Bassin du Congo.
Au total, la région abrite environ 30% de la forêt tropicale de la planète et, comme l’explique Yadvinder Mahli, professeur de sciences de l’écosystème à l’Université d’Oxford, elle a une grande influence sur la régulation du climat.

L’ensemble du système météorologique mondial est entraîné par des points chauds près de l’équateur où l’air humide monte et se condense à haute latitude et c’est le moteur de la circulation météorologique globale. Les trois points chauds les plus forts sont l’océan Pacifique, la forêt amazonienne et le Bassin du Congo.
Il est difficile de le modéliser, mais comme avec l’Amazonie, la déforestation dans le Bassin du Congo aura probablement un impact mondial.

Selon le professeur Mahli, les changements apportés au Bassin du Congo provoqués par la déforestation par exemple, signent non seulement la perte de la biodiversité, mais pourraient également conduire à des changements tels que dans la configuration mondiale des pluies.

Intérêts d’exploitation forestière et d’huile de palme

La connaissance de l’importance écologique de la région n’a pas empêché l’exploitation forestière (voir notre carte interactive La Socamba) et l’installation de compagnies d’huile de palme.

Le calme politique relatif dans des pays comme la République Démocratique du Congo ces dernières années, qui représente 60% de la forêt tropicale, a conduit les investisseurs à le considérer comme plus attrayant.
En mars de cette année, des rapports ont suggéré que le gouvernement de la RDC envisageait de mettre fin à un moratoire de 14 ans sur l’octroi des nouveaux titres d’exploitation forestière.

Le moratoire a été introduit en 2002 comme un moyen de prévenir une course folle aux ressources après la fin de la guerre civile. Malgré ces restrictions, l’exploitation forestière illégale et le braconnage sont devenus un énorme problème dans le pays.

Le ministre de l’Environnement de la RDC, Robert Bopolo Bogeza, estime pour sa part que l’attribution de nouvelles licences d’exploitation forestière donnera à son pays les fonds dont il a besoin pour son développement économique.
Mais ce point de vue est critiqué par des groupes environnementaux et de lutte contre la corruption, qui considèrent que les Congolais n’ont pas encore tiré bénéfice de l’industrie forestière.

En mars dernier, Global Witness citait Joseph Bobia, de l’ONG Réseau Ressources Naturelles de la RDC: “L’argument selon lequel l’exploitation forestière peut contribuer de façon significative aux revenus du gouvernement est totalement dénué de fondement. Environ un dixième de la forêt tropicale de la RDC est déjà en cours d’exploitation. Et pourtant, en 2014, le pays a obtenu des misérables recettes fiscales de 8 millions de dollars provenant du secteur – l’équivalent d’environ 12 cents pour chaque Congolais.”

L’industrie de l’huile de palme en plein essor en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest a également suscité un vif intérêt ces derniers mois.

Le géant européen Socfin compte actuellement 80 000 hectares de palmiers à huile en Afrique et détient 325 000 hectares de concessions.
Au Cameroun, la société SG Sustainable Oils Cameroon (SGSOC) détient des intérêts significatifs dans le secteur de l’huile de palme. La société exploite une concession de 20 000 hectares en bordure de la forêt tropicale et espère obtenir une nouvelle licence plus longue de la part du gouvernement camerounais.

Dans le même temps, les groupes locaux ont intenté une action en justice contre l’entreprise, avec des centaines d’agriculteurs accusant la société d’empiéter sur leurs terres agricoles, des accusations que SGSOC nie.
Actuellement, l’industrie de l’huile de palme est en plein essor en Indonésie et en Amérique du Sud. Le secteur a été accusé de ravager la forêt tropicale indonésienne et de déclencher des incendies de forêt dévastateurs dans la région.
David Hoyle, l’un des directeurs du groupe Pro Forest, estime que l’industrie de l’huile de palme vit un moment critique en Afrique.

Vous avez beaucoup de grandes entreprises qui font de gros engagements et vous avez les acheteurs – grandes entreprises de consommation comme Nestlé – qui disent qu’ils achéteront de la palme seulement si elle est produite de façon responsable et vous avez des gouvernements qui réfléchissent sur la manière dont ils peuvent rendre ce secteur plus durable, dit-il. Nous sommes à un point très délicat.
Le Professeur Mahli fait écho à ces remarques. « Étant donné les défis de la gouvernance dans le Bassin du Congo, je serais très surpris que l’huile de palme ait été bien gérée et je pense qu’elle représente une menace énorme », affirme-t-il.

Nous ne pouvons qu’espérer qu’un pays comme la RDC ne passera pas par la même phase que l’Indonésie avec le palmier à huile mais tendra plutôt vers la situation où se trouve le Brésil, en termes de protection de l’environnement.

Elephant de forêt

Les éléphants de forêt menacés

Global Forest Watch surveille la déforestation à travers le monde depuis des années. Sur son site Web, vous pouvez explorer une carte interactive montrant comment le couvert forestier a changé dans le monde au cours des 15 dernières années.

Il montre comment jusqu’à récemment, la perte d’arbres dans le Bassin du Congo était relativement faible, d’environ 1% par an, avec une déforestation limitée aux grands arbres. Mais cela a changé au cours des cinq dernières années, quand l’agriculture industrielle a commencé à s’installer dans la zone.

Cela a eu un impact notable sur la faune dans la région, en particulier les éléphants de forêt qui ont diminué de façon spectaculaire depuis le début du siècle.
Une étude publiée l’année dernière a révélé que le nombre d’éléphants de forêt dans le Bassin du Congo avait baissé de 60% depuis 2002.

Kate Abernethy est professeure agrégée à l’Université de Stirling en Grande-Bretagne et s’intéresse à la zoologie et à l’écologie. C’est depuis le Gabon où elle fait des recherches sur le terrain qu’elle répond à nos questions.

Elle explique que la baisse de la population d’éléphants de forêt est due principalement à l’augmentation du braconnage de l’ivoire dans la région, bien que la déforestation ait aussi eu un impact.

Moins il y a de forêt, moins il y a de places où se cacher. Plus une forêt est fragmentée, plus il est facile pour les braconniers de les trouver. »
A ses yeux, c’est seulement maintenant que nous commençons à voir l’impact de la déforestation sur la faune en Afrique centrale.
Jusqu’à présent, la déforestation dans la région a été très faible, environ 1% par an, mais nous sommes probablement sur le point de voir émerger un type de déforestation très différent.

Actuellement, les éléphants de forêt ont encore la capacité de se déplacer et de trouver un autre arbre si une partie sélective de la canopée est manquante. Mais si les gens commencent à défricher les terres, cela aura un impact beaucoup plus grand sur la grande faune. Nous sommes à la limite de ce phénomène.

Une région à risque

Quand on parle à des experts, le sentiment qui nous saisit est que le Bassin du Congo fait face à un double risque imminent : la déforestation et le changement climatique.
Yadvinder Mahli ajoute ainsi: Si vous regardez les documents historiques, si vous regardez toutes les régions de forêt tropicale dans le monde, on voit qu’elles sont les plus sensibles au changement climatique.

Pourtant, alors que la région fait l’objet d’un grand intérêt, la surveillance de la forêt tropicale fait défaut.Des décennies de guerre et d’instabilité politique ont dévasté une grande partie des infrastructures de la région, comme le souligne le professeur Mahli à propos de la RDC. Toutes les stations météorologiques du pays se sont détériorées dans les années 60 et 70. La région est une véritable inconnue dans notre compréhension scientifique.

La professeure Abernethy approuve: « Il n’y a presque pas de collecte de données météorologiques en cours en Afrique. La vérité est que nous ne savons pas à quel point le changement climatique affecte les forêts. Je travaille avec des collègues d’Amérique du Sud où le bassin de l’Amazone est extrêmement bien surveillé. Mais il est vraiment difficile de trouver des données empiriques sur l’Afrique. C’est choquant.

Article original par Joe Sandler Clarke, Energy Desk